(Terminé)[Intrigue Le Réveil] Départ vers la Lumière { Raven, Alexandra, Chris (Pnjisé) et tous les Insoumis}

La nuit avait été très courte après l'entrevue avec Mara Jade. Il m'avait fallu préparer l'ordre de mission pour Max et Kyra, éclaircir le problème de l'escapade de ce dernier sur les talons de Raven, alors que j'avais expressément interdit de sortir des Abysses à tout les Insoumis. Même si leur désobéissance avait servi nos desseins, et la cause des habitants du Bidonville, je m'inquiétais à juste titre, de ce manque de respect de mes consignes. Une remontée de bretelle plus que musclée s'était imposée. Certes les Insoumis avaient ce credo de s'accorder une liberté de pensée et de mouvement et chacun respectait le libre arbitre de l'autre. En temps normal, j'aurais été le premier à comprendre ces frondes et ces pied de nez à un règlement qu'il n'était pas dans ma nature de suivre. Mais les enjeux dépassaient à présent nos aspirations individuelles et chacun avait une responsabilité envers la communauté. Dans les heures difficiles qui s'annonçaient, et pour pouvoir sauver le maximum d'entre nous, je devais pouvoir compter sur le respect de mes ordres. Toute insubordination pouvait être fatale pour plusieurs d'entre nous.

Je pris le lourd sac à dos sur mon épaule, sortis de mon abri et remontai le col de ma veste. Il faisait froid en cet hiver dans les souterrains. Mon souffle dégageait de la buée dans l'air glacé du petit matin. Je me dirigeai une fois encore vers l'ancienne gare de triage, vers ce pont roulant qui était devenu ma tribune. Je me hissai sur les barreaux rouillés de l'échelle et m'accoudai au garde fou pour contempler la place à mes pieds, encore déserte. Un court moment de répit matinal avant une journée qui serait sans doute la plus longue de ma vie et peut-être la dernière. Dans quelques minutes Chris allait me rejoindre, suivi de peu par Raven et Alex et avec eux, tous les Insoumis qui avaient décidé de quitter les Abysses. J'allais devoir amorcer le début d'un plan que j'avais répété mentalement des dizaines de fois dans ma tête et je doutais encore qu'il réussisse tant il comportait de paramètres qu'on ne pourrait pas maîtriser avec certitude. Évaluer les facteurs de risques d'un environnement, d'une situation, la distance d'une cible, sa célérité, je savais le faire à la perfection. Je maîtrisais ces domaines. Mais conduire une communauté de milliers de personnes vers son salut, distribuer des ordre à une foule entière, diriger une masse pensante et frémissante, c'était l'inconnu pour moi. Et j'avais peur d'échouer. Je devrais encore donner plus tard les derniers détails de leur mission spécifique à Max et Kyra. Une autre donnée étant venue s'ajouter au problème déjà douloureux de notre exil. Je devais surtout parler à Chris avant que les autres arrivent.  Mon pied buta sur le sac que j'avais déposé à terre. Pourvu que Mara Jade et ses réfugiés soient à l'heure au point de rendez-vous ... Nous ne pourrions pas retarder notre départ. Il fallait impérativement que les migrants arrivent dans les Terres Sauvages à la tombée de la nuit.
Je perçus du mouvement et devinai la silhouette encapuchonnée de Chris qui s'approchait, sortant d'un tunnel à la gauche du pont roulant. Il gravit les échelons à son tour.

HRP:

