(Terminé) [Intrigue: Le Réveil ] Chaque aube est un espoir (pv tous les Insoumis)

Ce RP fait suite à Children of Abyss


Chaque aube est un espoir
Chaque crépuscule un oubli.

J'avais écris cela, il y avait longtemps, dans la marge d'un vieux livre que j'avais trouvé sur les rives de la décharge quand je n'étais qu'un gamin belliqueux et solitaire qui plaisait trop aux filles et narguait trop les plus grands parmi les garçons. Bien sûr cela ne dura qu'un temps et bientôt plus aucun ne put rivaliser avec ma masse musculaire. Mais durant une période, je me mettais systématiquement en situation de prendre des raclées, comme si ces plus grands, ces plus forts, se substituant au père que je n'avais pas, pouvaient dessiner les limites que je devais me fixer. En y réfléchissant bien, j'ai toujours cherché ces limites, inconsciemment. Il est très difficile à un enfant de se construire sans modèle. L'orphelinat proposait une structure  qui nous cadrait, mais pas une cellule familiale aimante, même s'il y avait une forme d'affection entre les enfants. Petit, j'avais longtemps fantasmé une mère aimante,qui me tiendrait dans ses bras pour m'endormir le soir ou me consoler d'une injustice. Plus grand, c'était le père que je cherchais en me frottant à de plus vieux, de plus grands que moi. Je l'avais compris avant même de tomber sur ces bouquins abîmés qui dérivaient dans le dépotoirs de la décharge. Les Asariens jetaient vraiment n'importe quoi. J'allais à la "pêche" tous les jeudis. C'était le jour des déchets papier. Je récupérais des livres orphelins et boiteux, des estropiés largués du haut de containers volants venant d'Asaria la Blanche et Belle. Il y avait Spinoza qui essayait de différencier ce qui est éphémère de ce qui compte dans l'approche de la sagesse. Pour un gosse qui ne cessait de défoncer les lieux communs de la sagesse établie, l'Ethique et le Traité sur l'Entendement étaient de vraies énigmes mais aussi des braises jetées sur une terre de glace. Quand je trouvai ces ouvrages dans la vase putride des berges de la décharge, je n'avais pas les clefs pour lire et comprendre leur contenu. Mais je gardai précieusement ces livres blessés dans une toile huilée. Comme on réserve un bout de pain pour les jours faméliques. Je n'ai aucune foi. Je ne crois qu'en mes poings. Du moins je ne croyais qu'en mes poings avant de plonger dans l'eau avec elle. Avant de devoir lutter pour notre survie et de poser sur elle ce regard que je ne m'autorisais pas auparavant... Je n'avais longtemps cru qu'en mes poings pour survivre et en la fraternité étrange des Insoumis pour me donner une raison de le faire.

Mon esprit essayait, pourtant depuis longtemps, par des sursauts, de s'ouvrir à certaines idées, j'en ai à présent conscience. Toute la période où j'avais été ce sniper halluciné ne vivant que pour tuer, j'avais remisé cet éveil, je l'avais ajourné pour des jours futurs. Inconsciemment. C'était Logan, sans le vouloir, qui m'avait amené à retourner à ma planque pour récupérer mes maigres possessions, constituées pour la plupart des rebuts de la société asarienne. Bouquins, revues, photos, dessins d'enfants, disques compacts démodés. Le tout récupéré dans la décharge. Le reste étant acheté au marché noir du bidonville comme mes vêtements, mes pompes ou mes crayons et mon papier. C'était lui surtout qui m'avait incité par sa conduite, ce geste incroyable qui m'avait tiré des griffes de la Milice, à lire ces bouquins trop complexes au départ. Son geste dépassait mon entendement mais lorsqu'il me l'avait expliqué, puis lorsqu'il m'avait confié le cheminement de son esprit qui l'avait mené à me tirer de ma cellule puis à fonder avec moi le refuge des Insoumis, j'avais compris. Lorsqu'il avait dit "On refuse certaines choses, on ne veut pas les subir ou en être complices, et ça nous fait un point commun, et ça fait qu'ensemble on est plus fort. Si on réunit tous les gens qui ne veulent pas subir ou être l'instrument, ceux qui refusent de se soumettre à cette logique de la souffrance et du malheur, on sera ..."  j'avais ajouté "Des Insoumis, finalement c'est ce qu'on est toi et moi, Logan... Tu penses qu'il peut y en avoir d'autres ? Tout ce monde a l'air tellement résigné à vivre dans la peur et la violence." Et il avait répondu "il suffit d'un déclic et chacun a le sien Adam. Regarde, moi j'étais ce Milicien qui faisait son job. Tu n'aurais pas parié un dollar que je serais en fuite avec toi un jour, pas vrai. N'oublie pas qu'entre le héros et le bourreau, tout est affaire de circonstance et de résistance. On sera nombreux, tu verras. On l'est probablement déjà mais on est dispersé. Si ces gens-là savent qu'il y a un endroit où se regrouper alors ils viendront..." J'avais pris conscience de certains choses au sujet du monde qui nous entourait.

Il avait raison. Ils étaient venus, de plus en plus nombreux et même, certains étaient déjà là, réfugiés de l'ombre, tapis dans les Abysses, attendant une voix fédératrice. C'est alors, en pensant aux paroles de mon sauveur et nouvel ami, que j'avais ressorti mes reliques de leur toile et que j'avais ouvert ces livres avec un regard nouveau. J'avais lu Spinoza, et si mon esprit bourru et non éduqué avait du mal à saisir tous les mots de cette narration élégante, le fond me parlait. La notion de sagesse en opposition à celle de la luxure. Celle de la bienveillance au service de l'intérêt de tous, résonnait aussi en moi. La dénonciation de l’aliénation des masses par des dogmes religieux ou idéologiques aussi. Le don de soi en faveur du nombre, la réalisation de soi à travers une communauté nécessiteuse portée par des besoins concrets et non des idées. La remise en question des percepts proposés de toute forme supérieure par l'inférieure. Je trouvais cela brillant même si peu applicable dans ma réalité. Ces ouvrages m'éclairaient pourtant sur le fait que la "Civilisation", ainsi ce mot apparaissait-il dans tous les ouvrages intéressants que je repêchais dans la décharge, avait connu un degré de développement et de pensée équitable autrement plus évolué que celui d'Asaria. Ce type avait vécu quatre cents cinquante ans avant moi et parlait déjà des mêmes problèmes.

Bien avant, je lisais déjà mais un instinct assez primaire que la rue m'avait enseigné m'obligeait à tenir toutes ces lectures et réflexions comme aveugles et mortes. Je comprenais plus la poésie que les ouvrages philosophiques, mais je ne disais mot. Seul Apollinaire avait pu me toucher, non pas avec son Pont Mirabeau que je trouvais certes beau à lire, mais par ces quelques vers de l'Adieu. C'était un poème court qui convenait au sniper solitaire que j'étais, disant adieu à sa vie et, peut-être, à un être cher imaginaire.

