(Terminé) [Intrigue] : Le Réveil : Quitte ou triple / volet I (pv Kyra et Max)

Abri d'Adam, 19h 15

Après le départ de Raven et du groupe des ITS, ainsi le nommait-on à présent, j'étais retourné dans ma piaule et je m'étais laissé tomber comme une merde sur ma paillasse. J'avais passé mes mains sur mes joues et essuyé les larmes qui les sillonnaient. Je voulais me rappeler son visage, quand elle s'était retournée pour la dernière fois avant de disparaître dans la galerie à la tête de cette marée humaine et asarienne que les habitants du Bidonville étaient venus grossir. Malgré le différend qui nous avait opposés au sujet de sa désobéissance à mes ordres, je n'avais pas voulu la laisser partir sans lui prouver ce que je ressentais pour elle. On n'avait pas vraiment eu le temps pour passer aux aveux de façon intime et je n'avais trouvé comme témoignage de mes sentiments à son égard qu'un cadeau. Les Insoumis ne possèdaient pas grand chose et je ne dérogeais pas à la règle. Je lui avais offert ce que j'avais de plus précieux : le couteau de chasse de Jeko, tout en faisant taire ses protestations. Déjà dans la nouvelle base, quand nous étions tous les deux, je m'étais dit qu'il lui serait utile pour se défendre et là cela me paraissait encore plus évident, alors qu'elle devrait faire face, loin de moi, aux dangers des Terres Sauvages et chasser pour se nourrir. Il y avait des combattants menés par Chris qui escortaient le cortège mais connaissant ma Raven je savais qu'elle n'allait pas quémander leur protection chaque fois qu'elle aurait besoin de sortir pour trouver quelque chose. Puisque la Kalach n'était pas vraiment son truc, qu'elle prenne au moins le couteau sur elle. Elle avait accepté en roumèguant.

Puis je lui avais tendu ce vieux carnet couvert d'une toile cirée noire dans lequel j'écrivais ce qui me venait par la tête, des poèmes, des souhaits, des rêves. Il y avait tout ce qui me faisait tenir debout, consigné dans ce carnet... Il y avait Raven, entre autres. Je me doutais bien qu'elle n'aurait pas trop le temps de lire mes lignes avant longtemps. Mais plus tard, quand tout le monde serait en sécurité, quand la nouvelle base tournerait, alors, qui sait, elle repenserait à ce cadeau et l'ouvrirait. Ce serait une manière d'être encore un peu à ses cotés, avec elle. De lui donner de la force et de l'amour, même si je sais qu'elle ne manque pas de force et qu'elle est aimée de ce peuple de maudits que sont les Insoumis. En me lisant, elle apprendrait des choses qu'elle ignorait sur moi, et elle entendrait tous les mots que je n'avais pas su lui dire quand j'étais encore vivant, à ses côtés. Les mots qu'attendent les filles et que certains mecs savent dire avec tellement de facilité que c'en est déconcertant. Moi je les ai écrits, dans ce carnet tout abîmé que j'avais récupéré dans la décharge. Un cahier froissé et sali, un peu déchiré dans les coins, pour contenir une histoire pas très joyeuse, ça le fait, non ?  Celle d'un gosse qui avait grandi trop vite, celle d'un homme qui pouvait compter les jours de bonheur sur les doigts de ses mains. Celle d'un ours qui avait oublié de parler mais savait cogner. Celle d'un type qui avait tellement dû s'enfermer en lui-même pour ne pas devenir fou, qu'il avait oublié comment on y laissait entrer quelqu'un.

Jusqu'à la rencontre avec elle ... Bon Dieu ! Qu'elle m'avait emmerdé dès le premier jour ! Une vraie plaie ! Un des sept fléaux. Ou alors le huitième ... inédit!  Et bordel ! Que j'avais lutté pour la repousser, la forcer à me haïr. Mais la chiantitude, c'est corrosif et ça fait des trous dans le pire blindage. Cette garce avait eu raison de mon indifférence en me cassant les burnes jour après jour, semaine après semaine. Et, mêlé à l'exaspération, devinez ce qui avait fait son chemin dans les fissures ? Ce truc mièvre qui rend le mec le plus sensé aussi débile qu'un décérébré. Je n'avais rien fait pour que ça arrive. Mais aujourd'hui j'étais heureux que ce soit arrivé. J’espérais qu'elle ne regrettait pas non plus de ne pas avoir su m'ignorer et me traiter par l'indifférence. J’espérais qu'elle chérissait comme moi chaque moment où nous nous étions engueulés, tapés dessus, insultés pour finalement arriver à nous aimer... En tout cas, elle avait pris le petit carnet. Sans poser de questions, sans savoir ce que c'était.

Oui, j'avais besoin de me rappeler de ça et aussi de son visage avant qu'elle disparaisse dans la galerie aux côtés d'Alexandra... Je m'étais allongé quelques minutes sur mon lit, fixant le gros sac que j'avais préparé pour Max et Kyra. Ils dormaient encore, à l'heure actuelle, récupérant pour la mission extrêmement dangereuse qui les attendait. Je ressassais toutes les consignes que je devrais leur donner, puis celles qui étaient destinées à Camille et Wade. Sans m'en rendre compte, je glissai rapidement dans le sommeil, terrassé par la fatigue que ma courte nuit n'avait pas réussi à effacer. Le réveil fut brutal et agité.