On avait prévu le départ très tôt, à la fin d'une courte nuit de sommeil. On n'attendrait pas le levé du soleil. A quoi bon ? Dans les Abysses, l'aube ne changeait rien à la donne. Il y régnait, de jour comme de nuit, une obscurité totale que seules nos torches, nos lampes frontales et bâtons de lumière pouvaient éclairer. D'ailleurs, on n'avait pas trop le choix si on voulait arriver en surface dans les Terres Sauvages à la tombée de la nuit, Adam avait fait le calcul, il nous faudrait la journée complète et ensuite on aurait encore un sacré périple à faire dans la lande avant de risquer de griller au soleil, afin de trouver la fameuse base, qui à en croire les deux humains constituait une terre promise pour les Insoumis. Notre leader provisoire - provisoire parce que dans ma tête, on allait sauver Logan, qui était, à mes yeux, le seul véritable leader des Insoumis - nous avait servi un discours émouvant sur la chance qui nous était offerte grâce à cette découverte et sur la nécessité de lui faire confiance puis qu'il était prêt à envoyer les êtres qui comptaient le plus à ses yeux en tête du cortège. Ok, je savais qu'il avait sauvé la mise à Alex et qu'il y avait une sorte de lien entre les deux, mais avec Raven ? Vu de l'extérieur, ils donnaient plutôt l'impression de vouloir tuer l'autre. Et puis ce mec n'aimait que lui-même à en croire les rumeurs qui courraient sur lui à l'Underworld et dans les bouges du Bidonville. Il collectionnait les femmes ... de petite vertu, se battait avec qui le voulait. Si on m'avait demandé de définir Adam, j'aurais certainement dit "il saute sur tout ce qui bouge et dans tous les sens du terme." Lui, amouraché de cette fille contre laquelle on l'avait vu plusieurs fois envoyer voler des objets et des noms d'oiseau ? C'était une blague ? Pourtant je devais reconnaître qu'ils avaient assez bien donné le change le jour du grand rassemblement. Ils avaient disparu un paquet d'heures et quand ils étaient réapparu, un truc avait changé. Ils étaient comme qui dirait cul et chemise. Les rumeurs filaient bon train mais je n'y croyais que dalle. Pourtant lorsqu'Adam nous avait réunis pour nous annoncer plusieurs nouvelles, devant la foule des Insoumis rassemblés, il avait donné raison à ces satanés bruits de galerie.

Pour moi, même si c'était tant mieux pour eux, ça ne changeait pas le fait que dans les Terres sauvages, c'était peut-être mieux pour les Humains mais un peu coton pour les Asariens. Je n'étais pas loin de penser que le leader et sa chérie faisaient le jeu des Humains au détriment des Asariens maintenant que Logan n'était plus là pour rééquilibrer les choses. Mais ça c'était dans les premières heures. Après, j'avais dû admettre que vu ce qui risquait de nous tomber dessus, à savoir la Milice et une pénurie en eau potable, la solution discutable d'Adam était encore la seule possible pour l'ensemble des Insoumis. Et si j'avais prévu, au début,de faire partie de ceux qui restaient pour libérer Logan, je n'avais finalement pas protesté lorsqu' Adam m'avait désigné pour prendre la tête de l'escorte armée du groupe d'Insoumis qui allait migrer vers les Terres Sauvages. Ok, j'aurais aimé en faire partie. Mais je devais reconnaitre qu'il fallait bien une protection à ceux qui partaient et j'étais prêt à donner ma vie pour eux autant que pour Logan. En plus, je devais lui reconnaître ça, Adam avait choisi une équipe de choc pour libérer Logan. Wade, Camille, Max, Kyra. Ces quatre-là ne lâcheraient rien avant d'avoir tiré notre leader de sa taule. Bon, moi j'allais escorter des migrants dans leur nouvelle demeure. C'était moins palpitant sans doute, mais Logan Hiddes nous avait toujours seriné que chaque Insoumis était un rouage essentiel pour les autres et avait un rôle dans la famille que nous étions. Ma mission, moins risquée, était essentielle pour la survie de toutes ces âmes. J'étais résolu à la mener avec courage et dévouement. A mener chacun d'entre eux à bon port, même ces gens des Bidonvilles dont Adam nous avait parlé pendant la réunion de cette nuit. C'est dans cet état d'esprit que je me présentai, mon sac sur l'épaule, au pied du pont roulant. Je gravis l'échelle pour y rejoindre Adam qui m'attendait.

- Salut Adam ! C'est encore désert! Où sont-ils tous ?

