(Terminé) Appréhension et réconfort [Héméra]

Deux ans ont passé depuis la capture de ma fille. Et beaucoup de choses ont changé. Les Anciens n’ont reculé devant rien, devant aucun test, aucune souffrance pour trouver les secrets de l’ADN d’Héméra, premier bébé de sa génération issu d’un père Asarien et d’une mère humaine. Je ne sais pas s’ils sont trouvés ce qu’ils cherchaient tant et si nous allons avoir droit à d’autre représailles. Pour protéger la chair de ma chair, mon joyau, j’ai dû aussi faire des sacrifices. Je n’habite plus dans la maison de mes parents. Cette maison familiale qui m’a vue grandir. Non ! Les Miliciens en connaissent l’exact emplacement et je ne peux pas risquer de mettre en danger ma fille. Alors avec Grant et ses connaissances en architecture, il a créé avec l’aide d’autres Asariens Pacificateurs, mettant en collaboration leurs pouvoirs, cette nouvelle maison qui ne se trouve pas tellement éloignée du village humain mais elle reste invisible aux yeux de tous, tout comme face aux détecteurs thermiques. Des jeux de miroir dissimulés dans les branches des hauts arbres, cachent la maison, ne laissant se refléter qu’une petite clairière sans la moindre trace d’une maisonnée en pierres. Avant d’en bâtir les fondations, Grant a enterré des capteurs pour dissimuler toutes traces de vie, aidant ainsi le camouflage.

J’ai abandonné la maison de mes parents. J’y retourne quelque fois pour retirer la poussière et la présence du temps qui s’écoule. Je ne peux pas prêter ou même donner cette maison à une autre famille, de peur que les Anciens se vengent sur les nouveaux habitants. Mais je la garde dans mon cœur car elle fait partie de mon passé, de mes souvenirs, un lien solide avec mon père et ma mère, et ça je ne peux pas m’en défaire même si Grant me répète très souvent que cela pourrait devenir un piège et qu’on pourrait me capturer très facilement.

La vie a repris sa course. Elle ne me parle que très peu de tout ce qu’elle a subi. Amaria, sa marraine, m’a expliquée que c’était une façon à elle de se protéger, d’éviter de revivre cette douleur et ce cauchemar. Ce que je comprends parfaitement. Alianka m’a enlevée deux années avec ma fille puisqu’elle a subi une transformation dû très certainement à tous ces rayons gamma qu’elle a subis. Je n’ai jamais vu une petite fille aussi courageuse. Elle a gardé son sourire magnifique, son regard curieux et innocent sur toutes les choses qui l’entourent  comme envers les personnes. Parfois, je me dis que j’ai été égoïste de l’avoir mise au monde : elle est poursuivie et traquée comme une bête. Elle ne peut aller dans la cité. Elle ne peut se promener toute seule dans les terres sauvages, toujours sous la surveillance d’un adulte, et je la retiens en permanence entre les murs de cette nouvelle maison ou au QG. Ce n’est pas une vie pour une telle petite fille. J’espère qu’un jour elle comprendra pourquoi je la protège autant, pourquoi elle ne peut avoir une vie normale. Heureusement, que j’ai des amis comme Aaron et cette surprise qu’il lui a concocté est certainement la bienvenue et lui fera découvrir un autre monde en compagnie de ce Pacificateur et de la balade qu’ils s’apprêtent à faire tous les deux.

Je me retourne inlassablement dans mon lit vide. Grant est resté sous les dômes. Il ne peut se permettre de faire ces longs voyages tous les jours jusqu’ici. Nous n’avons jamais été véritablement un couple ordinaire, ni une famille. Nous ne le serons jamais. C’est ce qui nous définit parfaitement. La fenêtre de ma chambre s’ouvre sous le fracas d’une rafale violente, me faisant sursauter. Doucement, je passe mes jambes hors du lit et pieds nus je la referme avec précaution. Je serai bien incapable de retourner  me coucher. M’enveloppant dans un peignoir tout chaud, je file vers le petit salon. La différence avec cette nouvelle maison de l’ancienne et que là, je n’ai aucun étage, tout est à plan pied. Le feu crépite encore dans la cheminée. Il devrait pourtant être éteint depuis tout ce temps. C’est en contournant le divan que je m’aperçois qu’Héméra est à moitié endormie, observant avec émerveillement les flammes qui dansent devant ses yeux.

- Tu n’arrives pas à dormir, ma puce ? Ce sont encore tes cauchemars ?

Je m’assois près d’elle, entre les coussins et le plaid qu’elle a rabattu sur elle. Il fait très bon au coin du feu. Je ramène mes jambes contre ma poitrine, passant un bras autour d’elles pour me caler. Je ne veux pas la forcer à me parler de ses craintes mais je veux qu’elle sache que je serai toujours  là auprès d’elle. Mes lèvres embrassent son front tendrement.

- Tu sais ce qui est excellent à cette heure-ci de la nuit ? Un bon chocolat chaud  et une bonne histoire.  Je vais nous en préparer un bol à chacune. Tu viens m’aider ?

Je lui prends doucement la main, prête à me lever avec elle et à nous diriger toutes les deux vers la cuisine.

Cette nuit était à l'orage, ou autre chose... En tout cas, le vent fort et la pluie violente m'avaient réveillée, et je n'arrivais plus à me rendormir... Je n'en avais pas vraiment envie non plus... J'avais rêver de papa et maman, avec moi, on était ensemble et heureux... Et d'un coup, ce beau rêve s'était, comme souvent, transformé en cauchemar... Je me revoyais alors seule et effrayé, avec des méchants qui me faisaient beaucoup de mal... Je voulais qu'ils arrêtent, mais il m'écoutaient pas.. Ils disaient que j'étais un monstre qui n'aurait jamais dû naître... Mais je savais bien, moi, que papa et maman s'aimaient très forts, et que je suis venue remplie de tout cet amour l'un pour l'autre, et pour moi... Je n'étais pas un monstre, mais une petite fille spéciale....