J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends

Jeko, celui qui m'avait appris à vivre en homme, goutait peu à ces fadaises. Il les trouvait bien balancées, comme les filles de joie qui trainaient dans les beaux quartiers où nous allions buter du gratin. Mais, il disait que c'était des mots de bourgeois idéalistes et confortables, que c'était pas fait pour des gars comme nous, qu'on ne pouvait pas s'encombrer la tête de ces choses ni trop réfléchir. A regrets et conscient du talent qui crépitait sous ces pages jaunies, je m'étais rangé à son avis. Puis, un matin alors que je pissais contre un poteau de la clôture de cette foutue décharge, après une nuit de picole assez sévère, j'étais tombé sur Krzysztof Kamil Baczyński. Allez savoir pourquoi alors que les livres nous parvenaient tous plus ou moins pourris lorsqu'ils étaient jetés par les Asariens les jugeant indignes ou inintéressants, celui-ci avait atterri dans la boue séchée, presque indemne et le nom de l'auteur très lisible malgré sa graphie particulière. Il y avait un poème intact, parmi les pages souillées, une élégie aux enfants polonais. Et la première fois que je l'ai lu, j'ai cru entendre une voix s'élever, relatant notre vécu et notre avenir. Pourtant ce poète avait vécu et était mort il y avait déjà plusieurs siècles, mort en combattant.


"Ils t’ont coupé de tes rêves, mon petit, des rêves papillons frémissants,
ils ont brodé tes yeux tristes, mon petit, de sang rougeoyant,
ils ont peint les paysages de points de croix ardents,
ils ont brodé de pendus la mer des arbres flottants.

Ils t’ont fait apprendre ta propre terre par cœur, mon petit,
quand tu cisaillais ses sentiers de longs sanglots de fer.
Ils t’ont fait croître dans l’obscur, et d’un pain d’effroi t’ont nourri,
à tâtons, tu as longé des humains les plus affreux sentiers amers.

Tu es sorti, lumineux enfant, une arme noire dans la nuit,
Et le mal, tu l’as senti se hérisser dans le temps qui bruit.
Avant de tomber, tu as encore de ta main le sol natal béni,
Était-ce une balle ou bien ton cœur qui alors se fendit ?"

Alors que je luttais entre deux eaux, alors que mon corps se vidait de son sang par cette artère déchirée lors de mon périple, alors même que je l'avais constaté consciemment, ce n'était pas la préoccupation de mourir qui affleurait à mon esprit mais bel et bien de comprendre pourquoi je mourrais et vivais. J'étais cet enfant décrit dans le poème. Je rejoignais tous les enfants qui avaient partagé cette malheureuse circonstance à travers les siècles. Je ressentais leur présence mais surtout celle, plus proche d'autres enfants d'Asaria tombés sous les balles ou ayant sombré dans la peur et la soumission. Tous ces morts ou ces blessés perdus à jamais, leurs âmes broyées. Je m'agitais un peu dans mon délire et cela inquiétait peut-être Alexandra ou Kyra.

Puis le calme était revenu et une douce chaleur m'avait envahi. Un bienêtre qui aurait perturbé l'homme éveillé que j'étais avant. Je ne m'étais jamais senti aussi aimé sauf peut-être quand Raven m'avait embrassé. Ou était-ce moi qui l'avais embrassé ? Mais c'était un amour différent. Raven c'était la glace qui tempérait le feu brulant en moi ou l'inverse, c'était la confrontation de ma capacité à aimer l'autre, c'était déposer les armes et ouvrir les bras. C'était accepter une main qui caresse mes cheveux, un regard qui voit mes faiblesses. Ce que je ressentais allongé sur le lit de Logan, inconscient, était bien différent. C'était un amour inconditionnel et imposé. Un amour pouvait-il s'imposer ? Se pouvait-il qu'on soit obligé d'accepter ce don ? Cette douce sensation que je n'avais pas le souvenir d'avoir connue et qui ne m'était pourtant pas étrangère ne s’apparentait pas à l'amour qu'un adulte peut éprouver pour un autre. Cette sensation de sécurité, d'osmose, et de satiété, mon corps ne l'avait éprouvée que lorsque je n'étais pas encore né et ce flashback, s'il était confortable sur le moment, m'infligea un douloureux retour à la réalité présente. Bien entendu, j'étais bien incapable de l'exprimer ou de le ressentir de façon cohérente sur le moment, mais je le comprendrais en apprenant la transfusion dont j'avais été l'objet, de la bouche d'Alex et si c'était une sœur des Abysses qui m'avait donné son sang pour me sauver, je l'avais ressenti comme un retour dans la matrice maternelle, à l'abri dans un cocon d'amour que je n'avais plus connu depuis que la mort m'avait arraché mes parents c'est à dire approximativement vingt huit ans auparavant.

Lorsque j'avais repris conscience, il avait fallu verbaliser et traduire en sensations acceptables ce que je venais de ressentir. Mon pragmatisme minimaliste avait alors repris le contrôle et j'avais exprimé ma reconnaissance, ma joie et mon soulagement de façon très succincte à mes sauveuses, Alexandra et Kyra. Max était dans le registre mâle inquiet pour celle qui s'était imposée comme son binôme de façon presque naturelle. Il m'avait fallu rassurer tout ce petit monde. Leur regard était parlant quand à leur inquiétude sur ce que j'avais risqué. Il leur avait fallu se rassurer mutuellement aussi avant que le calme ne revienne dans la grotte de Logan, nous offrant un repos bien mérité. Ma perte massive de sang expliquait mes délires et toutes les dérives oniriques qui en avaient résulté. Pourtant Spinoza, Apollinaire et Baczyński restaient rivés à mon âme au moment du réveil et il m'avait fallu les remiser dans mon esprit. Leur conscience spirituelle se heurtait, dans celui-ci, aux nécessités du moment. Un visage et une pensée s'imposaient à présent à moi avec une exigence vitale. Raven. Où était-elle ? Comment allait-elle ?

Après avoir donné des ordres, puisqu'il fallait bien que je m'habitue à cette nouvelle obligation, concernant celle qui était mon souci premier, je m'adressai à Max.

- Confirme la réunion à Camille pour ce soir huit heures et demande lui de diffuser le message dans quatre heures. D'ici-là tâchez de me ramener Raven... Il était parti puis j'avais sombré à nouveau.


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J'avais dormi quelques heures après avoir donné mes ordres et le bloodhaler de Kyra avait achevé d'opérer le miracle dans mon organisme. Je me doutais des questionnement d'Alex à ce sujet. Elle gardait une défiance naturelle envers les pouvoirs asariens et j'allais très certainement devoir la rassurer. Mais ce n'était pas à l'ordre du jour de ma prise de parole. J'étais assis sur le bord du lit, contemplant Alex et Kyra endormies. Je me décidai à secouer doucement l'Humaine et l'Asarienne qui dormaient sur une banquette et un fauteuil près du lit de Logan.

- Je suis désolé de devoir vous réveiller mais je pense qu'il est l'heure de tourner une page de notre Histoire. Kyra, rejoins Max pour vous organiser dans la recherche de Raven, et toi Alex, tu vas devoir m'aider à me changer. Je vais emprunter des vêtements de Logan, je ne peux pas me présenter comme ça avec ces habits tâchés de sang devant les nôtres.

Je focalisai mon attention sur Kyra qui était certainement la plus affaiblie des deux et je tendis ma main pour attraper la sienne. Habituellement je n'étais pas très tactile mais ce que nous avions partagé, ce qu'elle avait fait pour moi, créait indubitablement un lien

- Ça va aller Kyra ? Si tu te sens trop groggy pour accompagner l'équipe de récupération, n'hésite pas à le dire à Max. De toute façon il va te le demander comment tu te sens. Ne lui mens pas. Tu as déjà sauvé l'un d'entre nous et on ne veut pas risquer de te perdre. Si tu es trop épuisée, fais-toi remplacer.