Adam avait une sale gueule. Une gueule d'humain qui manque de sommeil, ce qui se voit bien plus que sur nous Asariens. C'est vrai qu'il fallait reconnaître qu'il ne se ménageait pas. Mais il n'était pas le seul dans ce cas. Alex n'avait pas cessé de courir dans tous les sens elle aussi. Même Raven qui s'était quand même fait copieusement engueuler par "son mec" à traficoter en pleine nuit à l'Unde. Bon ok, il avait raison, et je lui aurais peut-être même collé une baffe à sa place, mais elle avait pensé bien faire pour nous tous. J'espérais qu'on n'aurait pas droit à une scène de ménage à chaque divergence dans les décisions à prendre pour le groupe. Tort ou raison, le leader c'était lui et il devrait se faire mieux respecter que ça. Si sa copine commençait à remettre en question son autorité en public, on allait bientôt avoir des Insoumis qui feraient la même. Je l'avais toujours pensé: maintenir une sorte de cohérence, faire obéir relativement tous ces Insoumis de façon à ce que ça tourne, c'était un exploit à mes yeux, tant on était tous ingouvernables, individualistes et sauvages. Des Insoumis quoi. Et pour moi, le seul qui y était parvenu de façon indiscutable était Logan. Bien sûr Adam était respecté pour ce qu'il faisait au service de tous mais jamais, du temps de Logan, je n'avais eu l'impression qu'il avait un quelconque rôle dans cette miraculeuse cohérence. Les événements de ces derniers jours, les choix, les décisions prises par Adam, sa détermination, m'avaient fait réviser mon opinion. Ce mec avait des couilles. Mais son altercation de cette nuit avec la responsable du poste de surveillance avait à nouveau mis un doute à ma nouvelle certitude. Que Raven ait eu raison d'aller au marché nocturne ? Certainement. Qu'Adam ait tort de la couver au prétexte qu'elle est sa copine ? Absolument. C'était mon point de vue. Mais elle avait tort de le défier et de le mettre en porte à faux devant les autres. Un chef est quelqu'un dont on doit respecter les ordres. Il avait dit "personne ne sort, on ne doit pas risquer d'attirer l'attention de la Milice ce soir" et c'était un sacré argument propre à se faire obéir. Seulement voilà, si Adam avait relativement de l'autorité sur nous tous, y compris moi, apparemment il n'en avait pas beaucoup sur Raven. Et elle avait amené Max à enfreindre aussi les ordres. Si elle pensait me mener comme ça par le bout du nez, elle allait vite déchanter. Tant qu'elle ne mettrait pas les Insoumis en danger, je suivrais ses ordres puisqu'elle connaissait le chemin. Mais si je jugeais qu'elle prenait une mauvaise décision, je ne me contenterais pas de mots comme Adam. Non que j'étais du genre à frapper les femmes, certainement pas. Mais quelqu'un qui allait à l'encontre de l'intérêt des Insoumis se prendrait mon poing dans la mâchoire, que ce soit un mec ou une nana.

- Je t'ai fixé un rendez-vous avant les autres Chris. Je voulais te voir avant qu'ils arrivent tous, afin de te donner des instructions que toi seul doit entendre. La nuit a été courte, hein.

Je hochai la tête.

- Comme pour nous tous, j'imagine. Toi peut-être plus que les autres.

Adam avait vraiment l'air crevé et ses propos, même teintés d'humour, ne démentaient pas mes paroles.

- Avant nous étions deux pour nous occuper de tout. Et nous dormions déjà peu. Maintenant je suis seul. C'est une bonne raison pour aller le chercher et l'obliger à faire sa part du boulot, non ?

J'esquissai un sourire en répondant.

- Oui, c'est une sacrée bonne raison.

- Chris, si tu ne fais pas partie de cette mission, c'est que je vais t'en confier une qui sera tout aussi difficile, voire plus. Tu n'as pas le droit de t'y soustraire.

Je arquais un sourcil. Qu'est ce qu'il allait me demander ? Pourquoi cet air grave soudain, après l'humour ? Pourvu qu'il ne me demande pas de jouer le body guard pour sa donzelle. Le genre de traitement de faveur qui aurait le don de me mettre les nerfs en pelote.

- Comme tu t'en doutes, nous allons faire pas mal de grabuge dans le bidonville ce soir... on ne peut pas savoir comment les choses vont tourner. Dans l'idéal on vous rejoint et ...

Il se pencha et murmura la suite de sa phrase à mon oreille, me faisant écarquiller les yeux.

- Mais ceux qui restent ? C'est ...