Était-ce à cause de cette réunion houleuse et ces adieux chargés en émotions que j'avais vécu quelques temps plus tôt, toujours est-il que je venais de faire le pire des cauchemars. Souvent l'inconscient y évacue des tensions ou exprime des préoccupations de notre vie courante. Ou reflète des questions plus existentielles. Était-ce le cas de ce cauchemar atroce que j'avais fait durant ma brève phase de sommeil ? Il prenait place dans les Abysses, donc dans mon lieu de vie. J'avais assisté au moment que chacun de nous redoutait depuis toujours: l'invasion de notre refuge par les troupes de la Milice. Certes, en y réfléchissant bien, j'avais manqué un peu de percutant et d'initiative dans le déroulement de ces événements, un peu comme si j'y assistais en spectateur impuissant mais que j'intervenais ici et là parce que c'était mon devoir. J'avais eu le sentiment d'agir au ralenti, comme dans les films, mais les déflagrations, les échanges de balles et de coups faisaient très vrai. J'étais comme sonné et j'avais encore du mal à émerger de cette sale impression que c'était plus qu'un mauvais rêve. Il y avait tant de données qui se raccrochaient à la réalité. Comme notre projet de libérer Logan par exemple, ou le départ des ITS. D'ailleurs Raven, Alex et Chris n'étaient pas à nos côtés dans ce rêve de merde. Mais ce qui ne collait pas du tout, c'était l'attitude de cette gradée de la Milice qui nous avait laissé l'opportunité d'échapper à la mort, qui avait même protégé une gamine humaine. Çà c'était tellement surréaliste que ça ne pouvait être qu'un cauchemar. Quant à ces robots exterminateurs qui nous avaient coincés, ils faisait froid dans le dos et j'en avais encore des frissons. Si un jour on se retrouvait face à de tels ennemis on serait bien dans la merde. Mais c'était un putain de cauchemar, bordel ! Alors pourquoi j'avais les mains tremblantes en repensant au combat perdu d'avance que nous aurions dû mener sans l'intervention de cette blonde bizarre et cyclotomique ? Dans la réalité il n'y aurait pas de bonne fée déjantée de la pétoire, mais probablement uniquement ces boîtes de conserves exterminatrices. En tout cas, dans mon rêve, ils avaient assuré, les Insoumis, et c'était bien le seul point positif que je voulais retenir. Ça pouvait vouloir dire que j'avais confiance en eux et leur capacité de résister dans la pire des situations. Et de ça, j'en étais fier. Dans cette saleté de cauchemar, Kyra, Camille et Max avaient vraiment été à la hauteur.

Je me redressais sur le bord de mon lit et me levai pour me passer de l'eau sur la tronche et tenter de chasser celle sale impression que je sortais d'un mauvais trip. Dans le vieux miroir cassé, j'avais toujours une aussi sale gueule. Cette sieste n'avait pas été vraiment une bonne idée... Je grognai et enfilai ma veste. J'avais l'impression de sortir d'un round à l'Under. Saleté de cauchemar. On toqua à ma port. Je consultai ma vieille montre. Pile à l'heure ! Les deux loustics m'avaient laissé dormir mais devaient ronger leur frein en attendant la réunion spéciale à laquelle je les avais conviés. La nuit devait commencer à tomber sur le Bidonville. J'ouvris la porte.

- Max, Kyra ... Entrez ... J'espère que vous avez pu pioncer un peu.

Ce que j’espérais surtout, c'était qu'ils avaient mieux dormi que moi. Je n'étais pas du genre à parler de mes cauchemars ou même à m'étaler sur mes ressentis et ils ne sauraient rien de ce que j'avais rêvé. Pas besoin de leur plomber le moral avant les missions ni de courir le risque qu'ils voient ça comme un mauvais présage. Je leur fis signe de s'asseoir et je leur désignai du menton le gros sac que je leur destinais.

- C'est pour vous. Max c'est toi qui va te le coltiner. C'est lourd mais tu vas te délester d'une partie du poids grâce à la première phase de votre mission. Ouais dans ce sac, il y a la pompe que tu as trouvé dans ton bric à brac. Les tuyaux que tu as pu acheter. au marché noir. Seul problème, on avait pas les filtres. C'est le plus dur à trouver, je sais bien. Mais heureusement, après notre réunion de cette nuit, Camille a reçu un message de Wade disant qu'un mec bizarre savait qu'on en cherchait. Il l'aurait entendu dans votre conversation  à l'Underworld. Bref, il connait aussi un de mes contacts et a mentionné des détails qui collent à son sujet. Ce mec se trouvera ce soir au lieu convenu et à l'heure dite pour vous aider à installer les filtres de la pompe et à les régler.

Je pris le lourd sac à dos et le lui tendis puis je déroulai une carte des galeries que je calai avec des timbales métalliques vides. Ma vaisselle de luxe. Je pointai mon doigt sur la carte.


- Vous devrez vous trouver à 20 h précises à cet endroit où la rivière souterraine forme un coude. Ça a creusé comme un petit bassin dans la roche et c'est là qu'on a prévu d'immerger une pompe pour alimenter le bidonville et les Insoumis qui préfèrent rester. Il sera là. Me demandez pas comment, mais il sait se diriger dans les galeries et connait l'endroit. Vous parlez le moins possible avec ce mec. Moins il en sait, mieux c'est pour nous et pour lui. C'est aussi pour ça que vous n'ouvrirez le second sac, plus petit qui est dans le grand qu'une fois que les dérivations seront en place pour pomper l'eau de la rivière. Vous ne le ferez qu'une fois que le type sera reparti à ses affaires.

Je me tournais vers ma cantine pour préparer une sorte de café. Je tassai bien la poudre. On allait en avoir bien besoin.

- Le type doit être seul. Si vous reniflez la moindre entourloupe, vous le flinguez et vous vous tirez. Tant pis pour l'eau, on trouvera une solution plus tard ...  Mais ça devrait bien se passer. L'installation de la pompe devrait pas prendre plus de deux heures. Ce qui fait qu'à 22 heures vous devez être opérationnels pour la seconde partie de la mission dont vous aurez les instructions en temps voulu. Des questions ?

Je leur servis un café bien corsé et fumant. J'espérais que ce mec bizarre n'était pas en train de nous enfumer et était bien une connaissance de Mara Jade comme il le prétendait. J'osais le croire parce que cette fille n'aurait certainement pas raconté au premier venu qu'elle connaissait Logan. Les coïncidences étaient trop énormes. Elle avait sans doute pris les devants et, après avoir entendu ma conversation avec Max, fait jouer ses relations de Pacificatrice pour nous obtenir ces putains de filtres. Après tout, il fallait bien se jeter à l'eau un jour et essayer de faire confiance à une personne dont l'intérêt était le même que le nôtre sur ce coup. Elle avait dit vouloir sauver ces gosses et ils s'étaient joints au convoi sans faire d'histoire. J'espérais juste avoir des nouvelles de Raven avant l'heure H pour être certain que les ITS  n'étaient pas tombés dans une embuscade, ou n'avaient pas eu d'accident. Pourquoi cette Mara mentirait-elle en disant vouloir fournir de l'eau potable au Bidonville ? Au pire si c'était un piège, Max et Kyra avaient plus d'un atout pour se tirer de ce mauvais pas. Je me gardai bien de leur dire que la première partie de leur mission serait une balade en comparaison de la suite.