Quand maman et les autres Pacificateurs m'ont libérés, il y avait des règles pour que je sois en parfaite sécurité, et que les méchants ne puissent pas me retrouver... Je dois rester cachée, toujours, ou ne sortir qu'étant accompagnée d'un adulte que maman connais, ou papa.... Malgré tous ces cauchemars, je vis heureuse, je garde ma façon de croquer la vie à pleine dents, et d'être autant curieuse qu'avant, si ce n'est plus... J'aime ma famille, et leur rends rends leur amour de mon mieux...Mes cauchemars, je n'en parle pas beaucoup avec mes parents, je sais qu'ils le souhaiterais, qu'ils veulent m'aider, mais je n'y arrive pas... J'essaie d'être forte, mais je ne veux pas non plus qu'ils s'inquiètent plus qu'ils ne le font déjà... Ils ont bien assez de soucis comme ça, sans que je n'en rajoute plus...

Le sommeil m'ayant fuit, je me levais pour aller dans le salon, et j'y rallumais le feu, en faisant attention à mes doigts, puis j'allais me blottir dans le divan, les yeux fixés dans les flammes... J'essaie d'éloigner mes mauvais souvenirs, mais c'est compliqué, parfois... Au bout d'un moment, Maman me rejoint, visiblement réveillée elle aussi par le temps dehors...  

- Tu n’arrives pas à dormir, ma puce ? Ce sont encore tes cauchemars ?

Elle vient s'asseoir à mes côté, elle m'entoure de ses bras, et ça me rassure, je sens qu'elle aimerais que je lui parle... peut être que je le pourrais maintenant... Je ne sais pas... Elle m'embrasse doucement le front, me faisant comprendre ainsi quelle m'aime et acceptera si je souhaite garder le silence, mais qu'elle m'écoutera si je veux lui parler, au contraire....

- Tu sais ce qui est excellent à cette heure-ci de la nuit ? Un bon chocolat chaud  et une bonne histoire.  Je vais nous en préparer un bol à chacune. Tu viens m’aider ?

Elle me prends doucement la main, et je la suis dans la cuisine... Je crois que je vais lui parler, un peu... Si je raconte mes cauchemars, j'ai peur qu'ils me paraissent encore plus vivants, mais ils pourraient aussi bien ne plus me faire de mal....

-D'accord maman, je veux bien un chocolat... Et..... Est-ce-que je pourrais te parler après... Je crois que je peux, maintenant... Tu avais raison, tout à l'heure, mes cauchemars m'ont empêcher de dormir l'un d'eux revient souvent, d'ailleurs, surtout avec le vent qui fait un bruit fou...

Je déglutis, mal à l'aise... C'est la première fois depuis ma libération que je commence à vouloir parler... Maman me comprendra t-elle?? Pourra t-elle m'aider?? Je le pensais, mais je ne voulais pas qu'elle souffre pour moi, de ce que j'avais pu vivre..... Bon, d'abord un bon chocolat chaud, et la suite après, si j'en trouve le courage.....

Face au désarroi de ma fille, je suis impuissante. Je ne possède aucun pouvoir pour calmer ses angoisses, pour endormir ses troubles et sa peur. Mais elle sait qu’elle peut compter sur moi et je ne veux surtout pas qu’elle se renferme sur elle-même. Amaria m’a bien expliquée qu’il faut laisser à Héméra du temps, ne pas la brusquer mais elle ne doit pas s’emmurer dans ses cauchemars. Elle doit parler, poser des mots sur ce qui lui fait peur et lui faire comprendre que je suis là, moi, sa mère, pour lui donner tout ce courage qu’elle a déjà énormément pour une petite fille de son âge. Elle est forte, ça je n’en douterai jamais. Je sais aussi que lorsqu’elle n’arrive pas à trouver  le sommeil il lui sera difficile de s’endormir. Pour lui changer les idées, je l’invite à me suivre dans la cuisine où je commence à faire chauffer le lait, lui donnant les deux bols qu'elle place sur un petit plateau. Elle prend de nouveau la parole et je perçois sa douleur et ses craintes. Je me tourne vers elle, m’approche et je la fais se hisser sur le rebord de la table de la cuisine pour être un peu plus à ma hauteur et pouvoir plonger mon regard dans le sien. Ma main caresse tendrement sa joue.

- Fais de tes cauchemars, ta force, ma puce. Je sais que tu dois penser que mes mots sont étranges et n’ont pas de sens, mais ne les laissent pas te faire peur, trouve de quoi les affronter. Ton esprit est puissant.

Je l’embrasse sur le front doucement. Je ne souhaite pas la forcer à me parler. Ce n’est pas une obligation mais si elle se sent prête, je serai là. Je la berce tendrement entre mes bras, tout contre moi, avant de retourner devant le lait chaud que je retire du feu, le versant avec précaution dans les deux bols. Un peu de chocolat, et ma petite touche de gourmandise : un peu de chantilly par-dessus. Ça sent délicieusement bon. On retourne ensemble dans le salon avec le plateau que je dépose sur la petite table basse devant le feu. Cette fois-ci, c’est moi qui reprends la conversation tout en m’installant sur les coussins, devant la cheminée comme au début.

- Viens par là.   Je l’invite à venir poser sa tête sur ma cuisse. Héméra, la logique de notre cerveau nous oblige à avoir peur de nos cauchemars. Ce sont des images horribles. Mais rien ne t’empêche de penser d’une façon différente. Ecoute-moi bien : si tu vois quelque chose qui te fait peur, pense à quelque chose qui te rend forte et avec laquelle tu peux combattre ce cauchemar. Ton grand-père, mon papa, m’avait appris ce petit truc et crois-moi je m’en sers toujours aujourd’hui. Mais il faut que tu comprennes que tes cauchemars ne doivent pas devenir une faiblesse. Un jour, tu seras aussi forte que ton père et moi. J’en suis certaine ma chérie car tu l’es déjà.

