(Terminé) [INTRIGUE:LE DÔME MAUDIT / Paces & Insoumis] Down in the Dark [Pv Adam Lockwood]

Je venais de finir de compléter la carte des tunnels souterrains que je destinais à Raven pour guider à bon port le groupe dont elle prendrait la tête: celui qui avait décidé de tenter l'aventure des Terres Sauvages. Raven ... elle était sans doute en train de dormir à cette heure, et l'imaginer allongée sur son lit, vulnérable et si belle me tira un soupir lourd d'envie et de frustration. L'être humain me parut à cet instant tellement irrationnel et bêtement buté. Pourquoi avait-il fallu cette épreuve pour arriver à accepter ce que nous ressentions l'un pour l'autre ? Que de temps perdu à s'affronter, à se repousser, à lutter contre cette attraction qui nous poussait l'un vers l'autre ! Il n'était plus temps de regretter à présent, mais de lutter pour nous permettre d'espérer un avenir commun et aussi pour la survie des nôtres et plus largement pour celle des gosses qui n'y étaient pour rien dans la folie de certains adultes. Mes pensées allaient avant tout aux  Insoumis, bien entendu. Mais je n'oubliais pas d'où je venais. Contrairement à certains enfants des Abysses qui n'avaient que haine pour leur milieu d'origine, moi j'en étais fier même si j'avais quitté ce choix de la soumission pour devenir mercenaire puis Insoumis par la force du destin. En devenant un combattant à prime, j'avais eu le sentiment de prendre un peu le contrôle de ma vie. Sentiment illusoire, ma capture par les Miliciens et la disparition de Jeko m'avaient vite rappelé à la cruelle réalité. Même mercenaire, je faisais partie d'un système qui avait fini par me baiser. Devenir Insoumis et ami de Logan m'avait libéré de cette emprise au moment même où je pensais simplement à mourir le plus rapidement possible pour ne plus souffrir. Mais ce parcours chaotique n'avait jamais réussi à me rendre insensible au sort des habitants du Bidonville. J'y avais passé mon enfance. Le Bidonville, ses odeurs, ses bruits, ses visages, m'avaient marqué dans ma chair et dans mon âme. Personne ne m'y avait jamais fait tort. C'était dans le Dôme des nantis que j'avais été privé de ma liberté et c'était dans la prison de la Milice qu'on m'avait pris ma dignité. Je n'avais pas de haine envers tous ces pauvres gens. Ils étaient parfois rudes et avides, menteurs ou voleurs, pas très honnêtes, mal élevés, grossiers mais aucun ne m'avait causé de tort. Peut-être parce que j'étais plutôt impressionnant physiquement pour la moyenne des Humains. Peut-être aussi parce que je les avais toujours respectés et que je n'essayais jamais de vivre sur leur dos. J'étais réglo et je payais toujours mes achats que ce soit comptant ou en nature avec des produits de mes chasses. J'étais en bon terme avec la population du Bidonville, particulièrement les putes et leurs petits bâtards dont j'améliorais le quotidien frugal quand cela m'était possible, auraient dit les mauvaises langues. Imaginer des gosses crevant en buvant de l'eau polluée n'était pas quelque chose qui pouvait me laisser insensible.