HRP:

J’avais l’impression d’avoir vécu en quelques heures des jours entiers tant il s’était passé de choses. Il y avait tout d’abord eu cette conversation avec Max, une conversation qui avait tout changé entre nous. Enfin, il fallait bien avouer que les choses étaient ambigües depuis un petit moment déjà entre nous. En ce qui me concernait, cela faisait quelques temps que je me posais des questions sur les réels sentiments que je nourrissais à son égard. Nous étions partenaires, complices, mais en même temps j’avais du mal à supporter la proximité qu’il nourrissait envers Alexandra. Je sentais bien qu’elle ne l’avait jamais laissé indifférent, et au fond de moi j’avais toujours craint que quelque chose ne finisse par se passer entre eux. C’était sans doute certainement cette peur inconsciente qui m’avait poussé à aller le voir et, l’alcool aidant, qui m’avait amené à lui parler de tout ça. Et il avait fini par prendre les devants, me parlant des sentiments qu’il nourrissait pour moi, et que je n’avais jamais vu. Il m’avait avoué son attirance pour moi, attirance qu’il nourrissait depuis le départ. Il m’avait littéralement ouvert son cœur, son âme, et m’avait totalement retournée. Et puis il y avait eu ce baiser, certainement le plus incroyable qu’on m’avait jamais offert. Tout semblait alors si évident…

Et puis on s’était réveillé, hébété, sans être en mesure de se rappeler ce qu’il s’était passé pour qu’on se retrouve à terre l’un à côté de l’autre. Mes souvenirs étaient vagues, et j’avais cette sensation d’avoir vécu des choses terrifiantes. Je me rappelais d’une femme, de sortes de robots, et de mes compagnons qui étaient à mes côtés et avec lesquels je semblais avoir…combattu. Mais tout restait flou, et au final je n’arrivais plus qu’à penser à une seule chose : Max, et ce qu’il s’était passé entre nous. Je me demandais comment les choses allaient se passer entre nous, maintenant que nous avions « passé un cap ». Serions-nous capables de continuer nos missions en toute objectivité, sans se mettre en danger l’un l’autre ? Devions-nous cacher cette relation naissante par crainte d’être « séparés » ? Des tas de questions envahissaient mon esprit, mais l’heure n’était plus à cela. Nous étions en effet attendus par Adam, qui allait nous donner un nouvel ordre de mission. En mon for intérieur, je souhaitais que cela concerne le sauvetage de Logan. Adam savait que cette mission me tenait à cœur, et j’espérais que c’était de cela dont il nous parlerait.

Précédant Max, je toquais à sa porte, et entrais lorsqu’il nous invita à le faire.

« Salut. Oui on peut dire ça, me contentais-je de lui dire lorsqu’il lança qu’il espérait qu’on avait pu dormir un peu. Sans plus attendre, il embraya, nous montrant un sac et nous expliquant tout. Il fallait qu’on aille chercher des filtres auprès d’un mec qu’on ne connaissait pas, et qu’on rende ainsi opérationnelle la pompe censée alimenter les bidonvilles et les Insoumis décidés à rester. J’écoutais en silence, le laissant terminer, sentant cependant monter en moi une colère sourde. Moi qui pensais qu’il allait nous expliquer son plan pour aller chercher Logan…. Je ne touchais pas au semblant de café qu’il nous servit, et attendis qu’il eut terminé, et qu’il eut demandé si on avait des questions, pour prendre enfin la parole : Et Logan ? Tu sais très bien que je veux faire partie de la mission d’exfiltration. Je sais que la mission que tu nous donnes a elle aussi son importance, mais… Est-ce que c’est une autre équipe qui va s’en charger, ou est-ce qu’elle est simplement reportée à plus tard ? »

Je savais que je n’avais pas à remettre en question ses décisions, mais comme ça concerne Logan, c’était plus fort que moi. J’avais besoin que je sache ce qu’il en était exactement, sachant pertinemment que je n’aurais pas d’autres choix que de faire ce qu’il venait de nous demander. Je ne pouvais nier que je me sentais quelque peu déçue, même si chaque mission avait son importance…

Si Max semblait mutique, peut-être suite au remontage de bretelles que je lui avais infligé au sujet de son escapade sur les talons de Raven, Kyra, elle, entra directement dans le vif du sujet. Je savais que le soir de sa capture, Logan n'aurait pas dû faire partie du commando qui effectuait une mission très routinière en elle-même: détourner une livraison de ravitaillement de la boutique qui alimentait le Mess de la soldatesque milicienne. Dit comme ça, cela pouvait paraître le summum de la provocation pour un Humain ou un Asarien lambda. Mais les Insoumis n'obéissaient pas aux mêmes interdits, et quand il s'agissait de nourrir leur clan, l'action la plus audacieuse leur paraissait envisageable. Ce n'était pas la première fois qu'on détournait des vivres destinées aux troupes de Van Brënner. Peut-être que le problème venait de là: nous avions péché par excès de confiance et étions tombés dans une sorte de routine qui avait fini par nous coûter cher ... très cher. Notre Leader, enfin, co-leader puisque Logan m'avait toujours considéré comme le co fédérateur de cet étrange peuple des Abysses, s'était fait capturer. Et il l'avait été alors qu'il remplaçait ce soir-là Kyra. Je comprenais la culpabilité qui rongeait la jeune femme et son impatience de prendre part à la libération de celui qui avait pris sa place. Mais j'avais volontairement écarté sa candidature à cette mission , et précisément à cause de ce qui la motivait. Je n'avais pas besoin de kamikazes prêts à se sacrifier à cause d'une culpabilité injustifiée. J'avais besoin de personnes sachant conserver leur sang froid et capables de prendre du recul, de décrocher si la situation était sans espoir, de partir rejoindre les autres Insoumis afin de pérenniser ce pour quoi Logan se sacrifiait.

Je fixai Kyra droit dans les yeux, comme à mon habitude. La seule personne dont j'avais du mal à affronter le regard en certaines circonstances était Raven, parce qu'elle me rendait bien plus vulnérable que tous les Insoumis, Asariens ou Humains réunis. Kyra possédait des pouvoirs puissants, qu'elle même peinait parfois à maîtriser. C'était une très jolie femme, dont les charmes ne devaient laisser aucun homme indifférent. Je ne l'étais pas. Sa fragilité, sa fébrilité me touchaient. Sa beauté était agréable à contempler et Max ne m'aurait sans doute pas contredit, mais elle ne m'impressionnait pas, toute Asarienne dotée de pouvoirs qu'elle était. C'est donc en leader que je lui répondis.

- Je comprends ton empressement à participer à la mission d'exfiltration de Logan, Kyra. Je la comprends d'autant mieux que je lui dois la vie. Tu crois qu'il s'est fait capturer par ta faute, parce qu'il te remplaçait sur ce ravitaillement ... Je vais te faire perdre tes illusions. Il a été pris à cause de ce qu'il représente pour nous tous, de ce qu'il est aux yeux de Van Brënner, et non parce qu'il te remplaçait ce soir-là.