Ma main s’égare dans ses cheveux, caresse affectueusement ses boucles soyeuses et sa joue  alors qu’elle pose sa tête sur ma cuisse. Et là enfin, elle se libère de ces images horribles qui la hantent. Je reste impassible, du moins, je tente de ne rien lui montrer et heureusement qu’elle ne peut me voir. Mon cœur se serre à ses premiers mots. J’ai imaginé tant de scènes, tant de douleurs et là, ma fille me conte la folie de ceux qui l’ont enlevée, de la vengeance de cette Ancienne, Alianka. Elle a besoin, comme je lui ai dit quelques minutes plus tôt, de se libérer de tout cela et de trouver le moyen au fond d’elle d’affronter ses peurs. C’est ce qui ne nous tue pas qui nous rend plus fort. Elle est encore trop petite pour comprendre ce genre de notions mais c’est bien pour cela aussi que je lui parle de cette force qu’elle doit chercher en elle. J’essaye de contrôler l’émotion qui m’envahit face à sa petite voix qui tremble, de ses larmes que je sens sous mes doigts lorsqu’elle plaque ma paume contre sa joue. Je me penche alors pour lui donner un baiser dans ses cheveux.

- Je suis là Héméra. Je t’aimerai toujours. Tu ne dois jamais en douter. Ton père et moi nous t’aimons. Rien ne pourra jamais changer cela. Tu es une petite fille très courageuse et tu ne dois pas laisser tes cauchemars prendre le dessus. Dis-moi tout ce qui te passe par la tête, toutes ces images qui te font peur. Tu n’as pas de crainte à avoir.

En préparant le chocolat, maman me fait monter sur la table, pour que je puisse m'y asseoir et être à sa hauteur... Elle me caresse la joue, pour me rassurer...

- Fais de tes cauchemars, ta force, ma puce. Je sais que tu dois penser que mes mots sont étranges et n’ont pas de sens, mais ne les laissent pas te faire peur, trouve de quoi les affronter. Ton esprit est puissant.

Elle me fait un bisou sur le front et retourne terminer de préparer son chocolat spécial, puis me fait descendre de la table.... Nous retournons ensuite au salon nous réinstaller... Maman prends la parole la première en m'installant près d'elle, la tête sur ses genoux... Je suis bien à ses côtés, en sécurité...

- Viens par là. Héméra, la logique de notre cerveau nous oblige à avoir peur de nos cauchemars. Ce sont des images horribles. Mais rien ne t’empêche de penser d’une façon différente. Ecoute-moi bien : si tu vois quelque chose qui te fait peur, pense à quelque chose qui te rend forte et avec laquelle tu peux combattre ce cauchemar. Ton grand-père, mon papa, m’avait appris ce petit truc et crois-moi je m’en sers toujours aujourd’hui. Mais il faut que tu comprennes que tes cauchemars ne doivent pas devenir une faiblesse. Un jour, tu seras aussi forte que ton père et moi. J’en suis certaine ma chérie car tu l’es déjà.

Elle me caresse doucement les cheveux, et là, je sais que je pourrais enfin me libérer d'une partie de ces cauchemars qui revienne, de cette douleur... Que quoi qu'il puisse arriver, elle sera toujours là.... Je lui parle de ce qui passe dans ma tête, des images qui me viennent sans réfléchir, sans penser à les organiser... Ce serait trop dur, et je finirais sans doute par ne plus avoir la force de parler... Maman le sens, elle sait que ça me fait mal, mais elle m'encourage à être forte, me disant qu'elle est là... Je sais que son amour fera un bouclier contre mon hésitation.... Alors je continue....

- Je suis là Héméra. Je t’aimerai toujours. Tu ne dois jamais en douter. Ton père et moi nous t’aimons. Rien ne pourra jamais changer cela. Tu es une petite fille très courageuse et tu ne dois pas laisser tes cauchemars prendre le dessus. Dis-moi tout ce qui te passe par la tête, toutes ces images qui te font peur. Tu n’as pas de crainte à avoir.

Mes larmes coulent toutes seule, je prends sa main et la pose sur ma joue, pour créer un contact plus rapprocher... Je lui parle alors de ces horreurs.. de ce que ces monstres m'ont faits....

-J'étais enfermée dans une pièce sombre, maman.... Ils m'en sortaient parfois, avec des écarts plus ou moins longs je crois... Ils m'attachaient sur une sorte de lit, pour me prendre du sang ou alors ils m'emmenaient dehors, m'obligeant à rester sous le soleil... A chaque fois ça faisait plus mal qu'avant... Je leur disais parfois d'arrêter, que je ne voulais plus qu'ils me fassent mal, mais eux, ils rigolaient, me giflaient aussi... leur chef, il disait que j'étais un monstre, que je n'aurais jamais dû naître.... Pourquoi ils me faisaient si mal, maman?? Je sais que je suis spéciale, tu me l'a dit, mais pourquoi ils m'ont fait ça?? Amaria prends de mon sang, mais ce n'est pas douloureux... elle cherche la même chose?? Elle, elle est gentille, alors pourquoi eux font autant de mal??

Essayant de reprendre mes esprit et le contrôle de moi, je me redresse, restant blottie contre maman.... En espérant que ces images dont je parlais à maman ne reviendraient plus m'embêter dans mon sommeil.... ou du moins en journée...