Un sort que partageraient ceux des nôtres qui refuseraient de partir des Abysses si je ne faisais rien pour y remédier. Bien entendu une idée avait germé dans ma tête mais comment pourrais-je me procurer le nécessaire en aussi peu de temps et surtout avec quel argent ? Les Insoumis vivaient dans la précarité et si nous avions réussi au fil des années, à réunir un joli petit arsenal, et un stock de pièces détachées pour le poste de surveillance, nous n'avions jamais pensé devoir nous équiper pour pomper notre propre eau à la source. Pirater les canalisations d'Aquanet nous avait paru le plus simple et le moins coûteux. Quelques bouts de tuyaux raccordés et soudés entre eux là où leur réseau leur était inaccessible et le tour avait été joué. Enfin cela n'avait pas été de tout repos non plus de creuser de petites galeries dans des endroits invisibles aux caméras de surveillance. Les plus menus d'entre nous s'y étaient glissés pour faire les raccordements. Et nous ne pompions que le strict minimum pour ne pas attirer l'attention de la firme. Jamais nous n'aurions pu imaginer que cette eau soit impropre à la consommation, puisqu'elle alimentait aussi les autres dômes, selon les renseignements que Chris avait pu glaner grâce à ses informateurs de l'époque, des ouvriers qui avaient travaillé à l'installation de la station de pompage située juste au dessus d'une grosse nappe phréatique dans le sous-sol du Bidonville. Comment le Gouvernement pouvait-il courir le risque d'empoisonner les asariens  ? C'était à n'y rien comprendre. Mais la surface était gouvernée par des dégénérés mentaux, alors tout était possible. Il nous faudrait à présent une pompe, même petite, pour arriver à approvisionner les quelques récalcitrants qui voulaient finir leur vie dans les Abysses. Et même ça, nous n'avions pas les moyens de nous l'offrir. Ni le temps de le voler ... Si j'avais su ! J'aurais mieux exploré les salles de cette base militaire et j'en aurais probablement dégottée une dans tout le bric-à-brac qui y était stocké. Encore une fois, il était trop tard pour regretter. Je devais penser à la majorité des nôtres qui trouveraient le salut dans les Terres Sauvages. Je devais penser à préparer au mieux leur expédition, leur équipement. Chris viendrait bientôt chercher la liste des armes à distribuer dès l'aube. Je la passais en revue lorsqu'un craquement se fit entendre dans mon oreillette. Max devait avoir fini l'inventaire du stock de vivres et l'avoir réparti en deux. Je m'attendais donc à entendre sa voix mais ce n'était pas lui. Cela lui prenait plus de temps que je n'aurais cru. Il était difficile, là encore de déterminer lequel des groupes devait en avoir le plus. Et même si ce choix difficile m'avait incombé, il devait lui être pénible de suivre mes ordres. Fort heureusement, il n'y avait que des adultes parmi ceux qui avaient décidé de rester. Cela avait facilité les choses aux niveau de l'attribution des denrées destinées aux enfants. La totalité serait pour le groupe de Raven : lait en poudre, riz et pommes de terres, rations de soupe lyophilisée volées dans les camions de ravitaillement des Miliciens. Pour le reste, j'avais demandé à Max de faire des partages équitables et d'ajouter un surplus de viande et de féculents pour ceux qui resteraient. Eux n'auraient plus de ressources extérieures car la Milice les traquerait en surface après le grabuge que nous allions faire, alors que ceux que j'appelais à présent les ITS  pourraient chasser et cueillir dès leur installation et cultiver au printemps prochain des céréales en troquant au village Humain une partie du fruit de leur chasse contre des semences.

J'avais Camille au bout de la ligne et je fronçais les sourcils en entendant ses mots.

- La patrouille de la zone 23 a intercepté un intrus. Enfin une intruse si j'en crois ce que me dit James. Je te le passe ou ...

Je bougonnai:
- Nan, j'ai pas le temps de gérer ça maintenant ... Qu'ils la mettent au frais et j'aviserai quand tout sera opérationnel pour les ITS.
Camille eut une hésitation puis poursuivit soudain excitée
-  J'ai James en ligne, là. Il insiste. Elle prétend connaître Logan ...
Je me figeai en proie à une angoisse sourde.
- Ohh merde ... pourvu qu'elle ne nous annonce pas une mauvaise nouvelle ...
- Non, elle n'a pas l'air au courant de son arrestation, elle a demandé à lui parler ... Soit disant, ils se connaissent. Et elle prétend être, tiens-toi bien, le leader des Pacificateurs, rien que ça !

Je fronçais les sourcils, tenant de me remémorer d'éventuels propos tenus par Logan à ce sujet. Mais rien ne me revenait en mémoire. Logan était un type mystérieux à bien des égards mais aurait-il vraiment pu me cacher avoir été en contact avec une Pacificatrice ? Après tout, on avait tous eu une vie avant de devenir des Insoumis.

- Bon, qu'ils me l'amènent dans la piaule de Logan. J'ai ma petite idée pour la confondre.

- Ok je transmets à James, terminé.