Je me levai pour ôter mon t-shirt. Ma chemise, elle, gisait déjà en boule au pied du lit, imbibée de sang. Mon t-shirt ne valait guère mieux et je leur jetai un regard étrange mais pas impressionné. J'avais déjà pissé le sang en maintes occasions. Mon torse nu et mon dos avaient de quoi impressionner par leur musculature, certainement, mais plus encore par les cicatrices que la vie y avait laissé. Je souris pour rassurer Alex tout en passant devant le miroir et le lavabo de Logan pour me rafraîchir. Puis je me dirigeai en titubant vers l'armoire métallique de Logan dans laquelle il rangeait ses tenues peu diversifiées. Plutôt paramilitaires ou sportives. Je pris un pantalon noir et une chemise kaki. Je les enfilai en grimaçant sous l’œil circonspect de mon ange gardien. Puis je me tournai vers elle en souriant.

- Alors ? Qu'en pense-tu ? Je suis présentable comme ça. Bon ok, un peu pâle mais on n'est pas tellement connus pour avoir des couleurs dans les Abysses.

Je repris la Kalach que mon escorte avait posée dans un coin de la pièce et je passais les munitions en bandoulière. J'en avais besoin pour prouver ce que j'allais leur annoncer.

- Tout le monde doit y être maintenant. Je vais au Terminal de la gare du métro. Alex, tu devrais aller au poste de soins si Raven revient blessée

Je sortis à l'extérieur de la piaule de Logan et entrepris les premiers pas qui me menaient à nouveau vers ce pont roulant que j'avais choisi comme tribune. J'étais à présent fermé et concentré sur ce que j'allais annoncer au peuple des abysses, aux miens. Rien n'aurait pu me détourner de ma détermination ni dévier les mots qui tournaient dans mon esprit. Nous étions à la veille d'un grand bouleversement qui n'avait été possible que parce qu'une asarienne venait de me sauver la vie, une fois encore, après Logan. J'évitai de me poser cette question qui semblait pourtant légitime. "Pourquoi moi, encore une fois ? "  Je pensai à Jeko l'espace d'une seconde, me demandant ce qu'il penserait de tout ça. Puis mes pas me menèrent vers une rumeur familière. Je gravis les barreaux de cette échelle et m'avançai sur le ponton métallique. La foule était encore plus impressionnante que la dernière fois. Je cherchais vainement un visage espéré parmi tous ces visages.

- Mes amis, mes frères, mes sœurs. Mon absence, mon silence vous ont sans doute parus longs et peu appropriés alors que vous bouillez d'impatience de tenter quelque chose pour Logan.

Une clameur vigoureuse s'éleva des rangs serrés en contrebas.

- Elle était pourtant nécessaire pour mettre au point un plan qui offre une perspective de succès pour sa libération mais garantisse également la sécurité des plus vulnérables d'entre nous. Nous sommes un village, nous sommes une communauté. Parmi nous, des enfants, des ancêtres et des femmes enceintes. Il est hors de question que nous agissions sans penser avant tout à protéger les nôtres. C'était la volonté de Logan. Défendre le plus grand nombre. Je me dois de rester fidèle à cet esprit, même si nous avons tous envie d'aller frapper contre le portail blindé de la Milice, d'arracher les barreaux de leur sale prison, de libérer Logan et tous ses compagnons par la même occasion.

- Ouais ! Faisons-ça ! Allons-y ! Hurlèrent certains.

- Yaaaa!  Allons leur faire bouffer leurs couilles à ces putes de Miliciens !

- Non, nous n'irons pas ! Pas comme ça du moins. Pas maintenant.

La foule grondait de mécontentement et des noms d'oiseau fusaient à mon encontre. Je souris  puis fronçai les sourcils avant de lever la main pour exiger le silence.

- Ceux qui savent se battre, ceux qui sont en bonne condition pour le faire, vous vous réunirez devant l'arsenal afin qu'on vous équipe. Ceux qui sont blessés ou trop fragiles pour le faire, vous réunirez tout ce que vous pouvez porter et aiderez les impotents. Vous avez la nuit pour vous préparer. A l'aube ceux qui me font confiance se mettront en route pour les Terres Sauvages avec à leur tête Raven Hunt, dès qu'elle sera revenue de mission. Un groupe armé les escortera. Un second sécurisera les Abysses et assurera les arrières que ce soit pour ceux qui partent ou pour ceux qui restent. Un troisième dont je prendrai la tête, s'introduira dans le bâtiment de la Milice.

Un murmure de protestation parcourut la foule et je croisai bon nombre de visages familiers incrédules.

- Pourquoi on quitterait les Abysses ? C'est chez nous ici !

- Parce que lorsque nous allons attaquer les locaux de la Milice pour  libérer Logan, des représailles vont s'abattre sur nous si nous restons. Ils s'en prendront aux plus vulnérables. Je n'obligerai personne à partir parce que j'estime que chacun a le droit de choisir et de préférer mourir dans ce qu'il estime être sa maison.

- Pourquoi on n'attend pas Logan pour partir ?

- Parce qu'il ne le voudrait pas. Parce que c'est trop risqué.

- Qui va décider qui va prendre part à sa libération ?

- Moi et personne d'autre !Je choisirai qui m'accompagnera.

- Pourquoi ? Parce que tu te considères comme notre leader ? Et si moi je dis qu'il vaut mieux un groupe d'Insoumis Asariens pour aller le tirer de là ?

Je levai les mains en signe d'impuissance et d 'embarras.

- Si tu dis ça, je dis que tu n'as pas ta place parmi nous. Ici, il n'y a pas d'Asariens ou d'Humains. Il y a des Insoumis. Et je dis que l'Insoumis que je suis a un plan pour libérer Logan, et aussi un endroit à vous proposer pour vivre mieux tous ensemble, ailleurs que dans des tunnels humides. Je dis que j'ai de quoi assurer notre sécurité  et notre confort pour plusieurs années et que c'est plus qu'on n'a jamais pu espérer. Maintenant, concernant Logan, si quelqu'un connait les locaux de la Milice pour y avoir séjourné durant plus d'un mois, si quelqu'un a une connaissance approfondie de l'utilisation des armes lourdes des Miliciens, et aussi des armes semi légères d'assaut, si quelqu'un a déjà été mercenaire, si quelqu'un a déjà été considéré comme un tireur d'élite à abattre par la Milice, parmi vous, qu'il s'avance. Je l'enrôle tout de suite pour me seconder dans l'entreprise. Mais le boss c'est moi sur ce coup. Parce que j'ai une dette envers Logan et que je pense être le mieux placé pour la régler.

- Ok, tu restes avec d'autres pour libérer Logan, mais nous pourquoi tu veux qu'on aille dans les Terres Sauvages ? On va se faire tirer comme des lapins à découvert. On est recherchés, on pourra pas crécher au village sans mettre sa population en danger. Et puis merde! On est des Insoumis, pas des putains de villageois ou des paysans, sans vouloir leur manquer de respect.

- Hors de question d'aller au village bien sûr. Notre présence attirerait la Milice et des ennuis pour sa population. On commercera sans doute avec eux dans l'avenir mais on le fera en toute discrétion et hors de question d'y séjourner en grand groupe ou plus d'une nuit. Ce sera la règle.

- Mais bordel, on va s'installer où si on va dans les Terres Sauvages alors ?