Les cauchemars peuvent vous gangréner au point d’engloutir votre propre réalité. Ma vie a été jalonnée de ces atrocités qui peuvent vous être tellement fidèles qu’ils en deviennent possessifs au point de ne vouloir vous partager avec quiconque et surtout pas avec la sérénité et le bonheur. La mort de ma mère capturée et battue par des Asariens. La mort de mon père qui s’est laissé mourir de chagrin lorsque sa femme est décédée dans ses bras, mon viol alors que je n’avais que 20 ans par un Ancien du nom de Kylian E. Wright, la mort de Gabriel, celle de mon premier enfant, la mort supposée de Grant à laquelle je n’ai jamais cru, l’enlèvement de ma fille. Comment suis-je arrivée à tenir bond après toutes ces années, à ne pas finir folle ? Parce que je crois en l’avenir, à ces idéaux que je défends, à cette union des deux races, à un futur différent du passé et du présent que nous vivons. Ma fille est très jeune jeune mais elle a déjà tant vécu, découvrant toute la haine que peut engendrer en son sein des personnes viles envers un enfant. Je repasse en boucle ma dernière conversation avec Amaria : je ne dois pas brusquer Héméra, je dois lui redonner confiance en elle et lui prouver qu’elle peut tout me dévoiler, à moi ou à une autre personne de son choix. Sa famille de sang et de cœur ne la jugera jamais. Après avoir servi les deux bols de chocolat chaud, j’entraine ma fille avec moi, au salon. On s’installe de nouveau devant la cheminée, sur le tapis et au milieu des coussins. Crever l’abcès peut devenir nécessaire lorsqu’on se retrouve au bord du gouffre. Tout doucement, j’encourage ma fille à poser sa tête sur mes genoux et à s’allonger près de moi. Nous n’avons jamais eu cette discussion à propos de ces mois de captivité. Si je lui donne tout le courage pour enfin se libérer de ces horreurs, je dois faire de même pour éviter de voir surgir mes larmes.  Mes doigts glissent tout doucement dans ses longs cheveux soyeux et mon cœur se serre lorsque ses premiers mots prennent forme. Je ferme mes yeux. Elle ne me voit pas et c’est mieux ainsi. Je me représente des scènes, des images de ma fille torturée par ces Anciens. Sa petite main cherche la mienne tendrement et je reprends alors pieds dans le moment présent auprès d’elle. Je dois lui répondre. Elle doit tout savoir car c’est ainsi que je veux que ma fille grandisse : dans la vérité même si parfois elle fait mal. Elle se redresse et je le prends contre moi. La serrant avec tout mon amour.

- Pourquoi t’ont-ils fait cela ? Il faut chercher dans tout cela l’origine même de la création du SEER. Au début ce sérum devait favoriser le développement de l’intelligence et des capacités chez les humains. Oui ma chérie, tous ces Anciens, ces Longues-Vies ont été des humains il y a très longtemps mais ils ont oublié tout cela, préférant balayer ce qui fait leur vraie nature, une sorte de secret infâme qu’ils préfèrent oublier.  Leur nature première s’est effacée lentement pour laisser place à l’arrogance, à la cruauté et toutes ces émotions froides et perverses. Ils avaient compris que ce sérum avait fait d’eux les maitres du monde. La nouvelle génération d’Asariens est arrivée. Une génération sans défaut, parfaitement à leur image. L’éducation de ces jeunes s’est toujours tournée vers l’asservissement des plus faibles, donc des humains. Tu imagines bien que ta présence dérange. Comment un Asarien a pu concevoir avec une humaine, un enfant ? Oui, je parle bien de ton père et de moi. Tu es un danger pour les Anciens. Tu ne devrais pas exister parce que c’est contre-nature, c’est tellement éloigné de cette politique et des mœurs de la cité. Ton sang souille leur puissance et leur suprématie. Aucun ne s’attendait à ce que les deux peuples puissent s’unir ainsi, occultant leurs différences pour en faire leurs forces.

Je ne sais pas si Héméra comprend en cet instant toute la portée de mes mots. J’essaye de lui résumer un siècle d’Histoire le plus clairement possible. Je la berce contre moi, atténuant ses craintes de mes caresses, d’un baiser dans ses cheveux.

- Amaria fait partie de tous ces Asariens qui ont compris que la haine n’était pas la solution. Le passé nous a montré les horreurs dont nous étions tous capables et il faut en éviter de répéter nos erreurs. Ta marraine cherche effectivement à comprendre davantage ton organisme, non pas pour que tu deviennes un cobaye de laboratoire mais pour t’aider dans ton avenir, dans ta croissance et peut-être aussi pour aider les Asariens pacifistes. Ta marraine est une généticienne et un médecin. Tu peux faire confiance en ses capacités. Jamais, elle ne te fera du mal ni elle ni tous ceux qui constituent les Pacificateurs.

Je fixais les flammes de la cheminée qui crépitaient devant nous, me laissant envelopper par de lointains souvenirs.

- Oui, tu es spéciale mais pas parce que tu es différente, parce que tu es forte, parce que tu connais la compassion et que tu ne te laisses pas guider par de mauvaises intentions. Héméra, tu connaitras des bonheurs comme tu connaitras des moments plus graves dans ta vie mais garde à l’esprit ton idéal, ce que tu souhaites, ce que tu veux. J’ai fondé les Pacificateurs avec un Asarien qui n’était d’autre que le fils de la Grande Conseillère, Alianka de Nephthys. C’était il y a très longtemps et je n’ai jamais dévié de mon chemin.

J'ignore comment cela a commencé... Comment j'en étais arrivé à me confier enfin... A parler enfin de ces cauchemars, de ce que j'avais vécus là-bas, dans cet enfer avant que maman et les autres Pacificateurs n'arrivent à me faire retrouver la liberté.... J'étais allongée près de maman, la tête posée sur ses genoux.... Sa main caressant mes cheveux m'ancre dans la réalité, me protège et me donne la force de m'exprimer... La peur est toujours là, mais je continue... J'ai peur, cependant qu'en y pensant trop fort, maman puisse percevoir ces images, mon don de télépathie n'étant pas encore parfaitement maîtrisé, bien que très puissant pour une enfant de mon âge... Je ne veux pas la faire souffrir plus que nécessaire... Au bout d'un moment, je me redresse, m'asseyant contre elle, sur ses genoux, blottie entre ses bras... Elle me berce, me permettant de poursuivre, de ne pas trop craquer... A mes questions, lorsque je lui demande pourquoi mes ravisseurs se sont comportés ainsi, de cette manière si brutale, elle me répond aussi clairement que possible, et je l'écoute attentivement, voulant comprendre ce qui avait pu conduire à mon enlèvement, et à ces horreurs...