Je tirai de ma poche une feuille à cigarette et un paquet de tabac pour m'en rouler une. Tout à faisant aller mes doigts sur le petit tas de coupures de tabac, je poursuivis:

- Ils surveillaient ses allées et venues depuis un moment je pense. Ce soir-là, ou un autre soir, ils auraient fini par le piéger... Probablement qu'il a été trahi par une personne proche de lui. Pas nécessairement l'un d'entre nous. Logan avait une vie secrète, un passé, comme nous tous. Même si on a pour règle de rompre les liens avec lui, notre passé fait partie de nous ...

Je m'allumais la clope que je venais de rouler. Petit moment de détente avant le grand saut. C'était un rituel lorsque j'étais mercenaire, déjà. Avant de fumer un mec, je m'en grillais une.

- Il m'a sauvé la vie et surtout il m'a permis de conserver le peu de dignité que les Miliciens m'avaient laissé... Je lui suis infiniment redevable. Toi, aucunement. Malgré ce que tu t'es mis en tête, malgré cette culpabilité injustifiée qui te ronge et te fait perdre le recul nécessaire. Donc pas moyen que tu en sois, car il me tordrait le cou de t'avoir exposée. J'ai besoin de Camille et Wade sur cette mission, pour des raisons dont je n'ai pas à me justifier en tant que leader. En revanche, Max et toi je compte sur vous en aval pour une mission vitale à la réussite de l'exfiltration de Logan donc finalement vous êtes aussi sur ce coup.

Je me grattai la joue, un peu piquante à cause de la barbe qui la dévorait, et je questionnai l'Asarienne du regard.

- Kyra, est ce que je peux, est ce que Logan peut, compter sur toi pour cette mission ? Est-ce que tu vas aider Max à mettre en place cette fichue pompe ? Est-ce que tu vas obéir aux ordres que je vous transmettrais pour votre seconde mission ? Si tu me dis que tu ne le sens pas, je te laisse partir par tes propres moyens... On peut même en informer les ITS. Seule, tu progresseras plus vite dans les galeries. Chris ferme la marche et il peut te laisser des signes pour te repérer dans les galeries. Tu pourras les rattraper sans pour autant les ralentir. Mais tu dois prendre ta décision maintenant, et vite ! Chris ne pourra pas t'attendre. Il a, lui aussi, une mission très importante à accomplir.  Rester et me faire confiance, ou rejoindre les autres. A toi de voir !

Ma haute stature penchée sur la silhouette gracile de l'Asarienne, je souriais pourtant à l'idée que dans un combat pur, je prendrais sans doute très cher face à elle. Pourtant, j'avais une dette envers ce petit bout de femme, cette mutante aux pouvoirs obscurs.

- Je dois la vie à Logan tout autant que je te la dois, aussi n'imagine pas un instant que je puisse exposer l'un pour libérer l'autre. Tu aurais dû te douter que je ne te laisserai pas te sacrifier. Nous, les Humains, nous sommes tellement prévisibles à vos yeux, après tout. Si quelqu'un doit se sacrifier ce soir, pour vous tous ... C'est moi, et personne d'autre. Vous êtes la seule famille que j'ai connu. Wade et Camille s'en sortiront quoi qu'il arrive. Ils ont leurs pouvoirs pour eux et ne sont rien aux yeux de Van Brënner ... Juste des Insoumis... Logan et moi ... c'est autre chose ... Logan m'a tiré de ses griffes. A mon tour de lui rendre la pareille.

Je me tournai pour faire face au mur sur lequel j'avais épinglé nos deux avis de recherches, celui de Logan et le mien, publiés par la Milice. Je contemplai les deux affiches avec la récompense à plusieurs zéros, surtout celle de Logan.

- Du fric ... Voilà ce que nous sommes pour eux. Pour vous, pour toi, Kyra, je sais que Logan est bien plus. Pour moi, il est tellement plus. Si quelqu'un doit prendre sa place, c'est moi. Sans moi, la Milice serait le cadet des soucis de Logan ... Je ne suis peut-être rien à tes yeux qu'un putain d'Humain. Mais je suis le seul leader que Logan a reconnu comme son égal parmi les Insoumis. Tu me dois donc respect et obéissance. Je te donne le choix, parce qu'il aurait fait de même et parce que je te dois là vie, tout comme à lui  : rejoins les ITS et les Terres Sauvages ou obéis moi en tout point pour ta mission auprès de Max. Si tu choisis de rester, tu ne pourras plus remettre en question mes ordres.

Mes mains se posèrent sur les épaules de Kyra, tandis que mon regard sondait une fois de plus le sien.

- Si tu ne me faisais pas confiance, pourquoi m'avoir sauvé la vie ?

Disant cela, je me tournais également vers Max dont le visage n'exprimait encore rien de déchiffrable quant à l'échange entre Kyra et moi. Il était Asarien également. Je mesurais parfaitement l'incongruité de la situation, son ironie. Deux Asariens qui devaient suivre les ordres d'une sous merde d'Humain comme moi. Logan avait parié sur le fait qu'appartenir au clan des Insoumis gommerait le clivage entre les deux natures. Sa théorie se trouvait à présent confrontée à la réalité de l'évolution, de l'après Logan, qui devait être envisagée. Résisterait-elle aux doutes latents tapis en chacun de nous ?

Je pouvais concevoir qu'on doute de moi, puisque j'avais douté moi-même. Je pouvais accepter qu'on refuse de me suivre ou de m'obéir. Mais je n'avais pas le droit de garder auprès de moi des personnes qui discuteraient mes décisions ou mes ordres. Nous n'aurions pas d'autre opportunité de sauver les Insoumis, de libérer Logan et de faire un putain de doigt d'honneur à ces enfoirés de Longues Vies du Gouvernement. Je ne pouvais garder auprès de moi des personnes qui ne m'accordaient pas leur confiance, qui seraient des obstacles impromptus se dressant sur ma route. Je préférais encore, s'il le fallait, faire cavalier seul. Je l'avais déjà fait durant de longues années. Je pourrais renouer avec ce sentiment d'être seul face à la mission à accomplir. La mort n'était qu'un des paramètres. Même si ça n'était plus du tout aussi simple de l'envisager maintenant qu'il y avait Raven dans ma vie. Eh merde ! Mais je ferai ce que j'avais à faire, seul ou accompagné. Je le ferai pour elle, malgré elle. Kyra ne devait être, n'était, qu'une donnée à ajouter ou retrancher de nos forces. Je détestais être un leader.