- Dans un lieu où seuls ceux qui choisiront de changer de vie peuvent aller. Je n'en dévoilerai l'emplacement qu'au groupe chargé de la sécurité de ceux qui sont partant, afin de préserver le secret de sa localisation. Imaginez simplement des galeries plus vastes, mieux aménagées, des abris plus confortables, et sains donnant sur de vastes territoires de chasse à la place du Bidonville. Plus de famine, plus d'épidémies, plus d'humidité. Moins de Milice.

- Mais le soleil ! Nous les Asariens, on ne pourra pas sortir la journée! Ça nous rendra inférieurs aux Humains !

Je souris tout en montrant le viseur infrarouge qui équipait ma Kalachnikov.
- Vous pourrez chasser la nuit puisque vous avez une excellent vision nocturne, même sans ça. Et rien ne nous empêchera de continuer à commercer aussi avec le Bidonville, ça sera juste plus loin. Mais tu as raison Spencer, chacun doit bien peser le pour et le contre pour lui-même. Si tu penses que tes quelques sorties en journée dans le Bidonville pèsent plus lourd dans la balance qu'une vie dans un lieu plus sain et capable de nous nourrir tous, alors tu dois rester.  Par ailleurs, imprime bien ça dans ta caboche de con. Si tu raisonnes encore en terme d'infériorité ou de supériorité devant moi concernant les Insoumis, alors je me ferai un plaisir de te faire griller moi-même au soleil. Parce que putain, ça me donne juste envie de te coller une balle entre les deux yeux de t'entendre avancer de tels arguments.

L’épreuve qui s'annonçait allait sérieusement mettre à l'épreuve la cohésion du groupe et la confiance que certains m'accordaient, confiance apparemment limitée et à gagner encore. Pouvais-je les en blâmer ? Pas vraiment. La confiance était toujours le plus difficile à obtenir d'un Insoumis et cela restait valable entre nous. J'avais quelques alliés cependant mais la plupart d'entre eux était occupé à aller à la rencontre de Raven ou au poste surveillance ou  de soins, à moins qu'ils n'aient rallié la foule en abandonnant exceptionnellement leur poste ce qui leur vaudrait mon pied au cul.

- Si vous avez des questions constructives, je suis prêt à y répondre. Sinon je vous donne rendez-vous à l'aube pour l'organisation des groupes et le départ des volontaires.

Les Voix des enfants des Abysses bourdonnaient, grondaient tel un torrent dont l'impétuosité enflait au fur et à mesure que le saut s'affirmait comme inéluctable. Ce saut dans l'inconnu que je symbolisais à leurs yeux. Moi qui avait toujours étouffé dans les souterrains, qui recherchait à grands risques la liberté des Terres Sauvages, cette échéance me rendait impatient, alors qu'elle terrorisait certains. Me souvenant de la bienveillance et de l'infinie patience de Logan envers chacun d'entre nous, je m'efforçais d'en démontrer aussi, mais mon caractère fougueux avait du mal à s'accommoder à cette nouvelle tempérance doublée d'une détermination infaillible. Ici je n'étais plus à l'Underword où je pouvais partir en claquant la porte quand quelqu'un m'énervait trop, où je pouvais régler un litige à coups de poings. J'étais le leader improbable d'une nouvelle mutation des Insoumis vers un avenir incertain et effrayant. Choisir entre le connu dont l'avenir était limité et condamné à brève échéance et l'inconnu que j'incarnais et qui supposait de partir sans Logan était certainement le cas de conscience et le choix le plus difficile à imposer aux Insoumis. Je secouais la tête gravement et eus un sourire plein de tendresse envers cette foule indisciplinée. La seule famille que j'ai eu depuis longtemps. Il faudrait que je trouve un jour la force de leur avouer ce qu'ils étaient vraiment pour moi, tous. Mais la pudeur et la rudesse sont ennemies des paroles. Les mots n'acceptaient de naître que couchés sur le papier lorsque j'exposais ce que je ressentais. Raven avait ouvert une brèche mais le roc était dur et il faudrait du temps et de la confiance bien davantage pour livrer plus. Avouer un attachement, c'était encore pour moi  l'exposer et risquer de le perdre. La capture de Logan, pour qui mon amitié était connue de tous, n'allait pas me faire voir les choses différemment, bien au contraire. Leur montrer le chemin, être leur guide, j'y étais déterminé. Leur montrer l'amour que j'avais pour eux, ça devrait attendre. Le caractère de l'homme que j'étais n'y était pas enclin. Son vécu ne l'y incitait pas. Mais ils pouvaient compter sur mon dévouement et mon abnégation. Ils étaient même loin d'imaginer ce que je pourrais faire pour eux.

Mon cœur sursauta lorsqu'il reconnut sa voix et mes yeux la cherchèrent dans la foule. Je la repérai sans mal, apostrophant les râleurs, flanquée d'Alexandra, de Wade et de Max. L'un après l'autre, ils s'exprimèrent pour soutenir mes mots et leur confiance me fit vaciller sous le coup de l'émotion avant de faire naître en moi un intense sentiment de responsabilité. Je pinçai les lèvres puis souris, les yeux soudain brillants. La famille d'un homme est celle avec qui il tisse des liens indissolubles. Je regardai mes pieds, m'efforçant de retenir les larmes qui montaient à la vue de cette poignée de personnes avec lesquelles j'avais traversé tant d'épreuves mais aussi partagé des engueulades mémorables, des crises de rire, plus rares. Bon sang ! Ils étaient tous là. L'image de Logan s'imposa alors. Ses bras musculeux croisés sur son torse imposant. Son sourire, son cigare, sa façon de nous pointer du doigt quand il distribuait ses ordres. Son air concentré devant le miroir lorsqu'il se rasait et que j'allais le déranger pour poser des questions angoissées sur les missions du jour. Notre fuite à travers le bidonville après qu'il aie mis KO plusieurs des siens pour m'emmener avec lui. Cette sensation terrifiante que quelqu'un venait de mettre sa vie en jeu parce qu'il m'accordait de la valeur. Les larmes coulèrent finalement  lorsque je l'entendis dans l'oreillette. Ses paroles se superposaient à celles de Raven. "Petit con, tu pèses peut-être le même poids que moi, tu es plus grand, mais j'ai quelques années de plus au compteur et si je te dis que les filles c'est une source à emmerdes, tu peux me croire. Et les mecs comme toi et moi, on n'attire pas les plus simples d'entre elles."

Je me tournai vers la foule et je levai la main. Je me foutais bien qu'ils voient tous que j'étais un être humain capable d'émotions. Ce n'était qu'un moment, et cela ne m'empêcherait pas de donner l'assaut dans quelques heures, kalach à l'épaule.

- Votre guide vers l'avenir vient de revenir et de s'exprimer. Prenez votre décision en votre âme et conscience, tous et formez les groupes. Chacun sera équipé à l'aube. Immédiatement après, le Groupe ITS  se mettra en mouvement vers notre nouvelle maison.  I.T.S. pour Insoumis des Terres Sauvages, mais vous pourrez choisir vous même votre nouveau nom une fois installés. Le groupe d'exfiltration aura une réunion en milieu d'après midi et nous ne bougerons que la nuit venue pour laisser le temps aux I.T.S. de prendre une certaine avance. Nous lancerons l'assaut vers minuit, à cette heure l'effectif est moindre la moitié de la Milice étant en patrouille à l'extérieur. Nous vous le ramènerons, je vous en fais la promesse.  