Ainsi les Longues - Vies étaient de simples humains avant de devenir les Anciens... Au fil des années, ils ont perdus leur mémoire humaines, devenant arrogants, cruels... Souhaitant dominer totalement ceux restés simple humains, ceux n'ayant pas reçu ce précieux sérum qu'est le SEER... Ils ont réduit l'humanité en esclavage, brimant, torturant sans retenue, dans leur volonté de s'imposer en Maîtres.... Leurs enfants, les Asariens ont reçus une éducation suivant cette voie de supériorité, dès le berceau... Oui, je comprend maintenant pourquoi ils m'ont capturée... Pour eux, jamais aucun Anciens ou Asarien n'aurait ne serait-ce que penser à fréquenter les faibles humains, et encore moins à faire des enfants... Alors que moi, je suis née d'un père Asarien et d'une humaine... C'était pour ça que pour eux, j'étais un monstre... Je comprenais une partie de ma captivité, et ces éléments que je comprenais ne furent plus terrifiants pour moi... Ils resteraient dans ma mémoire, bien sûr, mais ils ne feraient plus peur, enfin, je le pensais.... Mais si eux pensaient qu'une telle approche était impossible, inconcevable, maman et papa leur avaient prouvé que cela était possible, et de par ma naissance, qu'un avenir entre les deux peuples était envisageable...

Maman continue de me bercer dans ses bras, caressant mes cheveux.. Je l'écoute toujours, apaisée, un peu, par ses explications... Cela me donne la force de continuer à parler, après, plus tard... Mais je sais qu'une barrière que j'avais construite pour me protéger de la douleur s'était cassée... Et qu'il me serait donc plus simple d'en parler, bien qu'encore douloureux.... Maman me dit qu'Amaria, bien qu'Ancienne, avait compris comme d'autres de son peuple, que la haine n'était pas une solution, et que la cohabitation avec les humains serait bénéfique pour tout le monde... Et que contrairement à mes ravisseurs qui m'avaient utilisés pour des tests comme un cobaye, Marraine, elle, cherchait à comprendre ce que j'étais, mon organisme, pour pouvoir m'aider à me développer correctement, suivre ma croissance...

Enfin, elle répond à ma dernière interrogation, me disant que oui, j'étais bien spéciale, mais cela grâce à ma conception, à la compassion que j'éprouve sans me laisser entrainer par de mauvaises pensées comme la haine, le mépris... Parce que malgré mon jeune, âge, malgré ma captivité, je suis restée forte, et que cela est rare, que je dois continuer ainsi, sans laisser les bras... Elle m'apprend aussi qu'elle a fondé les Pacificateurs avec l'aide d'un Ancien qui n'était autre que le fils de la Grande Conseillère.... Comme quoi, il y a des chose bien surprenante dans l'Histoire....

A ces mots, je me retourne dans ses bras, la regardant, et la serrant fort dans mes bras, parce qu'elle m'a rassurée, donné la force de parler de tout ça.... Avant de continuer, je ne peux m'empêcher de poser une question....

-Le fils de la Grande Conseillère t'a aidé??? Ça n'a pas dû lui plaire à sa mère, non?? Que son fils fréquente une humaine, des humains considérés comme de faibles créatures....

Me blottissant contre elle, j'essaie de faire le tri dans mon esprit, pour être plus claire dans mes paroles, je lui fait un bisou sur la joue, pour la remercier et m'assoie dos à elle, face aux flammes, et continue....

-Merci pour ces explications maman... Ça m'aide beaucoup à comprendre pourquoi j'ai subis tout ça.. Et ce qui leur a prit de faire tout ça.... Alors, même si certains Anciens sont mauvais, d'autres sont gentils?? Ils aident les humains, comme Amaria, papa....?? Certains de mes souvenirs ne me feront plus peur, maintenant que je les comprends, je crois... J'espère ne pas t'avoir envoyé des images de ces souvenirs, maman... En parler est déjà douloureux, si en plus tu dois voir de toi même ce qu'ils m'ont fait... Ça risque de faire beaucoup... Comment faire pour que les cauchemars ne reviennent pas maman?? Comment pourrais-je les rendre inoffensifs?? Qu'ils ne me fasse plus autant de mal?? Marraine m'aide en m'entraînant à faire des exercices de télépathie, mais mes souvenirs me bloquent... Je n'arrive pas à me concentrer très longtemps sans qu'ils ne reviennent...

Ce sont des moments aussi intimes avec ma fille que je chéris tendrement. J’ai failli ne plus la revoir, j’ai failli ne plus pouvoir la bercer dans mes bras à cause de la folie d’une femme qui se permet de gouverner une cité d’une main de fer. Une Ancienne qui ne peut concevoir la réalité : celle du changement et de l’évolution entre les deux espèces. Héméra en est la preuve vivante et elle ne sera pas la seule si on laisse enfin les hommes et les femmes des deux races vivre en toute liberté sans plus aucune soumission et torture. Ma fille a besoin de parler, de se libérer de ses cauchemars, de poser des mots sur ce qu’elle ressent. Amaria m’a plusieurs fois expliquée que c’était la meilleure des thérapies. Il  ne faut pas qu’elle s’enferme dans sa peur et ses angoisses. Je ne sais si elle comprend toute la portée de mes mots, peut-être qu’elle en aura conscience lorsqu’elle sera plus grande. Mais je veux avant tout lui assurer qu’elle reste mon trésor, autant à mes yeux à ceux de son père, qu’elle est toujours entourée et aimée par les Pacificateurs et qu’elle n’est en rien un monstre. Dans mes bras, je la berce et Héméra reprend sa sureté, recommence à m’écouter, à balayer ses craintes loin d’elle. Je m’efforce de lui expliquer que sa marraine, qui a presque l’âge d’être une Ancienne, cherche avant tout à s’assurer de sa santé mais aussi à découvrir les caractéristiques de son organisme. Pas pour faire d’elle un cobaye mais bien pour lui apporter de l’aide dans l’avenir. Son ADN ne ressemble en rien à celui d’une Asarienne puisqu’elle possède une part de mes gènes humains. C’est tout un travail de recherche qu’effectue Amaria. Elle est forte et je la pousse à s’observer elle-même, à lui faire comprendre que sa compassion et son altruisme font d’elle une petite fille remarquable. Héméra ne connait pas l’histoire de la formation des Pacificateurs et je sais qu’en lui parlant du fils de la Grande Conseillère, j’éveille sa curiosité. Elle se redresse, m’embrasse sur la joue puis fixe avec attention les flammes de la cheminée. J’écoute tout ce qu’elle a à me dire et toutes ses questions qui franchissement ses lèvres.