Ce n'était plus une soirée à ce niveau-là: commencer par se mettre à nu devant Kyra légèrement (enfin beaucoup) alcoolisée, poursuivre Raven au dehors pour lui confier du matériel et être embarqué dans une bagarre pour rencontrer un revendeur, se faire remonter les bretelle par Adam, retourner se reposer et vivre le pire cauchemar qu'il ait jamais fait, se réveiller ailleurs que dans sa chambre au côté de Kyra et enfin aller au rapport vers son chef. L'asarien se disait que cela faisait énormément de choses pour un si petit bonhomme sur cette terre. Jeune, il rêvait d'une vie trépidante, jonchée de péripéties et autres tumultes dont seuls les héros ont la recette. Maintenant, il était un paria pour sa famille de sang, mais avait trouvé sa véritable famille de coeur. Et avec tous ses membres il réalisait presque ses rêves de gamins avec le danger en plus et l'obligation de rester discret en tout temps.

Regardant un instant en arrière pour apercevoir Kyra, sa réflexion continuait sur la comparaison avec son monde fantastique de gamin. Il s'imaginait bien avec une bombe à ses côtés. Et sa compagne....oui il pouvait dire ainsi désormais. C'était sa partenaire, son amie, sa confidente parfois (même si Alexandra avait eu plus cette place)  et sa compagne. Certes c'était tout frais, tout beau, tout neuf. Mais leur relation en l'était pas elle. Depuis ce qu'ils avaient vécu ensemble, avec toutes les étapes qu'ils avaient enduré ensemble, leurs sentiments avaient évolué sur plusieurs années. Sa compagne, disions-nous, était mieux qu'une bombe. Elle incarnait tellement de détails qui le faisaient fondre, tellement de paradoxes qu'il se croyait encore dans une rêverie et il avait cette fois peur de se réveiller et de comprendre que tout cela n'était pas. Le pire dans les songes nocturnes était la faculté à les oublier au réveil dans un battement de cils.

Arrivés devant la porte de l'antre d'Adam, Max vérifia l'heure et toqua à la porte. Il détestait être en retard, d'autant plus que leur mission était capitale comme tout ce qui se tramait dans les abysses depuis moins de 48h. Leur chef à tous, celui qui les avait réuni sous ce même toit avec les mêmes ambitions de survie était au main de leurs ennemis, de sa famille de sang. L'ironie était terrible, il allait franchir le véritable pas qui ferait de lui un paria officiellement (pour lui) car il l'était pour sa famille depuis la mort de son père. Jamais il n'avait accepté la situation et la facilité dont sa mère avait pu croire en cette foutaise.

Je ne dirais par vraiment dormir..dit-il en pénétrant dans la pièce avant sa partenaire.

Allant se poster dans un coin inoccupé, la chambre de son chef était aussi en bordel que la sienne. Les événements récents ne devaient pas aider à conserver un lieu de vie dans des conditions convenables...mais à la base, étaient-ils doués pour le rangement et l'ordre dans leurs sanctuaires? Cela était une autre question qui ne nécessitait pas d'être élucidé à l'instant.

Max écouta les ordres en acquiesçant de la tête au fur et à mesure. Il ne lui venait pas à l'idée de contredire le plan savamment réfléchi. Il se doutait que ce ne serait pas la seule mission de ce soir et qu'Adam avait dû employer leurs compétences au mieux. Ce n'était pas l'avis de sa partenaire qui interpela immédiatement celui qui exposé l'opération. Sa réponse fut à la hauteur de sa réputation, de son rôle et de son tempérament. C'était en cela que Max le reconnaissait comme son chef. Bien au delà des origines qui avaient pourtant baigné son éducation, l'insoumis qu'il était avait appris à faire abstraction de ce détail sans importance dans un monde où seule la survie commande. Les compétences et les apports de chacun dictaient la place dans la communauté. Point barre.

Adam, tu n'es pas un humain. Tu es insoumis, un chef et rien d'autre. Ici, rien d'autre ne compte. Et si certains d'entre nous font encore la différence, tu le sais aussi bien que moi, que ceux que tu as choisi pour l'exfiltration n'attachent aucune importance à cette notion de l'âge de pierre. En arrivant dans ces murs, j'ai du refaire mon éducation, oublier la classification Humain et asarien et répertorier les gesn par leur rôle dans les abysses: ceux qui sortent en mission, ceux qui entretiennent les lieux et la communauté, ceux qui s'occupent des blessés et des enfants, ceux qui apportent des idées...

L'asarien n'avait pu retenir sa réplique pour que Kyra réponde. Il posa son regard sur elle et espérait qu'elle se braquerait pas d'être intervenu mais de ne pas la protéger pour autant. Ici, chacun affrontait ses choix et les conséquences. Il ne pouvait l'entrainer si elle ne fasiait pas le pas pour cela. Il était prêt à faire cette mission seul même si il ne serait qu'à moitié dans les abysses, car elle était la deuxième partie de sa survie.

A toi de te défaire de cette nuance, Adam, pas à nous, car nous l'avons déjà abandonné depuis que nous sommes dans les sous-sols d'Asaria.

Max ne parlait pas souvent, mais toujours avec franchise. Ce n'était pas son genre de tourner autour du pot, sauf pour truander à la surface et obtenir encore plus de vivre pour les siens ou lorsqu'il était encore dans les bonnes grâces du gouvernement. Adama avti déjà eu à faire avec luio et savait à quoi s'en tenir.

Expose nous brièvement la suite du plan. 20h nous avons rdv, 22h faut être en place pour la seconde mission, sans l'acolyte inconnu. Et ensuite. Si tu ne veux pas donner les détails dit nous juste succinctement. Faut qu'on ait une idée de la suite pour préserver nos forces ou juger de notre marche de manœuvre au niveau du matériel et du temps.

Se tournant vers la jeune femme, l'asarien la détailla , se remplissant de son image comme si cela pouvait être la dernière fois qu'il la voyait. SOn regard avait forcément changé depuis ce soir, il pouvait se libérer de ce qu'il ressentait au fond depuis tant de temps.

Kyra, tu sais aussi bien que moi que Logan ne nous mettait jamais en première ligne dans les missions. Tu connais mes pouvoirs, je n'ai rien d'agressif. Je dissimule, je me transforme et je rends invisible. Toi, tes pouvoirs sont puissants, trop puissants pour être dévoiler dès la première salve. Il nous garder en renfort. Notre ingéniosité et notre binôme permettaient la plus grande discrétion. La première ligne n'est pas notre poste. Je ne saurais pas employer mes talents aussi exposé.

Par son discours, Max expliquait ses craintes à sa partenaire et à Adam pour que tout se déroule au mieux ensuite. Il n'était pas un planqué, mais une ombre efficace. Le soldat, le berserker n'était pas un qualificatif lui convenant.