Deux raisons m'avaient poussé à choisir le repaire de Logan pour confronter cette intruse. D'une part le QG était encombré de toutes mes listes, cartes et autres plans. Autant d'indices faciles à collecter pour des indics miliciens. D'autre part, il m'était plus facile de la mystifier en étant dans le petit univers de Logan. Je me hâtais donc vers l'antre de mon ami qui m'avait servi d'infirmerie quelques heures auparavant. J'en franchis le seuil, comme chaque fois depuis sa capture, avec un nœud au ventre. Le t-shirt et la chemise imbibées des sang que j'avais jetés en boule étaient toujours par terre près de l'armoire. Je les ramassai et les cachaient dans un rayonnage de celle-ci, puis je tirai de la penderie un pantalon et une chemise noire, vestiges de l'ancienne carrière de mon ami. Sur la chemise, une étiquette en tissu cousue sur laquelle figurait Cdt Logan Hiddes. Je les enfilais sans mal. Logan et moi avions approximativement la même corpulence. J'étais juste beaucoup plus grand que lui, mais aussi beaucoup plus "mortel" dans l'absolu. Je m'installai sur la banquette devant la petite table où notre leader avait l'habitude de nous recevoir Max et moi pour des bitures mémorables dont bien entendu, étant le seul Humain des trois, je ressortais dans un état lamentable. Je me préparai mentalement à recevoir cette importune. Son irruption dans notre labyrinthe, alors que nous étions sur le point de vivre des heures cruciales pour notre avenir, ne me disait rien qui vaille. Je ne croyais pas aux coïncidences et il y avait fort à parier qu'il s'agissait d'une espionne plus habile ou téméraire que les autres. Mais pas assez pour échapper à nos patrouilles. Elle avait pris un billet sans retour et ça aussi j'allais devoir le décider pour la première fois. Les exécutions de traitres dans les galeries désaffectées étaient toujours de son ressort, comme s'il avait voulu m'épargner la sale besogne alors que j'avais autant de sang sur les mains que lui. Ce soir, j'allais devoir prononcer la sentence et l'exécuter. Logan n'était plus là pour assumer la part la plus sombre des Insoumis.

On frappa à la porte. Je marmonnai un "Entrez" plus bourru que nature et je reconnus la tignasse rousse de James poussant une silhouette devant lui.

- Cette donzelle prétend connaître ...

- Le chef ! Oui d'après ce que j'ai compris! Merci James ! Tu peux aller prendre ta relève avec tes gars ! Bon boulot en tout cas!

Je le gratifiai d'un clin d’œil. Tout fier, il salua de la main avant de disparaître de l'encadrement. Je me levai et tendis la main pour prendre celle de la jolie jeune femme qui se tenait devant moi.

- Mara Jade! Ça fait plaisir de te revoir ! Que deviens-tu depuis tout ce temps ? Comme tu le vois, ce bon vieux Logan n'a pas pris un pet de graisse mais quelques rides probablement ! Tu avais des trucs importants à me dire, à ce que j'ai compris ?

Je farfouillai négligemment dans la boîte à cigares que Logan rangeait sur une étagère au dessus de la banquette et en extirpai un pour l'allumer.

Un beau brin de fille se tenait là devant moi et en d'autres temps, je n'aurais pas manqué de me délecter de sa vue. Mais c'était avant que j'admette que la seule que je désirais était celle que je m'interdisais justement. Une question me venait cependant à l'esprit et qui m'aurait aussi freiné. Quelle relation entretenait Logan avec cette femme ? Si nous n'étions pas des enfants de cœur, nous évitions de marcher sur les plates-bandes d'un autre Insoumis et encore davantage, s'agissant de Logan. S'il avait une liaison avec cette femme qui n'était pas des nôtres, cela pouvait expliquer bien des choses sur sa discrétion au sujet de sa vie amoureuse. En tout cas, il avait bon goût, comme pour les cigares et l'alcool ! Je choisis la stratégie du silence pour laisser la visiteuse abattre ses cartes. Mon artifice n'avait pas fait long feu et j'en étais rassuré. Elle connaissait réellement Logan, au moins de vue. L'allusion à la galerie du Wolverine confirma même qu'elle le connaissait plus que physiquement. J'allumai mon cigare, presque certain qu'elle avait dû en voir déjà un éteint et vissé aux lèvres de notre leader.