- Oui, c’est bien ça Héméra. Les Asariens et même les Anciens ne sont pas tous mauvais. Ta marraine Amaria, ton parrain de cœur Aaron, ton père, Héléna et aussi des Longues Vies comme Oliver et Leroy sont différents. Ils n’ont pas été corrompus pas les effets du SEER. Mais vois-tu ça sera si simple de penser que le sérum est le responsable de tous ces maux. C’est faux ! C’est avant tout la cupidité, l’argent et le pouvoir qui ont rendus tous ces Etres aussi infâmes. La corruption est tellement séduisante pour eux.

Je suis contente d’apprendre qu’Amaria travaille avec elle sur le contrôle de ses pouvoirs et surtout sur sa télépathie. L’invisibilité et l’électrokinésie sont les atouts de Grant qui aura tout le loisir de la faire travailler sur ses autres dons. Je secoue la tête pour la rassurer.

- Ne t’inquiète pas pour ces images Héméra. Tu dois avant tout, et c’est ta priorité, te concentrer sur tes exercices avec ta marraine. C’est la meilleure télépathe que je connaisse. Tu as beaucoup de chance de l’avoir auprès de toi.

Je me place à ses côtés et je pose mon index sur son petit cœur.

- Le cœur est le pouvoir le plus exceptionnel que je connaisse, ma chérie.  Visualise dans ton esprit, les visages des personnes que tu aimes le plus. Ils te donneront la force de repousser les cauchemars, de les combattre et de les faire disparaitre. Tu n’as plus rien à craindre, tu possèdes en toi des pouvoirs extraordinaires donc tu es capable de faire taire ces images qui te hantent. Mais c’est tout à fait normal que tu ne puisses te concentrer trop longtemps parce que tu penses toujours à ces cauchemars et ce n’est qu’en parlant, qu’en te libérant de leur emprise qu’ils deviendront inoffensifs.

Je la reprends contre moi. La nuit est bien entamée et une idée me vient pour lui faire oublier ses mauvais rêves.

- Je vais donc te raconter comment les Pacificateurs sont nés et à mon avis, tu penses que l’origine de notre Cause vient de la rencontre entre ton père et moi. Ce n’est pas cela. Cela remonte à un peu plus de 8 ans, une rencontre allait bouleverser Asaria et ces hommes et ces femmes qui pensaient que la haine des races ne pouvait plus durer. Il s’appelait Gabriel Nicholson. C’était un Asarien. C’était aussi le fils de la Grande Conseillère : Alianka de Nephthys.

Je passe mon bras autour des épaules de ma fille qui me regarde avec des gros yeux, attentive à mes moindres mots.

- Il était différent… Différent de sa mère. Il m’a sauvée alors que je tentais de fuir des Miliciens en plein cœur des bidonvilles. Déjà à cette époque, j’étais persuadée qu’un jour je trouverai des Asariens convaincus que la guerre devait cesser entre les peuples. J’avais l’intime conviction que je trouverai des Êtres qui n’acceptaient plus ces violences … et je l’ai trouvé …C’est grâce à lui que les Pacificateur ont pu prendre naissance. C’est aussi là que j’ai compris que cette idée d’unir les deux races : les Asariens et les Humains, n’était pas qu’une utopie. Mais, il était le fils d’Alianka, et elle a su pour son fils, pour son combat qu’il menait contre elle. Il s’est révolté contre son rang, et elle l’a fait assassiner pour avoir trahi son rang et sa nature.

Je ne peux pas tout dévoiler à Héméra, pas encore, peut-être un jour, dans quelques années. Gabriel  Nicholson était mon premier amour. J’avais perdu notre enfant lorsqu’on m’avait annoncée sa mort. J’étais enceinte à cette époque-là de quatre mois.  Mon cœur se sert à l’évocation de tous ces souvenirs mais je ne compte pas terminer sur cet épisode surtout qu’Héméra est toujours bien éveillée, à l’affut de chacun de mes mots.

- Et maintenant, si je te racontais ma rencontre avec  ton papa ? A moins que tu ne veuilles rejoindre ton lit ?

Le mauvais temps m'ayant réveillée au milieu de la nuit, je décidais de me lever, sachant que je n'arriverais pas à me rendormir, autant à cause du bruit du vent et de la pluie qu'à cause de ces méchants cauchemars venant faire s'évanouir mes doux rêves... J'allais alors dans le salon, ravivant le feu et l'entretenant, plongeant mon regard dans les flammes dansantes... Maman me rejoint à un moment, le vent l'ayant aussi réveillée... Me demandant si ce sont mes cauchemars qui me tienne éveillée, elle me propose un chocolat chaud, et je la suis dans la cuisine pour le préparer... De retour au salon, j'ose enfin amorcer le dialogue, parler de ce qui me hante depuis ma liberté retrouvée... Je commence à mettre des mots sur mes souvenirs, sur les violences que j'ai pu subir... Maman m'écoute sans m'interrompre, son calme et sa présence à mes côtés me donnant la force dont j'ai besoin, enfin...

Je l'interroge aussi, sur le pourquoi de ces violences.... Car Amaria elle aussi me prend mon sang, mais elle le fait sans me forcer, sans que cela ne me fasse du mal... Elle m'apprend que les Anciens étaient il y a bien longtemps des humains... De simples humains, comme ceux qu'ils considèrent aujourd'hui comme des créatures inférieurs tout juste bonnes à réduire en esclavages, à détruire.... Ainsi le SEER seul leur a permit d'accéder à des pouvoirs, à augmenter leurs capacités mentales et physiques... Mais dans leur folie et leur soif de pouvoir, de puissance, ils ont oublier ce passé, ils sont devenus au fil du temps des être cruel, arrogant et sûrs de leur suprême supériorité... Mais pas tous... Certains Anciens sont des êtres bons... Qui eux, n'ont pas oubliés... Qui se souviennent et respectent ce passé commun, pour qu'il ne tombe pas dans l'oubli définitif... Cela donne de l'espoir pour l'avenir... Je me rends compte que Maman, Papa et le reste des Pacificateurs ont raison de croire en un avenir commun possible... J'en suis la preuve vivante, comme Maman me le fait remarquer... La preuve qu'Anciens, Asariens et Humains peuvent évoluer main dans la main, unis, qu'ils pourraient aussi y avoir d'autres enfants comme moi, si on leur en donner la possibilité....