Spoiler:

Logan m’avait fait échapper à un sort qui n’aurait pu qu’être atroce. Aux mains de la Milice, j’aurais certainement vécu une véritable torture avant qu’ils ne daignent mettre fin à ma vie. J’avais déjà eu un aperçu de ce qu’on pouvait infliger à des personnes comme moi, aussi je ne savais que trop bien à quoi j’avais échappé. Il m’avait sauvé la vie, et dans le même temps il m’en avait offert une autre. Certes j’avais dû pour cela tirer un trait sur ma vie passée, mais cela n’avait pas représenter un sacrifice. Le fait était que je détestais ma vie d’avant. Après le petit séjour touristique à l’hôpital de l’horreur, mon père avait fait de moi une prisonnière. Je ne pouvais pas dire que je le détestais pour ça. Il devait sans aucun doute avoir ses raisons, et peut-être qu’une petite partie de lui espérait me protéger ainsi. Mais entre lui et moi, cela avait toujours été quelque peu compliqué alors… Nous n’avions jamais été très proches, aussi l’idée de ne plus jamais le revoir ne m’avait fait ni chaud ni froid. Et aux dernières nouvelles, il ne remuait ni ciel ni terre pour me retrouver… Plus qu’un sauveur, Logan avait ainsi été pour moi celui qui m’avait enfin permis d’être celle que j’étais, et qui m’avait toujours soutenu, envers et malgré tout. Il était mon mentor, une sorte de grand frère pour lequel j’étais prête à donner ma vie sans hésiter.

Il était évident qu’Adam allait me parler de ma culpabilité, et que mes sentiments pour Logan étaient sans nul doute un critère d’exclusion pour lui concernant la mission de sauvetage. Au fond de moi, je le savais bien, mais je n’avais pu m’empêcher d’ouvrir ma grande gueule. Parce que si je ne l’avais pas fait, je me serai sentie encore plus coupable. Je voulais participer à cette mission, mais je savais aussi que je ne décidais de rien, et que, si je souhaitais garder un rôle « actif » au sein des Insoumis, il me fallait faire ce qu’on me dirait de faire, point barre. Je l’écoutais ainsi justifier son choix, m’expliquant finalement que notre rôle aurait un impact vital sur la mission pour sortir Logan de là. Je ne pouvais pas nier que je fus quelque peu agacée par ses questions ; pour moi il était évident que j’allais mener à bien la mission qu’il me confiait, même si j’aurais préféré qu’il m’en confia une toute autre… Je laissais cependant ce dernier terminer, et écoutais aussi ce que Max avait à dire sur ce sujet. Si une chose était certaine, c’était que jamais je ne laisserai ce dernier partir seul en mission, il en était tout bonnement hors de question. Nous étions des partenaires, un binôme, et désormais nous étions aussi un couple. Si danger il devait y avoir, alors nous l’affronterions ensemble, jusqu’au bout.

J’avais toujours eu du mal avec l’autorité, et c’était pas prêt de changer. Je n’avais jamais été le ton autoritaire d’Adam, surtout que moi Logan restait notre seul chef. Mais le fait était qu’en son absence Adam assurait l’intérim’, et je savais que c’était ce que mon mentor aurait voulu. Alors, finalement, après avoir ravalé ma fierté et m’être dégagée de la trop grande proximité que le leader avait instauré entre lui et moi, je reprenais enfin la parole :

« Je ne pouvais pas ne pas essayer de faire partie de la mission de sauvetage. Logan est plus qu’un leader pour toi comme pour moi, aussi je pensais que tu serais en mesure de comprendre ma démarche. J’ai beau ne pas être d’accord avec ça, il est évident que je vais faire cette mission que tu nous a confiés. Max, il est hors de question que je te laisse gérer ça seul, lançais-je alors à mon partenaire. C’est toi et moi ou rien du tout. Je tournais de nouveau mon regard vers Adam et poursuivais : Alors je reste, je ferais cette mission, et j’obéirai à tes ordres Adam, jusqu’au retour de Logan. Je t’ai toujours respecté et, même si j’essaie d’obtenir quelque chose de différent de ce que toi tu veux, je n’ai jamais dévié de la ligne de conduite que tu as pu nous donner jusque là. Je t’ai sauvé la vie parce que pour le moment c’est toi le leader, parce que les Insoumis ont besoin de toi, et aussi parce que je sais qu’être sauvé par une nana égratignerait ton égo de mâle dominant. Tu parles de confiance, mais je t’ai accordé la mienne lorsque tu as pris la place de Logan, en grande partie pour lui je te l’accorde. Et je pense te l’avoir déjà prouvé à plusieurs reprises. La question c’est est-ce que toi tu me fais confiance ? »

Je le fixais avant de jeter un œil à Max. Je me doutais qu’intérieurement ce dernier se demandait ce que je faisais, mais il savait que j’étais du genre sauvage et indomptable. Je ressentais à cet instant précis le besoin physique d’aller chercher un certain réconfort auprès de lui, mais je me retins, focalisant de nouveau mon attention sur Adam :

« Je suis d’accord avec Max. On doit en savoir un peu plus sur la suite des opérations, histoire d’être prêts ».

Bouillonnants ... Indomptables... Tels étaient les Insoumis. Même le respect voué à leur leader ne les empêchait pas d'argumenter, de discuter, d'exposer leur point de vue et leur désaccord, même s'ils demeureraient loyaux à la décision prise par celui-ci. Kyra et Max ne différaient en rien de cette réputation  que nous avions acquis par nos faits d'armes, notre opiniâtreté à mettre en échec les forces répressives du Gouvernement. Mieux que les Rebelles et leur haine, mieux que les Pacificateurs et leurs belles promesses d'harmonie, nous vivions en dehors, malgré et aux dépens du système social imposé par les Élites. J'avais lu Marx et même si cette philosophie était dépassée et sans objet dans notre monde, j'avais souri en reconnaissant certains de nos préceptes. On se battait les couilles de la politique. On avait fondé un nouveau modèle social, basé sur l'entraide et la solidarité, mais aussi l'opportunisme aux frais des ennemis, et ça, ça n'était pas vraiment marxiste hein, mais bon, comme toujours, on adaptait ça à notre sauce. Seule la survie au jour le jour comptait, au mois le mois, c'était mieux et nous étions même parvenus à anticiper les réserves d'une saison sur l'autre à force d'ingéniosité. Les Insoumis qui bossaient à la logistique et au ravitaillement y étaient pour beaucoup. L'argumentation de Max faisait écho à mes convictions, et, même si je ne lui avouerais jamais, c'était réconfortant de se sentir jugé sur ses actes et son comportement, et non sur son origine et sa naissance. Qu'est ce que j'en savais de ma naissance ? Que dalle ! Qu'aurais-je à léguer à mes gamins, si un jour je devenais père ? Rien, nada. Même si une petite mélodie avait éveillé quelque chose d'indicible dans mon cœur, je ne savais foutrement pas d'où je venais. Ce qui compterait, pour ceux qui m'auront connu, pour leurs enfants, pour les miens, c'était ce que j'aurais fait avec mes poings et avec ce que j'avais dans ma caboche d'Adam Lockwood. Mon nom ? Je le devais à cette médaille que je tenais serrée dans mon poing de bébé, une médaille tâchée du sang de mes parents, certainement arrachée au cou de ma mère dans ma terreur de bambin. On m'avait retrouvé dans une ruelle du Bidonville, hurlant à côté de leur cadavre.