Fort bien, elle avait besoin de le voir, mais il ne suffisait pas de prouver qu'on connaissait Logan et d'exiger de le voir pour que je révèle le triste sort qui était le sien. Je ne répondis rien à la demande de la jolie brune et la laissai détailler les raisons de son incursion dans notre royaume de la nuit. Je relevai les yeux et marquai un temps d'arrêt à ses mots. Ainsi cela se confirmait donc, par deux sources différentes. D'abord le contact de Raven qui lui avait lancé un avertissement au sujet d'une pollution de l'eau et de l'air à cause de la décharge et d'une fissure dans le dôme, puis cette femme qui connaissait Logan et venait révéler des faits similaires. La suite de ses propose éclaira encore la situation sous un jour nouveau. Ainsi, les Rebelles et les Pacificateurs s'étaient alliés pour faire face à cette menace. Il fallait qu'elle soit grande pour que le groupe exclusivement dévoué à la destruction des Asariens accepte de s'associer avec les Pacificateurs. Je fronçais les sourcils, dubitatif, consterné. La population du Bidonville semblait condamnée, et si je pouvais entrevoir une solution pour l'eau, je ne voyais aucune échappatoire à la pollution de l'air. Où si j'en voyais une ... Elle me paraissait irréaliste et surtout ... je ne pouvais la mettre en œuvre sans menacer la sécurité des miens et donc sans leur en parler ... Je devais donc me taire pour le moment à ce sujet. Il me fallait d'abord mettre les enfants des Abysses en sécurité. Même si le sort des Humains du Bidonville  où j'étais né et avais grandi ne pouvait me laisser indifférent, ils n'étaient plus ma priorité. Ils avaient choisi de vivre dans la soumission au système, contrairement à nous qui avions choisi la rupture et le bannissement. Ils payaient les conséquences de leurs choix. Mais les enfants, eux, leurs enfants ... n'avaient rien demandé, rien choisi ... et cela me crevait le cœur. Mon regard s'était assombri tandis que je m'étais rassi et l'écoutais les mains croisées, achever de peindre un tableau bien noir. D'un geste, je l'invitai à s'asseoir à son tour tout en jetant un œil en direction du sac qu'elle avait posé. J'eus un petit sourire impuissant avant de répondre au sujet des échantillons.

- Vous connaissez sans nul doute Logan, et c'est bien pour cela que je ne vous imposerai pas une fouille approfondie pour vous délester de vos armes. En revanche, sa pudeur et sa fierté l'auront empêché de vous parler de nos conditions de vie et du grand dénuement dans lequel nous vivons, sans quoi vous n'auriez pas pris la peine de faire le déplacement et de risquer votre vie en venant jusqu'ici... Nous n'avons pas les moyens d'analyser ces échantillons. Nous avons tout au plus des kits de purification anti bactériens, mais certainement pas le matériel nécessaire, ni le personnel formé à cela.

J'hésitai un instant, pensant que Camille était une scientifique et savait peut-être faire ce genre d'analyse. Mais avec quel matériel ?

- Nous serions donc obligé de vous croire sur parole, si nous décidions de vous apporter de l'aide. Malheureusement, comme vous l'avez souligné, nous sommes un groupe de personnes qui ne se mêle plus de la vie en surface. Cette vie, nous l'avons rejetée quand nous avons choisi de vivre dans ces égouts qui évacuent vos déchets.

Je m'avançai par dessus la table et la regardai droit dans les yeux pour qu'elle puisse lire la sincérité dans les miens.

- Cette vie que nous avons choisi ne nous met pas en position d'aider qui que ce soit, quand bien même nous le voudrions. Nous sommes nous même confrontés à un combat permanent pour survivre d’expédients et comme vous le soulignez, nous sommes en première ligne de ce nouveau danger qui menace le dôme Humain. Les Humains qui vivent dans le Bidonville peuvent essayer de s'enfuir vers les Terres Sauvages, ou de se faire héberger par les patrons asariens pour lesquels ils travaillent avec abnégation. Nous, notre tête est mise à prix. Traverser les postes de garde sera plus périlleux, pour nous, et nos enfants qui n'ont pas d’existence légale.

