A chaque fois que je prenais le risque de dormir dans un endroit autre que mon appartement, j'étais quasi certain de passer une mauvaise nuit, entrecoupée par des réveils fréquents et des insomnies, c'était des plus classiques. C'était d'abord ce que j'avais craint dans un premier temps en m'allongeant à demi-nu sur le canapé, crainte qui s'était rapidement évanouie via le parfond état de sérénité dans lequel je me trouvais. C'était si rare que je me sente bien en dehors de mon appartement, pourtant je n'étais pas trop du genre méfiant, mais à croire que j'étais friand de mon petit confort simple, je ne voyais pas d'autres explications possibles, à croire que j'avais besoin d'un certain bien-être, d'une certaine atmosphère reposante pour trouver le sommeil. Pourtant chez Ilya, je n'avais pas fait long feu avant de sombrer dans les bras de morphée, la fatigue occasionnée par le combat et les émotions très probablement. Bref je n'avais réfléchi à rien, sauf peut-être à ce petit baiser sur la joue sur le pas d'une porte. Visiblement je l'avais quelque peu intimidée mais j'espérais ne pas non plus l'avoir rendue mal à l'aise, ce n'était pas vraiment mon but. Non, il était vraiment trop tard pour s'inquiéter de quoi que ce soit mais je n'allais pas non plus regretter mon geste. Après tout pourquoi prendre tant de risques au final si c'est pour se terminer en embrouille ou en ambiguïté ?
Mon sommeil se révéla stable sans aucun cauchemar, je me réveillai néanmoins vers quatre heures du matin où je me levai pour prendre un verre d'eau dans la cuisine. Je mis d'ailleurs quelques temps avant de me rendormir et ce fut le sifflement familier d'une cafetière qui me sorti de mes songes, m'invitant à entrouvrir les yeux. Sur le coup, je me demandai bien où je me trouvais, mon cerveau me transmettant des bribes de souvenirs de la veille jusqu'à ce que tout fut parfaitement clair dans mon esprit : la soirée agitée, l'altercation, la rixe, la moto et enfin cette nuit passée en terre inconnue. Tout en me redressant légèrement, je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire poli à mon hôte, j'avais des manières même si je n'étais pas vraiment réveillé en cet instant. Je me frottai paresseusement les yeux histoire d'émerger un peu plus, bon d'accord ça ne fonctionnait pas vraiment, cela tenait plus à du réflexe qu'à autre chose.
"- Ouais ça va je te remercie. En tant normal je dors mal dès que je ne suis pas chez moi mais là je n'ai vraiment pas à me plaindre. Quant aux courbatures, je te redirais ça dès que je me serai complètement levé en fait."Plus facile à dire qu'à faire mais je n'étais pas du genre à abuser des bonnes choses trop longtemps. Je m'aidai de ma main droite pour me redresser et finir assis sur le canapé, toujours en caleçon. D'ailleurs j'en profitais qu'elle avait le dos tourné pour enfiler la tenue qu'elle m'avait apportée quelques heures plus tôt. Pas de courbatures, ni même quelconque trace d'un mal de dos, c'était déjà ça ! Une fois vêtu et à peu près présentable, je venais m'assoir sur une chaise, juste face à elle, au moins ce serait plus convivial que seul sur le canapé. Comme chaque matin, je n'avais pas vraiment faim mais je me servais tout de même une tranche de brioche histoire de faire bonne impression. Comme elle le souligna si bien et surtout par chance je devais bien l'avouer, je ne travaillais pas ce matin et, étant donnée l'entente si cordiale qui régnait entre mes supérieurs et moi, dans l'ironie et l'hypocrisie la plus profonde bien sûr... Je n'aurais jamais pu me permettre un trou énorme dans un retard matinale, j'étais sur la sellette depuis quelques mois alors autant de ne pas aggraver les choses, j'en mourrais pourtant d'envie, par travers ? Non par vengeance surtout mais je n'allais pas revenir sur mes points de vue hum différents...
"- Non, non, ne t'inquiète pas. Je travaille aujourd'hui mais je prends mon service de nuit donc ça me laisse un peu de marge."
Constatant son petit air malicieux, je ne pouvais m'empêcher de répliquer quasiment aussitôt après, c'était juste plus fort que moi, mais sans arrière pensée comme toujours.
"- Dommage pour toi, tu vas devoir me supporter un peu plus longtemps... Au moins dix minutes sûr que l'épreuve va être particulièrement pénible."L'appel du ventre se faisant plus grand que celui de la raison, je me beurrais une nouvelle tartine que j'engloutissais tout aussi rapidement en terminant mon café dans la lancée. Elle bossait au dispensaire comme moi, curieuse coïncidence non ? Même si on ne s'était encore jamais croisé là-bas, cela ne serait tarder, tout dépendait de ses jours et heures de garde, les miens étaient variables, je n'avais mon emploi du temps qu'à la dernière minute alors je n'aurais su prédire le jour où nous serions susceptibles de nous rencontrer.
"- Alors nous nous y croiserons sûrement là-bas, je travaille aussi là-bas à mes heures perdues en tant que bénévole. J'aime prêté assistance aux plus démunis, peu importe de quel milieu ces gens sont issus d'ailleurs, je ne fais pas de différence. Mon boulot c'est de soigner, pas de juger d'ailleurs je ne supporte pas les jugements alors comme ça c'est réglé."J'avais terminé ma seconde tartine et but la dernière gorgée de mon café alors je n'allais pas m'imposer plus longtemps, d'ailleurs ce n'était pas du tout dans mes habitudes. J'avais assez abusé de son temps, il ne me restait plus qu'à descendre récupérer ma moto et à rentrer chez moi, une nouvelle journée de travail commençait, le cycle de la vie ne stoppait jamais son cours mais cette petite pause avait été des plus bénéfiques, comme Ilya comme pour moi c'était ce que je pensais mais nous devions reprendre chacun le cours de vie, nous n'avions guère le choix.
"- Faut vraiment que je file moi, il se fait tard. Même si ça ne te botte pas trop, passe me voir au dojo ou au dispensaire on finira bien par se voir un jour où l'autre. Je n'ai plus qu'à te dire au revoir et merci encore pour ton accueil."Je me dirigea vers le canapé pour attraper ma veste, dernier vestige qui n'avait pas trop souffert de la confrontation de la veille que j'enfilais aussitôt après, l'aube était particulièrement fraiche, encore plus sur la selle d'une moto. J'en profitai aussi pour prendre mon casque que je reposai aussitôt, pour dire au revoir ce serait plus pratique. Je ne m'en allais pas sans une petite pointe d'amertume, au fond quelques liens s'étaient fondés entre nous mais ainsi allait la vie et pourquoi retarder l'échéance du départ plus longtemps ?