Lorsque je la questionne sur le fait que le co-fondateur des Pacificateurs ne seraient qu'autre que le fils de la Grande Conseillère lui-même, elle m'explique d'autres détails sur les Anciens, sur leur manière de voir les choses... Elle me rassure en me disant que les images que je pourrais lui avoir envoyé ne doivent pas me coûter ma concentration, que je ne doit pas m'en inquiéter.... Que la force de parler de ce qu'il m'était arrivé vient de mon coeur, de l'amour que je porte à mes amis et à ma famille et à ce que eux ressentent pour moi... Que pour mon bouclier mental, je dois me servir des visages aimés, que je dois me les représenter en moi, tout en sachant que chacun d'eux me protège à sa façon, même ainsi, à distance... J'essaierais la prochaine fois avec Marraine... Faire cela sera peut etre plus efficace que les souvenirs joyeux....

Ensuite, elle entreprend de me raconter la naissance du groupe des Pacificateurs, l'alliance faite alors entre humains et Asariens, voire Anciens... Lorsque il y a 8 ans de cela, elle fit la connaissance de Gabriel Nicholson, le fils même de la Grande Conseillère... Elle me dit qu'il l'avait sauvé de milices ennemies... Ils avaient unis leurs forces et leurs idées pour créer le groupe des Pacificateurs, mais Alianka avait su pour son fils et l'avait fait tuer... Il avait tourné le dos à sa nature, à ses convictions, selon elle, et mérité donc la mort pour l'avoir trahie...Maman avait quand même repris le flambeau, et les Pacificateurs perduraient jusqu'alors....

-Maman, je comprends tout ça et t'en remercie mais... Comment une mère peut elle décider de tuer son propre fils?? Ne l'aimer t-elle donc pas??? Même si elle est une ennemie... Comment a t-elle pu faire un truc pareil?? Condamner à mort son propre enfant??

Puis elle me demanda si j'étais prête à aller me recoucher ou si je voulais qu'elle me raconte sa rencontre avec Papa.... Je sourit à cette proposition, n'étant pas encore prête à affronter le bruit du vent et de la pluie claquant sur les fenêtre....

-Je.. Je vais me recoucher et tu me racontes votre rencontre quand je suis dans mon lit?? Ce ne serait pas bien que je reste éveillée aussi longtemps, je sais bien.... Peut-être à présent arriverais-je à me rendormir... Ca me fait moins peur, un peu... Merci pour toutes ces explications... Et pour l'idée de me concentrer sur les visages de mes amis, j'essaierais avec Marraine... Lorsqu'on a fait cet exercice, j'avais concentrer mon esprit sur des souvenirs heureux, mais les cauchemars ont tout cassé... Se concentrer sur les personnes pourrait être plus efficace...

Les cauchemars d’Héméra se sont atténués et mon histoire sur la création des Pacificateurs a éveillé sa curiosité et balayé ses peurs. Bien plus que cela, mes conseils lui ont redonnée confiance. S’entourer de souvenirs, des visages des personnes que l’on aime aide énormément lorsque l’angoisse se fait traitresse. Elle aura encore du mal à s’endormir. Elle devra encore lutter contre ces mauvais rêves mais je ne doute pas une seconde que ma fille trouvera la force nécessaire en elle pour les dépasser. Amaria l’entraine à développer et maitriser sa télépathie et je la sais aussi de bons conseils. Même si elle est encore toute petite, je donne à Héméra toutes les capacités nécessaires pour reprendre confiance en elle et pour grandir comme une enfant de son âge, qu’elle puisse compter sur la grande famille que sont les Pacificateurs, tout comme sur son père et moi. La voix d’Héméra m’ancre de nouveau dans l’instant présent et instinctivement je la serre contre moi lorsque le flot d’émotions et de souvenirs se font  bien trop imposants en moi. Cela fait longtemps que je ne me suis pas replongée dans mon passé. La mort de Gabriel a été une page de ma vie douloureuse et horrible. J’avais cru tout perdre, au point de laisser durant un moment les rênes des Pacificateurs à Amaria et Michael car je ne pouvais et ne désirais plus me battre mon un avenir qui se dessinait de plus en plus sombre. J’ai retrouvé mon courage et la foi aux autres dans mes racines, sur mes terres, m’éloignant de la cité tout autant que du village. J’étais partie avec des provisions, un sac à dos, de quoi me débrouiller durant plusieurs jours. Le retour à la nature m’avait fait un bien fou même si Amaria et les autres pacificateurs n’avaient pas vu cela avec n œil aussi plaisant, craignant la vengeance de la Grande Conseillère. Ma fille a bien compris que cet homme dont je lui contais ma rencontre avait été une personne très chère à mon cœur. Je pose enfin ma joue au-dessus de sa tête.

- Je ne sais pas Héméra. Chaque mère est différente mais je suis certaine qu’elle l’aimait, peut-être à sa manière mais elle adorait son fils.

Moi-même je n’ai jamais eu de réponse au geste d’Alianka par rapport à Gabriel. Elle avait mis en lui tous les espoirs du monde. Il s’était détourné des dessins de sa mère. Mais comment pouvait-on faire assassiner son propre enfant ? J’ébouriffe de ma main les cheveux soyeux et longs d’Héméra. Il est temps d’aller se coucher. Je lui promets de la rejoindre dans sa chambre pour lui raconter la rencontre entre son père et moi. Je la laisse partir dans sa chambre. Je plie soigneusement le plaid et je range les coussins et je finis pour venir la retrouver, m’installant à côté d’elle sur le lit. Mon sourire orne mes lèvres lorsque des images familières et si précieuses envahissent mon esprit.