Je voyais à sa mine que ma réponse la décevait, mais elle n'était que le reflet de notre situation réelle. Nous en étions à organiser notre propre exode, et à essayer de mettre sur pied un plan pour sauver Logan. La situation des gens du Bidonville était plus que nous pouvions assumer et venait s'ajouter à nos propres problèmes qui paraissaient déjà insolubles à bon nombre d'Insoumis. Comment pouvais-je encore ajouter un fardeau sur leur dos ?

- Je me doute que tous les habitants du bidonville ne parviendront pas à passer les limites du dôme, mais au moins ils peuvent tenter leur chance. Les miliciens ne se méfieront que lorsque l'afflux sera trop massif et quand le bidonville se désertifiera. Les migrants de la première heure ont une chance de réussir. Essayez peut-être de les faire passer en petit nombre pour ne pas attirer l'attention tout de suite ...

Je baissais les yeux, un peu honteux et me levai pour signifier que l'entretien était terminé mais l'image de l'orphelinat en ruines, la proie des flammes, s'imposa à moi... Je me mis à arpenter la pièce avant de lâcher.

- Si vous avez connaissance de gamins orphelins ou dont les parents refusent de tenter leur chance pour passer les postes de garde, amenez les ici demain matin à la première heure, nous essayerons de les aider ... Pour l'eau ... Je ... attendez une minute.

J'empoignais la radio qui dormait dans un coin de bureau dans la piaule de Logan.

- Camille, ici Adam, tu peux me mettre sur la fréquence de Max, s'il te plait ?

- Ça marche, Adam. Au fait, il y a du grabuge devant la piaule de Karl. Des gars qui veulent aller libérer Logan dès ce soir. Chris est en train de les calmer mais il s'en est fallu de peu qu'ils fassent une sortie  ce soir !

Je tentais de ne rien laisser paraître mais je ne pus cacher entièrement ma tension.

- J'ai dit aucune sortie ce soir et c'est valable pour tout le monde. Ce n'est pas le moment d'attirer l'attention sur nous. Vous me foutez ces mecs au mitard, je prendrais des mesures dès que j'aurais fini de régler un autre problème. Au fait, tu saurais analyser des échantillons d'eau et de terre, des prélèvements de bestioles, insectes ou autre dans le genre ?

- Oui, je sais faire, mais on n'est pas équipés ici. Il faudrait que je m'introduise au dispensaire de nuit ... Enfin ça serait très compliqué, en ce moment  on a relevé beaucoup d'activité nocturne au dispensaire ...

- C'est bien ce que je pensais ... Oui pour le dispensaire, je crois savoir pourquoi ...

Un craquement se fit entendre et Camille ajouta:

- Tu as Max en ligne. La liaison est très mauvaise mais je crois savoir pourquoi moi aussi... tu vas pas aimer ... Reste calme Adam ...

Garder la tête froide, le contrôle, cette faculté d'analyse aussi aiguisée qu'une lame et qui avait fait ma renommée lorsque j'étais un sniper louant ses services, c'était le défi que je devais relever ce soir, alors que le destin de plusieurs milliers d'âmes semblait se rejoindre à la croisée de chemins tortueux et semés d'embûches. Je mis la radio en standby autant pour accorder encore quelques minutes de mon précieux temps à cette femme que pour me calmer comme m'en avait supplié Camille. Quelle autre mauvaise nouvelle pouvait encore s'ajouter à cette journée éprouvante, à cette nuit de fièvre qui débutait ? Elle posa sa main sur mon bras et je me retournai tel un monolithe. Elle ne pouvait pas savoir que je fuyais tout contact physique, à de rares exceptions, depuis que j'avais passé plusieurs jours entre les mains de Van Brënner. Personne, hormis Logan peut-être, ne savait quels outrages j'avais subi. La balafre qui descendait le long de mon bras gauche du pectoral au coude était la seule marque qui pouvait être visible lorsque je tombais la veste et la chemise. Celle que je portais ce soir, celle de mon ami, cachait tout du supplice que j'avais vécu. Je me maîtrisai et esquissai un sourire vague tout en dégageant mon bras qu'elle lâchait au même moment. Je me tournai lentement vers elle.