Je relevai la tête en entendant la voix insistante de Raven dans mon oreillette. Tout ce qui me vint spontanément à lui murmurer fut totalement irrationnel. " Je t'aime Raven Hunt. Bordel t'en as mis du temps ... Ils t'attendaient tous, tu sais ... "

Puis je me ressaisis et m'adressai à la foule encore une fois, la voix tremblante d'émotion.

- Le groupe qui choisira de rester devra désigner les membres de son groupe de protection à qui nous distribuerons les armes lourdes et défensives. Je ne veux pas vous faire la morale, mais je dois aussi ne rien vous cacher . La Milice viendra vous déloger avec des blindés. Votre situation deviendra rapidement intenable. Ils vous enterreront vivants. Ils l'ont déjà fait pour l'orphelinat. Il y avait des enfants innocents... Alors, vous pensez bien que des hors la loi dont la tête est mise à prix ... Faites moi plaisir, faites en sorte qu'ils aient le moins d'entre nous possible. Discutez toute la nuit s'il le faut, mais vous devez convaincre ceux qui doutent de suivre Raven.

Je baissai la tête et reculai à nouveau en réfléchissant aux paroles de Raven dans l'oreillette. Puis je revins dans la lumière à nouveau.

- Elle est ce que j'ai de plus cher dans cette vie, avec ma liberté, alors bordel, vous croyez que je l'enverrais dans un lieu dont je ne suis pas sûr qu'il est le meilleur pour nous ?

Je m'adressai à nouveau à Raven tout en reculant dans l'ombre.

- C'est quoi cette histoire d'eau ? C'est en lien avec ce que tu m'avais déjà évoqué il y a quelques temps ? Un contact à toi ? Il y a un souci avec les canalisations ? Raven rejoins-moi sur la plateforme. Ça va être difficile de les garder rassemblés trop longtemps...  Viens me faire un topo rapide puis je te laisserai leur expliquer si je juge que c'est faisable. Ensuite tu iras te reposer, c'est un ordre non négociable.

Je vins à nouveau poser mes mains sur la rambarde pour m'adresser aux miens tandis que je la sentais dans mon dos . J'appuyai mon regard à l'attention d'Alex et Max.

- Que ceux qui ont déjà fait leur choix se regroupent. Max se chargera de recenser ceux qui veulent rester et leur transmettra toute la journée mes directives avant de se conformer à son choix personnel, Alex ceux qui veulent partir et qu'elle accompagnera pour soigner et aider à l'installation sur notre nouvelle terre d'accueil. Je ferai mon choix parmi les volontaires des deux groupes qui veulent prendre part à l'exfiltration de Logan. Mais je vous demande de ne pas vous disperser immédiatement. Raven aura peut-être des précisions à vous apporter.

Déjà quelques temps qu'il était avec les Insoumis, il ne comptait plus car cela n'avait plus d'importance. Disons-le, cela ne l'avait jamais été. Avant, avec les Asariens de la Haute société, il avait l'éternité et ne souciait guère de la futilité temporaire. Dans les bidonvilles, seule sa survie importait. Maintenant, la communauté était le coeur des ses préoccupations. Max était impressionné par l'impact qu'avait Logan sur sa vie, sur ses pensées, sur sa philosophie.

Lui n'avait été qu'un gamin bien élevé avec l'esprit de contradiction envers son père. Les autres n'avaient aucune importance, les humains n'étaient là que pour les servir. Certes, il se disait que si il ne faisait pas attention à ceux qui préparaient la nourriture, nettoyer les habitations et autres, ils pouvaient très facilement l'éliminer. Le passé avait prouvé que les restrictions trop abusives ne garantissaient pas la sécurité. Cela ne signifiait pas l'abolition de la hiérarchie mais la diplomatie et les compromis. Son objectif était purement individuel. Sa sécurité et sa survie primaient et la manipulation était le moyen de s'en assurer.

Depuis que les Abysses lui avaient ouvert ses portes, la force résidait dans la confiance et la solidarité entre tous les Insoumis. Ils étaient tous derrière Logan et Adam et leur faisaient entièrement confiance, corps et âme. Malheureusement, Logan a été fait prisonnier dans une mission qui aurait dû se passer sans encombre. Chaque sortie des sous-terrains était risquée et ils le savaient tous. Leur chef le savait et avait voulu préservé tout le monde en se faisant attraper pendant que Max et les autres se sauvaient et organisaient la défense des leurs. Ce fût un choc pour le jeune asarien. Perdre un pilier était douloureux. Certes, il fallait aller le chercher, mais il savait beaucoup mieux que les techniques d'interrogatoire arrivaient souvent à leurs fins. Tout était une question de temps.

Ne pas s'effondrer et surtout aller jusqu'au bout pour les autres, telle était la façon de penser de Max. Il avait foncé dans les couloirs, semant tous les dangers possible et surtout en protégeant l'escouade. Son angoisse était présente dans chaque seconde qui coulait. Peur de perdre Logan si ils tardaient trop. Peur de se faire coincer avant d'arriver. Peur de subir la torture des siens qui ne l’épargneraient pas avec son passé. Peur de dévoiler le moindre secret des Abysses. Peur de voir sa famille partir en fumée, anéantie par une Milice surexcitée. Peur de perdre sa coéquipière. Peur de perdre sa soigneuse préférée. Peur de peur le peu qu'il avait acquis avec d'énormes efforts. Il courait comme un dératé pour semer ses ennemis.

Arrivé dans les sous-terrains, il fonça au QG et parla longuement avec Adam. Sous ses ordres, il organisa la réunion, confirmant aux eux, reléguant aux autres et usant de tous les filons pour communiquer les informations. Ses ordres fusaient et sa fatigue remplaçait lentement mais sûrement le peu d'énergie restante de leur escapade. L'adrénaline et le stress devenaient la nourriture de son corps épuisé. Raven était désormais sa priorité, il devait absolument la retrouver et la sauver des miliciens énervés. Kyra le rejoignit quelques heures après avoir vu Adam. Comme toute bonne équipe, ils firent du tonnerre. Kyra, sa coéquipière, son bouclier et son arme, sa tête et son corps, il lui confirait sa vie sans aucune hésitation et il savait qu'elle ressentait la même chose. Aucun sentiment ambigüe, leurs vies dépendaient de leur unité, de leur solidarité. Comme leur leader l'avait prédit, Max ne pouvait s'empêcher d'avoir un regard inquiet envers celle-ci, recherchant tous les signes de faiblesses afin de la protéger et l'empêcher de s'effondrer. Il était hyper protecteur mais le cachait au maximum. Seul son regard trahissait sa pensée.

Ils trouvèrent enfin Raven, et les deux ne purent s'empêcher de faire partie de l'équipe de secours, de l’accompagnerjjusqu'à Alex et de vite filer au Terminal pour écouter leur leader. La tête tournée vers Adam, il ne bronchait pas et suivait le raisonnement de son ami. Ne pouvant totalement se détacher des préoccupations comme Raven, Alex ou Kyra, son regard parcourait régulièrement l'assemblée. Il enregistrait tous les détails, des plus infimes pouvant dévoiler les ressentis de chacun. Quand il repaira ses alliés, l'homme s'avança doucement et les accueillit d'un regard paternaliste et inquiet.

Tandis que les insoumis s'exprimaient, l'Asarien prenait sa place habituelle, en arrière. Il observait et laissait les choses se faire. Non pas qu'il était uniquement spectateur, mais il préférait œuvrer dans l'ombre. Pourtant cette fois, il décida de donner sa voix au chapitre.