- Alors cette rencontre … C’est une histoire assez drôle, je dirai ! Ton père et moi nous n’avons jamais fait les choses avec simplicité ni facilité. Il a failli m’écraser avec sa voiture ! Mais oui, c’est bien ça ! Tout simplement parce qu’il ne regardait pas la route et que sa radio ne marchait pas. Sa voiture était au garage, un ancien modèle qu’il adorait, à cause d’un boulon ! Et on lui avait passé une voiture plus higth tech sauf que ton père a toujours eu un souci de maitrise avec son électrokinésie …  Tu imagines donc ce que son pouvoir pouvait faire avec cette voiture ! Un moment d’inattention, il a freiné au dernier moment. Il m’a quand même percutée mais il m’a aussi aidée à fuir les soldats. Ton père était à la fois mystérieux, curieux, séduisant, solitaire. Un mélange qui ne pouvait pas me laisser indifférente. Pour me protéger et me soigner, il m’a amenée chez lui et il m’a cachée durant 24 heures. Nous avons fait connaissance. Il arrive parfois qu’on parle plus à un inconnu qu’aux gens que l’on connait. C’est étrange mais ce fut comme ça entre nous deux. Chacun s’est dévoilé à l’autre. La confiance s’est tissée, tout comme le respect. Il a rejoint les Pacificateurs.

Je jette un œil amusé à ma fille qui me détaille avec de grands yeux. J’attends qu’elle me pose toutes ces questions qui ne vont pas tarder à franchir ses petites lèvres. Cette première rencontre, tous ces souvenirs lointains me ramènent aussi à la seconde fois où mon chemin a croisé celui de Grant, cette nuit-là où j’ai découvert qu’il était toujours bien vivant comme je l’avais toujours espéré au plus profond de moi. Il avait dû se forger une nouvelle identité, un nouveau visage mais ses yeux d’un bleu électrique avaient eu le même effet sur moi que lors de la toute première fois. Héméra ne sait pas pour le moment que son père a porté un autre nom jadis, une fonction différente que celle d’aujourd’hui. Je ne suis pas contre  de lui raconter cette histoire qui se veut à la fois belle, triste et courageuse, de lui expliquer qui est vraiment son père, un homme fort qui n’a jamais baissé les bras mais je pense que Grant aimerait certainement confier et partager cela avec sa fille.

- Alors Mademoiselle ? que pensez-vous de cette histoire ?

Réveillée en sursaut par la violence de l’orage et des cauchemars venant me faire souffrir, j’étais allée au salon, silencieusement… Je ne voulais pas me rendormir tout de suite, par peur que les cauchemars ne reviennent…. Entretenant le feu, je plongeais mon regard dans les flammes, pensant à autre chose… Maman elle aussi réveillée par la tempête vint me rejoindre près du feu, et nous prépara du chocolat chaud…. Ensuite, elle entreprit de me changer les idées, et moi, de commencer à me confier à elle… Je ne pouvais plus supporter l’emprise que mes mauvais souvenirs avaient sur moi…. Amaria, Maman… Ils me disaient tous qu’en parler les affaibliraient, et que je pourrais ainsi en faire une force, et non une faiblesse…. Marraine m’aidait à entrainer mon pouvoir de télépathie, mais les souvenirs de ma capture, des mauvais traitements subis brisaient ma concentration, les efforts que je fournissais ne suffisaient pas à les tenir hors de portée….

Lorsque je me tus, Maman m’expliqua leurs raisons, ce qui avait poussé les Anciens à me faire autant de mal…. J’avais conscience qu’Amaria cherchait la même chose qu’eux, pourquoi ‘étais aussi différente, et la raison pour laquelle j’existais… Pour certains, je n’étais qu’un monstre, car en moi s’unissaient les ADN des Humains et des Asariens, le comble de la déchéance, de l’abomination, pour ces Longues – Vies persuadés de leur supériorité, et réduisant les humains en esclavages sans se souvenir qu’avant d’être des êtres aussi puissants, ils n’étaient pas différents de l’Humanité restée intacte…. Je comprenais mieux à présent ce qu’il s’était passé, et certains cauchemars trouvaient leur sens, et donc s’affaiblissaient… Du moins est-ce ainsi que je le ressentais….

Changeant de sujet, essayant avec succès de me détourner de ces pensées noires, Maman me raconta la naissance des Pacificateurs… J’appris ainsi que celui qui l’avait aidé n’était autre que le fils même de la Grande Conseillère…. Mais que lorsqu’elle avait su ce que faisait son fils, à fréquenter des humains, elle n’avait pas hésité à le faire tuer, car elle pensait qu’il l’avait trahi…. Je sentais à la voix de Maman que cet Asarien avait beaucoup compté pour elle… Je n’arrivais pas à imaginer comment une mère, même Ancienne, pouvait ainsi décider et mettre en œuvre le meutre de son fils….

Après cette conversation, rassurée de mes peurs nocturnes, je décidais d’aller réessayer de me rendormir… Maman me promit de me rejoindre pour me raconter sa rencontre avec Papa…. Sagement, lui faisant un bisou de remerciement, je filais donc dans ma chambre, me remettant sous ma couette, attendant qu’elle me rejoigne…. Le vent ne me paraissait plus aussi violent, mais j’ignorais s’il avait faiblit, ou si c’était un effet de mon imagination…. S’installant ensuite sur mon lit, elle me raconta donc cette curieuse rencontre, le sourire aux lèvres… Me blottissant dans la couette, je l’écoutais attentivement, n’en ratant pas une miette….

- Alors Mademoiselle ? que pensez-vous de cette histoire ?

Au fil de son récit, je m’étais redressé en position assise, adossée au mur, ne voulant pas risquer de me rendormir avant la fin…. J’avais conscience que mes yeux devaient être écarquillés de surprise, sans utiliser la télépathie, je pouvais essayer d’imaginer la scène….

-Il a failli t’écraser ?? Oui, pour son pouvoir et les voitures, je devrais pouvoir imaginer les complications…. Ca ne doit pas être facile, même maintenant…. Tu as eu de la chance qu’il te protège…. Alors vous vous aimez depuis le tout début, comme maintenant ?? J’ai de la chance de vous avoir tous les deux ! Ca devait être une rencontre mouvementée, avec les soldats qui te poursuivaient….

Songeuse, je sentis mes sourcils se froncer, signe de réflexion chez moi… La vie des parents n’avait donc jamais été comme les autres, toujours mouvementée….. Souriant ensuite, je me recouchais dans la chaleur du lit, blottie sur le côté, en position fœtale, ma préférée pour dormir…