J'avais écouté tout son laïus par respect pour Logan dont elle se prétendait une connaissance amicale mais j'avais une responsabilité envers les miens et cette loyauté passerait toujours avant tout ce qu'elle pourrait me dire.

- J'ai dit que nous devrions vous croire sur parole, pas que nous en sommes incapables. Je ne pense pas que nous ayons assez de temps devant nous pour refaire des analyses. Concernant Logan, vous pensez avoir compris, vous croyez savoir ce que nous avons perdu en le perdant, mais vous ne savez rien. Notre leader, nous le sauverons nous même ou nous périrons avec lui.

Je fouillais dans les étagères de Logan qui regorgeaient de plans des souterrains qu'il tenait à jour avec minutie. Moi j'avais tout dans la tête, mais lui, bien que connaissant les Abysses mieux que quiconque, avait toujours pensé qu'il était utile de laisser une trace exploitable par d'autres Insoumis, de toutes ces connaissances du labyrinthe des sous sols d'Asaria que nous cumulions à nous deux. Je connaissais sur le bout des doigts le secteur qui s'étendait en direction des Terres Sauvages, lui le réseau de galeries qui s'étendait sous la Cité. A nous deux, nous étions la carte de l'Asaria ensevelie.

- En revanche, vous pouvez nous aider pour approvisionner la population en eau potable. Et il faudra guider les groupes d'enfants en priorité, j'insiste. Pas d'homme en age de se battre, pas de femme valide sauf celle qui attendent un enfant. Vous les mènerez au point de ralliement que je vais vous indiquer sur cette carte. Poursuivis-je en déroulant la feuille sur le bureau ordonné de Logan. Je ne sais pas ce qui vous lie à Logan et je ne veux pas savoir, ça vous regarde. Mais ne prétendez pas savoir ce qu'il est pour chacun d'entre nous et ce qui nous a poussé à devenir des Insoumis. Chaque histoire est différente.

Je pointai mon doigt sur une bouche d’égouts qui se trouvait derrière la Taverne de l'Enfer.

- C'est ici qu'un des nôtres vous attendra avant le lever du jour. Chaque invalide devra avoir deux valides pour le porter. Nous ne prendrons les infirmes et blessés ou les malades qu'à cette condition. Je ne tolèrerais personne qui mette en danger les miens ou les retarde. Vous me trouvez cruel ? Je le suis. La vie est cruelle. La survie, plutôt. Les adultes valides du Bidonville devront partir par les postes frontière. Ils joueront à quitte ou double ? Oui et alors ? Les enfants n'ont pas choisi cette vie. Leurs parents si.

Je soutenais son regard et pouvais y lire toute la détermination d'un esprit forgé dans la souffrance et la lutte incessante. Je comprenais à cet instant ce qui avait pu créer un pont entre cette femme et Logan.

- Vous savez comme moi qu'on ne peut évacuer toute la population du Bidonville par les souterrains. Je choisis les enfants...

Un petit sourire s'esquissa sur mon visage dont les traits étaient tirés et je portai instinctivement ma main à ma hanche, là où la roche avait déchiré les chairs et perforé l'artère fémorale. Un trou probablement de la taille d'une tête d'épingle -- plus gros, j'y serais resté en quelques minutes -- mais suffisamment grave pour que je sois passé à deux doigts de la mort. Un simple balafre se dessinait à présent sur mon aine mais le souvenir de la douleur et de la faiblesse ne s’effaceraient jamais de ma mémoire. Sans Kyra, je serais mort à l'heure qu'il est. Et si j'étais resté en vie, c'était peut-être bien parce que j'avais mon rôle à jouer dans un dessein beaucoup plus vaste. Je repris le contact avec Camille et laissai cette jeune femme, une certaine Mara Jade, prendre connaissance de la carte de notre royaume, du moins la version ébauchée  d'une version qu'avait établi Logan, celle qui se trouvait sous le Bidonville.

Je me concentrai sur ma conversation plus que laborieuse avec Max.