C'est ma maison ici. Comme celle de mes parents a été la mienne jusqu'au moment où j'en fus rejeté comme un mal-propre. Je ne souhaite à aucun de vous de revivre cette fuite en avant perpétuelle que chacun d'entre vous a vécu avant d'atterrir ici. Logan nous a rassemblé, nous a guidé et surtout nous a toujours dit que le groupe était le plus important. Cette maison n'est plus sûre. Je n'assisterais pas à sa démolition sans rien faire. Tant que vous serez ici, je ne pourrais que penser à vous protéger. J'oublierai Logan, j'oublierai la Milice. Adam, vous propose à chacun de trouver sa place dans ce moment déterminant. Ceux qui veulent vivre, ceux qui veulent sauver Logan, ceux qui veulent leur vengeance. A vous de choisir.

Son choix était déjà fait depuis longtemps, Logan était sa priorité. Il connaissait en plus les méthodes et les quartiers des asariens. Il ne doutait pas que son aide serait bienvenue. Adam le choisira ou pas. Et si tel était son choix alors, il démolirait de ses mains ce qu'ils avaient construit pour brouiller les pistes au maximum. Jamais ils n'auront les siens.

Les échanges continuèrent quelques temps, tandis que Raven se faufila pour rejoindre Adam.Elle lui parla brièvement au micro. Max lui emboîta le pas et fit une moue aristocratique pour embêter Alex et Kyra en les laissant passer devant. Il ne pouvait s'empêcher même dans les pires moments de tenter la provocation ou l'humour avec les autres. Les paroles n'étaient pas de mises pour l'instant mais les actes étaient subtils. Rien que leurs présences en disaient long sur leur implication dans les Abysses. Tous, ici, formaient un noyau solide et indissoluble. Derrière Raven et Adam, Max observait. Il restait silencieux, il était là prêt au cas où.

Je savais qu'un autre défi de taille m'attendait tandis que je me retirais  dans l'ombre pour faire face à Raven. Dans la vie de chaque homme surgissent ce que Jeko aurait appelé des complications. Pour lui la vie était simple et assujettie à son statut de mercenaire. Il vivait des missions que d'autres lui assignaient en échange d'un gain qui lui permettait de mener une vie frustre mais dont la faim, la soif et le froid étaient absents. On mangeait à notre faim grâce à nos primes et on avait de quoi alimenter le brasero autour duquel on se saoulait les jours de relâche. Le feu et l'alcool, et pour moi parfois le corps d'une femme de petite vertue, suffisaient à nous réchauffer durant les hivers artificiels du Dôme. Quand on était né dans le plus total dénuement, c'était déjà plus que l'essentiel. Jeko avait peu de choix à faire hormis accepter ou pas un contrat. Il n'avait qu'une seule règle: "je tue tout ce que vous voulez mais pas les gosses". Cela avait fini par se savoir et il était rare qu'un commanditaire ignore cette restriction. Ce qui fait que la plupart des contrats qu'on lui proposait étaient "acceptables". Il avait fait en sorte d'éviter d'avoir à faire des choix qui l'obligeraient à se confronter à lui-même. Je me demandais encore pourquoi il avait pris sous son aile ce merdeux mal dégrossi que se battait avec tout le monde et constituait une guirlande de complications. Comme j'avais dû le saouler avec mes questions existentielles, mes choix moraux et mes cas de conscience ! J'étais un type qui, sous ses airs simples et monolithiques, était rongé par des débats intérieurs. Exiger un bout de pain chez le boulanger du Bidonville en échange de notre protection était pour moi un cas de conscience  alors que Jeko estimait au contraire qu'on simplifiait la vie de ce mec en lui assurant de n'avoir pas d'emmerdes avec la faune délinquante qui traînait dans ce Dôme. Il avait même envisagé d'en faire son business pour la retraite mais j'avais refusé de le suivre. Encaisser du fric pour protéger des gens qui auraient dû l'être gratuitement par la Milice était inconcevable pour moi. En revanche, il m'arrivait de "remettre les affaires en ordres" comme je le disais, c'est à dire d'intercepter quelques vandales ou voleurs qui terrorisaient les petits commerçants du bidonville et de leur faire rendre gorge de leurs méfaits. Je le faisais pour rien, juste parce que cela m'énervait de voir des paresseux ruiner les efforts de personnes laborieuses. Officiellement, Jeko en était furieux et disait que je lui cassais le marché avec une concurrence déloyale. Pourtant il ne m'a jamais demandé de ne plus le faire. Il avait ce sourire étrange quand je m'excusais de son "manque à gagner" tout en ajoutant qu'il valait mieux que ça et il répondait. " Que veux-tu, tu es un homme à complications ! Tu  vois des choix là où il n'y en a pas !"

Ce soir, j'étais devant deux complications mais si la première avait été vite résolue et que j'avais finalement assumé mon rôle de leader de Insoumis en m'imposant comme tel, la seconde me plaçait devant un choix bien plus personnel. Accepter de compter pour quelqu'un et accepter que quelqu'un compte particulièrement pour moi. Ce quelqu'un se tenait devant moi lorsque je me retournai et ses yeux me dévisageaient, me scrutaient, comme si mon visage détenait la clef pour comprendre ce qui se jouait entre nous. Et ils plongèrent dans les miens qui la détaillaient tout autant, comme si la séparation de quelques heures m'avait laissé un manque à combler d'urgence. Je me ressaisis pourtant face à la gravité qui transparaissait dans ses propos.

- C'est extrêmement sérieux et cela va amenuiser encore les chances de survie de ceux de notre communauté qui vont choisir de rester là. Il faut que tu leur expliques que sans eau un être humain ne survit que trois jours. Un asarien peut-être un peu plus. Il pourra peut-être consommer cette eau sans dommage immédiats mais je pense que cela dépend beaucoup des dons de chacun d'entre eux. Les insoumis humains sont condamnés à très court terme et les asariens le seront plus tard inévitablement. Raven ... je n'aime pas cette idée, mais je vais devoir m'y résoudre ... Je ne peux garder dans l'équipe d'exfiltration que des asariens. Il faut qu'on convainque le plus possible d'Humains de te suivre. Ils n'ont aucune chance de survivre dans les égouts ... Et les Humains du Bidonville, bon sang ! Ils vont tous crever ! C'est pas possible !

Je réfléchissais à toute vitesse à l'écoute des informations très alarmantes qu'elle me dévoilait  et tandis qu'elle achevait son exposé de la situation dans le bidonville, plusieurs résolutions prenaient forme dans mon esprit, dont certaines que je me garderais bien de dévoiler à Raven. J'eus un petit rictus en forme de sourire lorsqu'elle me fit la morale au sujet de mes blessures après m'avoir exposé son périple en compagnie d'un charmant chauffeur et je lâchai un laconique

- Tu as voulu un leader, tu en as un. Tu avais raison, ils ont besoin de moi pour les guider, mais moi j'ai besoin de toi pour m'aider à y croire... Alors tu vas devoir accepter que je me fasse quelques écorchures. Je t'ai assez vu dans la rivière et à la base, pour savoir que toi aussi tu donnes tout quand il s'agit des nôtres, alors renonce à me faire la morale. Il faut qu'on l'accepte Raven. On s'est trouvé mais on peut se perdre à tout moment ... même si ce serait mourir, bordel, de te perdre ! Tu imagines même pas comme c'est difficile pour moi de penser simplement que je peux te perdre, mais tu sais, et je sais, que ni toi, ni moi ne mourrons dans notre sommeil et de vieillesse ... On est comme ça. On est des Insoumis ...