Je comprenais leur envie de savoir, de se préparer à la seconde mission. Je secouai pourtant la tête négativement.

- Parfois, trop de savoir nuit à la réussite. Un objectif après l'autre. J'ai confiance en vous, non pas seulement pour m'être loyaux, mais surtout pour mener votre mission au bout par fidélité aux Insoumis et aussi à Logan.

Je continuais à griller ma clope tout en ouvrant une vieille bouteille d'Aberlour piquée dans le ravitaillement des officiers de la Milice. Un étrange chatouillement venait m'étirer les lèvres alors que je fredonnais


L'homme, l'homme, l'homme armé, l'homme armé,
L'homme armé doibt on doubter.
On a fait par tout crier,
Que chascun se viegne armer, d'un haubregon de fer.
L'homme, l'homme, l'homme armé, l'homme armé,
L'homme armé doibt on doubter.


Puis je me mis à siffler l'air sous les yeux ahuris de mes comparses.

- C'est le signe ...

Froncements de sourcils et air dubitatif. " Adam aurait-il pris un sale coup de trop sur sa caboche en revenant des Terres Sauvages ? " Je me fis plus précis.

- Mémorisez cet air car c'est apparemment celui qui vous fera reconnaître de votre contact et vous permettra de l'identifier...

J'alignai trois timbales et les remplis du liquide ambré.

- Le préféré de Logan ! Je vous promets qu'on se prendra une putain de cuite avec lui lorsqu'on l'aura tiré de sa cage grâce à vous ! Quant à la chanson, ne me demandez pas ce que c'est. C'est le mec qui vous fournira le filtre qui l'a imposée comme code de reconnaissance. Je sais pas vous, mais je trouve que ça a de la gueule. Vous auriez du entendre Wade me la chanter à la radio ... Ce mec n'a vraiment pas d'oreille ... Heureusement cet air me disait quelque chose... vaguement .

Je tendis une timbale à chacun de mes deux tourtereaux et je levai la mienne.

- Cette nuit ! Cette nuit est la nuit des Insoumis ! Asaria va enfin savoir qui vit, qui vivait dans ses entrailles ! A nous ! A Logan ! A vous deux. Je vous ai foutus ensemble sur cette mission, parce que j'ose penser que votre intérêt l'un pour l'autre peut être un atout et non un danger. Ne me faites pas regretter ! ajoutai-je avec un clin d’œil malicieux.

A peine partie, Raven me manquait tellement. Devoir agir sans savoir ce qu'il advenait d'elle était une souffrance différente de celle provoquée par la déchirure d'une balle, mais bien plus douloureuse. J’œuvrais dans l'hypothétique espoir que les ITS parviennent à bon port, ce qui n'était pas du tout certain, tant les embûches diverses pouvaient surgir sur leur chemin. J'agissais, échafaudais des plans fondés sur un espoir pour les Insoumis, parce que c'était mon destin de veiller sur eux. Je me battais aussi pour ces enfants, ces petits humains du Bidonville, mes petits frères et sœurs. Des enfants qui auraient pu être les miens, les nôtres....Je me battais, bien que je refuse de l'admettre, pour tout ce qui pouvait être opprimé par ce système de merde datant de l'Antiquité. Rois et serfs, Empereurs et esclaves, Princes et manants. Dans mon sang, quelque chose bouillonnait contre cet état des choses? Depuis toujours ... Et bien avant moi. Je l'ignorais encore.

- Vous avez de la chance d'être ensemble ... Veillez l'un sur l'autre et n'oubliez jamais ... Deux et plus fort qu'un seul !

J'étais peut-être humain, mais pas aveugle pour autant et je voyais bien leur façon de se regarder comme s'ils voulaient se dévorer, ces deux-là.
Je descendis la dose de whisky écossais d'une traite et frappai la table d'un coup sec avec la timbale.

- A la santé de Bonnie Prince Charlie ! dis-je en plaisantant. Mais je fronçai les sourcils, me demandais moi-même pourquoi je venais de déclamer ce toast. Redevenu pragmatique, je poursuivis.

- Prenez le sac, puis filez à l'armurerie pour vous équiper pour le combat en milieu urbain et forestier. Réglons nos montres. N'oubliez pas, à 20 heures vous devez me faire un rapport radio au point 0.1, une fois le contact établi. Ensuite, vous serez seuls car, nous serons Camille, Wade et moi-même dans l'impossibilité de vous contacter pendant deux heures. Silence radio. 22 heures, on fait le point et on passe à la phase II.

Debout dans mon coin, j'écoutais les arguments de chacun. C'était une joute verbale très enrichissante, mais pas extraordinaire. Ici, dans les Abysses, chacun pouvait donner son mot pour chaque décision. Bien sûr, on ne se contentait pas d'un "je suis pas d'accords et c'est tout". Les types dans ce genre apprenaient vite à fermer leur gueule ou à réfléchir plus pour expliquer leur choix. Logan et Adam étaient chefs par état de fait, parce qu'ils ont fondé ce noyau d'hommes, de femmes et d'enfants par leur envie de survivre à tout prix. Tout le monde leur faisait confiance. Mais cela n'empêchait pas la capacité de réfléchir et de réagir. Et grâce à eux, tout le monde avait la possibilité de le faire. Dans aucun autre endroit, Max avait eu cette opportunité. Il était atterri ici par Logan et il y restait par conviction.

Lorsque Kyra répliqua, pliant face à l'humain, son partenaire acquiesça de la tête. Elle ne cédait pas par crainte ou peur, non, elle faisait le choix entier de faire confiance à leur chef et acceptait son rôle (qu'elle soit complètement d'accords ou non). En adhérant à la mission, la jeune femme mettait de côté son opinion et accomplissait ce qu'on attendait d'elle. Maximilien savait que c'était avec elle ou rien du tout, pourtant, il fallait toujours que chacun des Insoumis ait le choix. Il en faisait une règle de conduite et sa partenaire n'y échappait pas.