Devenir leader par intérim, surtout par les temps qui courraient, n'avait rien d'une sinécure et je m'étais bien douté en finissant par accepter cette responsabilité, que tôt ou tard des qualités primordiales pour l'assumer, telles que la maîtrise de soi, la mesure, le recul nécessaires pour analyser les situations et le sens des priorité seraient fortement sollicitées. Je m'étais préparé à affronter les Miliciens, la mort, la peur, la souffrance une fois encore, mais pas la colère qui me submergea en entendant le ton de la voix de Raven. Cette petite merdeuse se permettait de m'envoyer chier et me tapait une crise de jalousie en direct devant plusieurs témoins, si j'en croyais le brouhaha couvrant partiellement les paroles incendiaires qu'elle me destinait. J'avais les yeux encore écarquillés quand je récupérai la communication avec Max. Et il s'en fallut de peu qu'il entende un tonitruant "espèce de merdeuse de peste de mes deux" mais ce cortège fleuri se transforma devant mon invitée de prestige en un très contenu

- Raven on en reparlera lors du débriefing quand la base 2.0 des Insoumis sera fonctionnelle et j'espère que tu auras des arguments plus convaincants à me présenter.

Je perçus un remue-ménage encore plus grand de l'autre côté de la ligne et j'entendis la voix de Max sans comprendre ce qu'il disait. Puis le silence se fit. Un crachotement, comme si le porteur du récepteur se déplaçait.

- Max, t'es toujours là ? J'ai bien reçu et je me doute que ça ne va pas être simple de trouver ce matos. Comme je disais, fais au mieux ... Ramène ce que tu peux trouver. Tiens j'ai une idée!  T'as qu'à vendre ma vieille Harley qui est remisée dans le tunnel de mécanique. Ça te fera plus de budget. Ça devrait appâter ton intermédiaire.

Ma passion pour cette bécane était aussi légendaire chez les Insoumis que le cigare de Logan et je perçus un blanc.

- Y a de fortes chances que j'en revienne pas demain, donc autant la revendre ... Max je sais pas si tu me reçois encore ... Rendez-vous le plus tôt possible au QG. Et veille sur les fesses de Raven ...

Je me retins de demander qui était le beau gosse mentionné plus tôt. Étaler mes histoires de cul devant une étrangère, c'était pas trop le style de la maison et d'ailleurs, c'était même pas encore des histoires de cul... Mais plutôt, depuis le début, une prise de tête.

Je coupai la radio et je me tournai vers mon invitée.

- Vous avez mémorisé l'entrée où vous devez nous rejoindre ? Ne vous aventurez pas dans les galeries sans nous. On va préparer de quoi protéger nos arrières et ça risquerait de vous péter à la gueule. Les Humains du Bidonville qui se joindront à nous devront obéir au doigt et à l’œil à Raven. C'est une ... dure à cuir mais elle connait le chemin et les Abysses.

Je m'efforçais de dissimuler le tremblement de ma voix dans laquelle l'admiration et la colère se mêlaient probablement, comme souvent quand il était question de Raven. Une des observations de Mara Jade me tira un sourire triste.

- Et je me doute un peu, figurez-vous, qu'aucun môme du Bidonville n'a envie de devenir orphelin. Ma famille à moi c'est les Insoumis et ils passeront toujours avant à mes yeux. Je suis un putain d'égoïste. Je ne suis pas Logan, je n'ai pas sa grandeur d'âme et je me fous que vous soyez la reine de Saba ou une pute d'un bordel miteux. Vous voulez sauver ces gens, moi j'ai d'autres objectifs. Certains de nos buts vont dans le même sens. Alors ils feront un bout de route avec nous, mais c'est pas une putain d'alliance qui débute.

Je descendis le verre de whisky que je m'étais servi. La chaleur familière au creux du ventre me fit oublier un instant le froid qui avait envahi mon cœur à l'évocation de l'orphelinat.