Elle ne me laissa pas l'opportunité d'achever ma phrase et, comme pour m'assurer que je n'avais pas rêvé ces moments que nous avions partagé dans cette ancienne base militaire, elle m'attira à elle pour m'embrasser. Si l'initiative lui revenait, j'oubliai, l'espace d'un instant, les Insoumis, les urgences qui allaient rythmer notre vie dans les jours à venir, pour me perdre dans ce baiser à la fois tendre et brûlant. Je ressentis à nouveau cette plénitude qui m'assurait que ce qui nous aimantait l'un à l'autre tenait tout autant de l'attirance physique que de cette estime, de cette reconnaissance de l'autre comme un être courageux, en qui on pouvait avoir foi, dont les valeurs, les engagements nous donnaient l'impression d'avoir trouvé une raison de se battre et de vivre. Du moins était ce que je ressentais à nouveau en la tenant contre moi et en répondant à son baiser.

- Oui, j'ai besoin de toi ... plus que jamais. Je serrai sa main dans la mienne. Tu dois leur expliquer qu'il n'y aura aucun salut pour ceux qui vont rester. S'ils préfèrent se battre que partir, alors qu'ils me suivent. Il y aura des pertes ... Mais rester dans l'attente de l'arrivée des Miliciens sera le pire des choix...

Je la poussai vers la rambarde tout en la couvant du regard. Un regard brulant, celui d'un homme qui savait que leur amour pouvait rester inaccompli tant étaient faible la probabilité que mon groupe survive et parvienne aux terres sauvages. Les dernières nouvelles qu'elle avait apporté ajoutaient un obstacle de choix à notre réunion mais elle ne l'apprendrait pas par moi. Elle s'était détachée de moi, à regrets mais consciente de son devoir, et s'avançait vers le garde-fou qui surplombait les Enfants des Abysses.

Tandis qu'elle leur parlait, je passai mon bras sur les épaules d'Alexandra qui nous avait rejoints et la serrai contre moi.


- Tu te souviens quand je t'ai croisée dans cette foule du marché aux esclaves où tu semblais perdue et terrifiée ? Tu te souviens quand j'ai attrapé ta main pour te proposer une autre vie ? Tu m'as fait confiance Alex, et tu ne sembles pas avoir eu à le regretter. Merci de me faire confiance à nouveau. Tu ne le regretteras pas non plus.

Je déposai une bise furtive sur la joue de ma protégée des premières heures et en profitai pour lui glisser quelques mots à l'oreille.

- Veille sur elle pour moi, veux-tu ?  J'aimerais que vous veillez l'une sur l'autre. Tu sais , contrairement à pas mal d'entre vous, je n'ai pas de famille dont je peux me souvenir. Alors je me la suis fabriquée. Tu es comme une petite sœur que j'aurais pu avoir. Fais attention à toi.  Et elle ... Je te souhaite d'aimer  autant que je l'aime. C'est le meilleur que je puisse te souhaiter, petite sœur.

Pas folle la guêpe, Alex en profita pour me reparler de cette excellente idée de collecter du sang asarien qui pourrait servir de bloodhealer pour les Humains. Certainement avait-elle été impressionnée par l'effet du sang de Kyra sur moi alors qu'elle devait me voir déjà aux portes de la mort. Qu'une idée aussi généreuse et géniale eût pu germer dans la tête d'Alex suite à ce constat prouvait simplement à quel point elle était dévouée à notre communauté et ingénieuse aussi.

- J'approuve l'idée, bien évidemment, tu t'en doutes. Sans Kyra, je ne serais plus là. Mais je ne peux pas décider seul d'instaurer cette idée solidaire en un système basé sur le volontariat. Il faudra réunir les Insoumis et entendre leurs avis. Ceux des Humains dont certains refuseront peut-être d'être transfusés avec du sang asarien, et ceux des asariens qui refuseront peut-être que cela soit mis en place comme un système communautaire. C'est une chose d'aider un ami humain ponctuellement, c'en est une autre de donner son sang pour un Humains qu'on ne connaitra pas. Encore une fois, si cela ne tenait qu'à moi, je serais partant totalement, mais nous déciderons ensemble et ... si je ne reviens pas... je ... vais déléguer mon rôle à Raven. Ce sera donc à elle de lancer le référendum auprès des I.T.S.

Je n'étais pas très instruis et j'avais suivi très peu des cours dispensés par l'orphelinat mais j'avais appris à lire avec plaisir et cela m'avait, par la suite, permis de lire à peu près tout ce qui me tombait sous la main. Entre autres des vieux bouquins de biologie auxquels j'avais compris environ 30 % du contenu que je lisais. Cependant certaines bases de biologie et d'anatomie avaient retenu mon attention car pouvant s'avérer utiles à ma survie.

- Il y a une autre question à prendre en compte aussi. Le sang asarien a certainement une durée de conservation tout comme le nôtre. Il faudrait être certain que les propriétés du bloodhealer ne se dénaturent pas très vite après le prélèvement. J'ai été transfusé directement par Kyra. Qu'en sera-t-il d'une transfusion provenant d'un sang stocké depuis plusieurs jours? On est dans l'inconnu ... Si seulement on pouvait avoir l'avis d'un médecin, un vrai...

J'avais perçu l'arrivée d'un autre des nôtres sur la plateforme et pas des moindres . En ces heures où, parmi les Insoumis, certains Asariens doutaient encore, le soutien de Max Hayden m'était des plus précieux. En d'autres temps et circonstances, je me serais bien foutu qu'un asarien me donne du crédit ou pas. Mais actuellement, sa présence à mes côtés et son amitié prenaient une dimension très particulière. Se dire mon ami en temps normal était une chose , me soutenir alors que je préconisais le plus grand changement que la communauté aie jamais  affronté en était une autre. Nos regards se croisèrent. Deux hommes, deux statuts différents. Il pourrait me tuer facilement de sa simple volonté. J'étais un simple humain. Mais un humain dont la volonté de résister et de survivre face aux Miliciens avait su en émouvoir un autre, asarien, au point qu'il avait pris la décision en latence depuis longtemps, de rompre avec sa vie pour devenir un être recherché, marginalisé, rebut de la société asarienne dont il était le rempart quand il m'a croisé la première fois. Je n'avais rien demandé, rien imploré et Logan Hiddes m'avait tendu la main dans sa fuite. Plus tard, cet être devait m'avouer quelque chose que je ne devais jamais oublier, je le savais, même si je devais vivre cent ans.

" Si tu m'avais supplié de t'aider à fuir, j'aurais peut-être cédé et je t'aurais emmené avec moi. J'aurais été ton sauveur quelque part. Mais tu n'as jamais rien demandé ni espéré d'autre que la mort, durant ces heures que tu as passées sous la torture. Alors j'ai choisi moi-même de t'aider et ainsi j'ai pu devenir non seulement ton sauveur, mais aussi ton ami, car tu ne me dois rien, ne m'ayant rien demandé. Et nous savons tous deux que ta fierté n'aurais pu s’accommoder d'être ami de son créancier."