- Les condamner ? Tu sais très bien qu'ils le sont déjà et le seront plus encore après l'attaque du QG de la Milice. C'est leur choix ... Je dois faire ce choix moi aussi. Être Leader, c'est prendre des décisions difficiles...  Mais revenons-en à ta mission ... Donc, si ça tourne mal pour nous et qu'on ne peut pas vous rejoindre et faire ce qu'on doit faire, il t'incombera de le faire à notre place...

- Mais Raven ...

- Quoi, Raven ?

- Elle va m'arracher les yeux ...

- Tu vas me dire que tu as peur d'elle ? J'ai vu ton regard cette nuit quand on s'engueulait, tu rêvait de lui tordre le cou ... C'est pour ça que je t'ai mis sur le groupe des ITS. Max s'est déjà laissé influencer par Raven, toi je sais que tu seras inflexible. Tu feras ce que je t'ai ordonné, pour le bien des Insoumis. Je t'ai pas menti en te disant que ta mission était très risquée.

- Ouais mais là ...

Adam se redressa et je vis un éclat dans son regard qui me fit comprendre pourquoi j'avais entendu dire par Wade qu'il liquéfiait certains de ses adversaires avant même de commencer à boxer sur le ring.

- Ce sont mes ordres ! Tu comptes les discuter ? Alors tu es comme elle !

- Non non, mais ... pfffiou ... je ne m'attendais pas à ça. Ok, tu peux compter sur moi, je le ferai ... De toute façon, vous allez réussir et ce sera à Logan et toi de le faire !

Adam me fixa droit dans les yeux  en me tendant un paquet.

- Tiens Max t'a tout préparé. Tu auras assez de cran, je le sais Chris. Maintenant tu reprends contenance et tu as l'air normal, voilà Alex et Raven qui arrivent. Elles ne doivent se douter de rien, ok ? Il en va de l'avenir des Insoumis, tu as compris

Je déglutis et hochai la tête. Me murer dans ma réserve habituelle, c'était encore la meilleure stratégie face aux deux fouines qui rappliquaient. Tout en rangeant rapidement le paquet dans mon sac, je maudissais silencieusement Adam du cadeau empoisonné de cette mission, tout en sachant qu'il avait pris la bonne décision.

- Compte sur moi, Adam.

HRP:

Ma nuit avait été courte comme celles de toutes ces âmes qui erraient dans les galeries souterraines. Tout le monde s’afférait de son côté pour être certain de ne rien oublier. Une fois que nous serions partis des Abysses, nous ne pourrions pas y retourner. Une page se fermait. J’avais reçu comme consigne d’Adam que des enfants et quelques adultes du bidonville feraient le voyage avec nous. C’était la « fameuse » conversation avec son invitée de prestige, comme il l’avait si bien formulée. Le groupe des ITS devait donc se rassembler au bas du poste de surveillance avant le lever du soleil. Chacun avait dû faire le tri sur beaucoup de choses et amener dans ce périple que le stricte nécessaire pour affronter l’hiver qui nous accueillerait quand nous serions sortis de ces interminables galeries. Des carrioles se montaient en un temps record avec les matériaux que nous avions à notre disposition. Avant de prendre la tête de ce convoi, j’avais encore quelques détails à fignoler. Mes deux sacs étaient fin prêts et je les récupérerai dans mon abri quand j’aurai fait le tour de tout ce que je devais voir avec Camille, au poste de surveillance, puisqu’elle ferait partie de ceux qui resteraient avec Adam pour aller tirer Logan des griffes de ses bourreaux.

Au retour de l’Underworld, Adam m’avait incendiée.  Tout ça, parce que j’avais mis le nez hors des Abysses, cette nuit, outrepassant ses ordres. De plus,  il m’avait mis sur le dos le fait que j’avais aussi provoqué l’insécurité d’un autre Insoumis. C’était de ma faute si le beau gosse m’avait collé aux miches ? Non ! Max était assez grand pour prendre ses décisions tout seul comme un grand, comme tous les Insoumis qui composaient notre clan. Mais en croire le Blondinet, j’étais responsable de l’Asarien ! Je lui avais répondu que je n’étais pas une nounou ! Argument qui n’avait pas ébranlé notre leader. L’envie de lui rétorquer que s’il me prenait pour une gamine écervelée, il n’avait pas qu’à me confier cette mission des ITS, mais la fatigue avait joué sur ma colère et j’avais tourné les talons, le plantant là, sans ajouter aucun mot supplémentaire.  Quelle tête de mule celui-ci ! Un vrai chieur ! Et après, c’était moi la merdeuse ! Tssss !