- Faites toutes les alliances que vous voulez avec ces putains de Rebelles. Les Insoumis, eux, n'ont pas d'alliés. Ils ne font que des choix individuels, et c'est ce que je fais ce soir. C'est ce que vous a proposé Logan ce jour-là : une main tendue, parce qu'il en avait envie. Il avait ses raisons, tout comme j'ai les miennes. Ça n'engage aucun autre Insoumis envers vous et les vôtres au delà de ces galeries. N'allez pas croire qu'on va fonder une colonie inter communautaire avec vos buveurs de tisane de mes deux, si jamais on arrive jusqu'aux Terres Sauvages. Contrairement à vous, je ne crois pas à la bonté d'âme des Humains et des Asariens et je ne pense pas qu'on soit faits pour vivre ensemble. Ça vous étonne ? Ce qui soude les Insoumis, c'est la nécessité d'avoir chaque jour de quoi manger, boire et respirer. Je ne crois qu'en moi-même et en la rage de vivre des Insoumis.

Je fronçais les sourcils, soudain conscient de mon changement d'humeur et sans me radoucir dans le ton, je nuançai mon opinion par des propos plus posés.

- Bon, on peut faire quelque chose pour vos gamins et vos invalides. On les conduira hors des Dômes et on les hébergera comme on pourra le temps qu'ils s'organisent. Vous avez ma parole. On verra ce qu'on pourra faire pour l'eau. Si on a besoin de votre aide, on vous fera signe. Mais ça n'ira pas au delà.

Je n'étais pas certain que des Pacificateurs ne connaissant pas les galeries et les dangers de la rivière souterraine soient une aide pour installer cette fichue pompe. En revanche, si Max ne revenait pas avec le matos au complet, ils avaient peut-être plus de finances et de relations pour s'en procurer. Je devais déjà voir comment j'allais pouvoir mettre en œuvre le plan en trois actes qui venait de germer dans mon crâne d'insoumis. Tout dépendait de sa réussite. Même si je faisais tout pour dissimuler la pression qui pesait sur mes épaules, cette fille avait apporté une responsabilité supplémentaire en cadeau. Sacrée mère Noël ! En attendant, ce n'était pas à elle que j'avais envie de flanquer une bonne fessée, mais à une certaine blondinette.

- Maintenant, sans vous mettre dehors, je suppose que vous avez comme moi une longue nuit qui s'annonce. Je vais donc vous faire raccompagner jusqu'à la sortie des égouts.

Je me redressai et mesurai à quel point la fatigue était ma compagne fidèle depuis plusieurs jours. Quelques heures de sommeil seraient indispensables si je voulais avoir les idées claires avant de lancer mes équipes sur leurs missions, avant de libérer, enfin, Logan. Mais j'avais encore quelques points à régler, notamment au sujet de la désobéissance et des rôles de chacun demain. La réunion au QG promettait d'être longue, et notre nuit de sommeil, courte, très courte. Mara Jade s'apprêtait à repartir vers les siens, qui qu'ils soient vraiment, et je ne pus m'empêcher de refermer ma poigne sur son bras pour avoir toute son attention.

- Miss Jade, me la faites pas à l'envers, soyez réglo et on dira que vous ne me devez rien. Si vous faites un accroc à notre plan, je vous donne ma parole qu'un de mes gars nettoiera le problème. J'espère que vous ne vous servez pas de ces gosses pour atteindre les Insoumis. Touchez à ma famille et vous pleurerez la vôtre.

Curieuse façon de prendre congé d'un invitée prestigieuse, mais je m'étais toujours méfié du prestige et des leaders auto-proclamés. Le seul qui avait mon entière confiance croupissait au fond d'un cachot depuis trop longtemps. Je n'avais jamais compris comment Logan et son groupe avaient pu tomber aussi facilement dans une embuscade. Malgré tout, je ne pouvais envisager un traître parmi nous, encore moins en désigner un. Peut-être bien que la trahison venait d'une connaissance de Logan hors de notre groupe. Quelqu'un qui l'aurait espionné ou fait parlé sans qu'il en ait conscience. Ça paraissait incroyable que Logan se soit ainsi fait berner, mais chaque homme a ses faiblesses. J'étais bien placé pour savoir que la sienne était de ne pas supporter le vice et la lâcheté. Alors, une fille courageuse et angélique en apparence comme cette Mara Jade aurait-elle pu le toucher assez pour lui soutirer des renseignements à son insu ? Difficile à croire. Mais,oui, tant de choses incroyables pouvaient résulter de ce que nous devions supporter au quotidien...

HRP:

HRP : Merci pour ce Rp