Logan avait des dons qui me dépassaient et que je ne pouvais percevoir. Je l'acceptais et le concevais. Il s'en servait pour me mettre à l'aise, là où d'autres en auraient usé pour m'humilier. Je savais qu'il comprenait l'Humain complexe que j'étais, bien au delà du mercenaire bourrin qui avait été arrêté sur un toit d'immeuble. Il me semblait qu'il s'était sans doute égaré en devenant Milicien et si je ne lui avais pas mentionné cette réflexion, il l'anticipa en expliquant que  chaque choix, dans la vie d'un être, avait sa raison d'être et faisait partie de son parcours. Certains choisissaient de s'élever dans la conscience humaniste, d'autre de descendre. On n'y pouvait rien, c'était ainsi. Un soir d'engueulade, un de plus, alors que les Insoumis voyaient leurs rangs gonfler de jour en jour, il m'avait balancé "Arrête de te torturer pour comprendre pourquoi j'ai voulu te sauver!  On va dire que tu étais ma rédemption pour une vie bien chargée. Et, qui sait, je serais un jour la tienne aussi ..."

L'heure était venue et je devais rendre la pareille à Logan. Max était un des facteurs de l'équation. D'une façon où d'une autre, cet Asarien dont je savais peu de choses, hormis qu'il avait toujours fait passer la communauté avant lui et qu'il avait un faible critique pour Kyra- pouvais - je l'en blâmer alors que Raven occupait toutes mes pensées et mes projets à présent - serait à n'en pas douter un des piliers de la mutation des Insoumis vers les Terres Sauvages. Je me tournai vers lui et, laissant Alex s'approcher de sa patiente, je m'adressai à lui.

- Max, je me doute que tu vas vouloir prendre part à l'assaut qui vise à libérer Logan et je comprends ton choix. Toutefois si tu l'acceptes, je pense te confier une mission bien différente, mais tout aussi périlleuse. Je te l'exposerai au cours d'une réunion demain après midi. J'ai besoin d'un bras droit déterminé pour assurer l'avenir des Insoumis. Accepteras-tu de m'écouter t'exposer mon plan pour l'assurer ?

Tandis que j'argumentais avec les Enfants des Abysses qui s'étaient ralliés à moi, je guettais d'un œil les pas et les mots de celle qui hanterait désormais mes nuits.

Derrière le couple, Max était anxieux. C'était un moment fatidique, l'avenir de la communauté toute entière était en train de se jouer. Les complications allaient de mal en pis. Impossible de rester ici, et l'Asarien ne l'aurait pas voulu. Il avait eu du mal à se faire à ses lieux, à dix mille lieux de ce qu'il aimait/ avait été/ souhaitait. Il s'y était résolu au prix de nombreuses escapades dans les bidonvilles et les Dômes pour obtenir de quoi échanger pour les Insoumis. Échanges d'objets et d'informations étaient sa monnaie de transaction. Maintenant, ces mêmes pépites d'or dévoilaient un noir destin pour les galeries représentant sa plus chère maison. Il écoutait patiemment Alexandra exposer son projet. Ce bout de femme était une pile deux cents pour cent. Chaque étincelle de son corps et de son âme était investi pour la communauté et les autres. Elle avait tellement subi, et maintenant, l'Asarien qu'il était, comprenait ses réticences et peurs du début. Il avait honte de ce que son peuple était, honte d'avoir été pareil, honte d'avoir eu l'esprit aussi machiavélique et tortionnaire envers le reste du peuple d'Asaria. Il n'était pas pour les tortures mais avait très bien ingéré les recommandations de ses parents. Parfois, cela ressortait encore. Il apprenait à connaître Alex tout doucement, avec beaucoup de patience, et en changeant petit à petit sa vision du monde. Il était devenu complètement différent de son passé. Son côté asarien était caché au maximum, imitant les humains pour mieux se fondre dans ma masse. Il ne cherchait plus à se distinguer mais bien à s'incorporer aux ombres des Abysses.

Il ne savait pas ce qu'il ressentait pour la soigneuse mais pour rien au monde, il ne pourrait être séparé d'elle. Et pourtant, le moment était venu de choisir un groupe différent d'elle et de la laisser affronter de multiples dangers. N'ayant le don d’ubiquité, il devait se résoudre à ne pas pouvoir la protéger des autres. Son coeur se serra à l'idée qu'elle puisse subir encore des souffrances incommensurables. En restant ici, ce serait bien pire et c'était la seule raison qui le motivait. D'un signe de tête, il acquiesca face aux projets à base de sang asarine.

Quand nous nous rejoindrons, nous mettrons au point un programme pour tester l'efficacité et la durée du sang asarien. Et dans un second temps, lorsque nous aurons eu assez de réponses, nous exposerons ton projet à la communauté. Bien entendu, tu peux compter sur mon aide Alex.

Le traqueur d'information ne pouvait dire qu'ils n'allaient pas se revoir. Leurs missions étaient périlleuses, et il savait qu'il allait au devant des dangers en prenant par au sauvetage de Logan. Pourtant, il avait besoin de conserver l'illusion que la famille sera de nouveau réuni sans blessure.

Pendant que Raven et Adam échangeaient entre eux, Max s'approcha discrètement d'Alexandra. Il ne la toucha pas car, sans permission de sa part, il n'oserait pas. Il refusait qu'un geste de sa part soit associé aux terreurs résultantes de son passé. Toujours visible pour ne pas la faire sursauter, il se pencha vers son oreille.

Survie à tout cela. N'oublie pas que tu es forte, beaucoup plus que tu ne le penses. Je vais aider Adam avec Logan et je ne suis pas sûr de...Les mots se bloquèrent dans sa gorge....j'ai besoin de te savoir en vie et te battant pour le rester. J'ai besoin de ton ancrage pour affronter ce qu'il y a là-bas.

C'était la seconde fois de sa vie qu'il avouait l'importance d'une personne pour lui, et la première avait été écarté par son père. Il gardait l'espoir qu'elle était dans un bidonville ou à donner des cours à d'autres gamins asariens, et non l'image de son père la faisant assassiner par sa faute. Et quelle faute, d'avoir découvert les joies de l'intimité avec une femme, de l'amour d'adolescent. Alexandra était là face à lui, et il ne pouvait toujours pas déterminer ce qu'il ressentait pour elle. Tout ce qu'il savait était qu'il avait besoin d'elle et qu'il fallait un effondrement de leur sécurité pour qu'il lui révèle enfin.

S'écartant de la demoiselle, le jeune homme écouta Raven parlait à l'assemblé, expliquer et tenter de convaincre les récalcitrants. L'angoisse augmentait avec le temps face à ce qui les attendait. Son esprit dériva quelques instants sur les conséquences de tout ce qui se disait. Les terres sauvages étaient un Eden qu'il fallait rejoindre à tout prix. Il fut ramener à la réalité en entendant Adam l'interpeller directement. Son regard se posa sur son chef.

Adam, tu peux compter sur moi. Logan m'a toujours dit que la priorité était la communauté. Je ne pourrait mieux le servir qu'en exécutant tes plans,fusse-t-il que je ne participe pas directement à son sauvetage.

Son visage se tourna vers Raven. Ses derniers mots avaient fait germé des idées au bricoleur qu'il était. Il ne pouvait rien assuré et ne voulait pas donner de fausses joies.Pourtant son repère regorgeait de trucs utiles, il en était sûr.

Tu saurais me dire ce qui va manquer pour vivre dans les terres sauvages. Tu sais que j'ai accumulé beaucoup de matériel, et peut-être que j'ai des indispensables pour vous. Faut-il que je sache quoi et que je trie rapidement.

La foule se mouvait au contre-bas, les discussions allaient bon train et on palpait une exaltation. L'ambiance était anxieuse mais pas désespérée. On sentait que tous les Insoumis réfléchissaient et choisissaient leur avenir.