Adam se mit à fredonner et il fallait retenir cet air. L'Asarien l'avait déjà entendu quelque part mais les détails ne lui revenaient pas. Il se concentra pleinement pour mémoriser les notes. Devraient-ils le chantonner ou juste reconnaitre? Dans tous les cas, il ne pouvait oublier ces quelques notes de musiques (qui vous font la nique du fond des souv'nirs). En même temps, il sortit trois timbales et servit de l'alcool. Se rapprochant, attrapant une chaise bancale dans un coin, il s'installa vers le centre de la pièce. Il saisit la tasse et le remercia d'un acquiescement de tête.

Rho oui, elle va être bien mériter celle-là. Je peux encore sauver quelques bouteilles rapporter d'un emprunt à long terme à notre gouvernement adoré. Et Wade n'a jamais eu la réputation de bien chanter. On lui ferme sa gueule dès qu'il commence à vouloir pousser la chansonnette bourré.

La suite du discours d'Adam surprit Max qui échangea rapidement un regard interloqué avec sa douce. En même temps, ils ne s'étaient pas cachés (et à vrai dire, n'avait pas eu le temps de goûter à leur changement de situation non plus).

Nos missions ont toujours réussi et tu le remarques maintenant seulement qu'on est ensemble. Pas de danger du coup pour la suite. bluffa-t-il sans un regard vers Kyra

Lors de leur nombreux méfait pour la communauté, ils avaient un code: si il mentait pour quelques raisons, l'autre ne disait rien ou allait dans le sens du premier. Peu importait la vérité ou si cela peinait le partenaire. Si un agissait comme cela, l'autre savait que c'était intentionnel envers la tierce personne. Ils réglaient ensuite le problème en privé. Ils s'étaient ainsi sortis de multiples pétrins.

Adam reprit le fil de leur mission. L'asarien se leva avec sa timbale, agrippa le sac et leva sa chope.

Alors à Bonnie Prince Charlie, dit-il en avalant cul-sec sa ration alcoolisée

Il prit sa montre pour se synchroniser avec les deux autres intervenants. Comme ils étaient au point, il se dirigea dans les dédales des Abysses pour rejoindre l'armurerie, s'équiper et finir les préparatifs. Il jeta un coup d'oeil en arrière pour vérifier que Kyra était à ses côtés.

Spoiler:

Je savais que mes paroles résonneraient en Adam. Malgré son apparence de mâle dominant, il savait se montrer à l’écoute, et prendre en considération les avis de chacun, même si au final c’était lui qui tranchait. Je ne pouvais pas nier que dans mon esprit, et ce quoi que puisse nous réserver la suite des évènements, Logan resterait toujours pour moi LE leader des Insoumis. Evidemment je n’étais pas des plus objective, puisque c’était à lui que je devais la vie. Il m’avait tirée des griffes de la Milice alors que pour moi tout espoir semblait perdu. Il m’avait offert une nouvelle « famille », m’avait donnée un coéquipier qui avec le temps était devenu davantage à mes yeux. Je savais pertinemment que sans lui je serais à l’heure qu’il est soit morte, soit de retour dans ce maudit hôpital où j’avais joué les cobayes pendant un peu plus de 3 ans. Il m’avait donnée droit à une nouvelle vie, qui n’était certes pas parfaite mais qui avait fait de moi une asarienne libre, et entourée de gens de confiance, qui m’appréciaient telle que j’étais. Et pour tout cela, je lui en serai éternellement reconnaissante. Mais pour l’heure Logan n’était pas là, et Adam assurait l’intendance du mieux qu’il le pouvait.

Je savais qu’il avait raison lorsqu’il nous lança qu’il valait mieux ne pas trop en savoir. Même s’il était évident que jamais nous ne parlerions Max et moi s’il nous arrivait d’être capturés, Dieu seul savait de quelles armes disposaient la Milice, aussi il valait mieux jouer la carte de la prudence. J’affichais un air aussi surpris que perplexe lorsque le grand blond se mit à chanter. A croire qu’il avait un peu trop forcé sur la picole avant qu’on arrive… Devant notre air circonspect, Adam nous expliqua alors qu’il s’agissait du signal permettant de nous faire connaître de notre contact. Lui comme nous ne savions rien les uns des autres, aussi l’idée d’un code était certainement l’idée la plus sûre qui soit. Je m’efforçais de mémoriser cet air, sachant que Max ferait de même et qu’à tous les deux nous devrions nous en sortir. Il nous servit ensuite un verre, et je reconnus de suite le liquide qu’il contenait. Logan m’en avait lui aussi servi un le jour où il m’avait ramenée dans les abysses. Alors que mon regard se perdait quelques instants, tout un tas de souvenirs me revinrent en mémoire, et ce fut alors comme si je prenais la pleine et entière conscience de ce que représentait ce qui nous attendait. Je laissais un sourire naître sur mon visage lorsqu’Adam évoqua la fête que nous ferions lorsque Logan serait de retour parmi nous, avant de parler de Wade, ce qui fit réagir Max. Je ne répondais rien pour le moment, me contentant d’écouter et me laissant bercer par mes vieux souvenirs dans les abysses.

J’accompagnais mes comparses, levant mon verre et écoutant le toast porté par notre leader, avant de jeter un regard furtif à Max. Evidemment qu’il avait remarqué ce qu’il se tramait entre nous ! Je ne pouvais m’empêcher de penser que tout le monde avait dû le voir venir…sauf nous, comme cela pouvait être le cas parfois. Ok cela pouvait représenter un risque pour les missions, mais jusqu’à présent nous nous en étions plutôt bien sortis, alors pour moi il n’y avait pas de raison pour que cela change. Lorsque Max rétorqua que ce n’était que maintenant qu’il s’apercevait de notre rapprochement, je savais qu’il cherchait avant tout à nous protéger. Ni lui ne moi ne voulions être séparés, et son petit mensonge me touchait. Je lui souris, reportant ensuite mon attention sur notre chef.

« On mènera cette mission comme on a mené toutes les autres, ne t’en fais pas pour ça, répondis-je avant que les gars ne se mirent à trinquer, les suivant avant d’avaler d’une traite ma boisson. Adam donna ses dernières instructions, lançant en quelques sortes le début de notre mission. J’ai vraiment hâte de fêter ça », me contentais-je alors de lui répondre avant de reporter mon regard sur mon compagnon.