Malgré cette discussion houleuse, je devais le retrouver une nouvelle fois à l'ancienne gare de triage, sur ce pont roulant qui avait vu se rassembler la foule devant la mission importante et les choix qu’on devait faire pour notre futur et notre sécurité. Je remontai la capuche de mon blouson sur mes cheveux et je replaçai mon écharpe correctement. L’air dans les tunnels était glacial et il annonçait un hiver rigoureux à l’extérieur. J’avais prévu un bonnet en laine et des gants pour le voyage. Je savais qu’Alexandra se démenait pour que les enfants et les plus âgés puissent avoir un peu de chaleur quand les températures chuteraient. Je traversais le campement rapidement, ce village éveillé et en pleine effervescence. Mon village qui avait fait de moi la femme que j’étais aujourd’hui, plus téméraire, moins timide, plus capricieuse, plus combattante. C’était mes derniers pas ici et si je ne le montrais pas, mon cœur tambourinait contre ma poitrine. J’étais émue et pourtant je ne devais pas me laisser abattre. J’avais toutes ces vies qui comptaient sur moi pour les amener ailleurs … dans un lieu plus sécurisé, plus au chaud. Je vis un peu plus loin Alexandra qui donnait ses dernières instructions. Je lui fis un signe de la main. Elle aussi devait voir Adam. Elle finirait par nous rejoindre.

Après plusieurs bifurcations de tunnels, j’arrivais à cette ancienne gare. Je m’arrêtai un instant et je levai les yeux vers la plateforme. Adam n’était pas seul. Il était en compagnie de Chis qui devait faire le voyage avec les ITS. Je ne savais pas comment définir mes rapports avec cet Asarien. La seule certitude, c’était qu’il était compétent et que cela servirait le groupe dans son déplacement. Mais si je devais prendre des décisions, je n’étais pas sûre qu’il m’écoute et sincèrement devoir me butter encore et encore face à quelqu’un alors qu’on avait tout un convoi à protéger, je me demandais si c’était la bonne solution. J’aurai préféré Max. On pouvait se prendre la tête, mais on arrivait quand même à s’écouter. J’attendis que l’Asarien descende du pont roulant. Il passa devant moi et m’adressa un signe bref de la tête. J’avais horreur de devoir me méfier de tout et pour tout. Adam ne l’avait pas convoqué juste pour lui souhaiter bonne route. Je le suivis du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse de mon champ de vision. Je n’aurai de toute manière aucune réponse à mes questions.

Je m’avançai à mon tour vers l’échelle et j’agrippai les barreaux pour monter jusqu’en haut. Adam me tournait le dos, pensif, toutefois je n’étais pas dupe. Il avait dû me voir arriver et m’entendre grimper. J’espérai ne pas rejouer la crise que nous avions eu quelques heures plutôt. Je n’avais ni le courage de l’affronter, ni l’envie de garder comme dernier souvenir de lui, une énième dispute entre nous. J’abaissai ma capuche et je fis quelques pas pour m’approcher de lui, assez prêt pour me trouver derrière lui.

- Tu voulais me voir ?

Chris avait écouté mes arguments, pesé sa décision et accepté la mission que je lui confiais. Je savais que chacun des Insoumis avait une raison personnelle de me suivre dans mes décisions, mais aussi une raison commune, symbolisée par Logan. Si je n'avais pas été le réceptacle désigné de son leadership j'aurais certainement été atomisé par les Insoumis asariens et peu regretté par les Humains si j'en jugeais par ma côte de popularité avant la disparition de Logan. Quoi qu'il en soit, et quel que fût le processus engagé actuellement, je ne pouvais que constater et croire en l'allégeance de Chris pour mon plan. Je le croyais d'autant plus que sa mission consistait en partie à protéger Alex. Un leader se devait d'être à l'affût de ce genre de choses. De même que Logan n'aurait pas manqué de remarquer l'évolution de mon comportement envers Raven, je n'avais pas manqué de remarquer une étrange interaction entre Alex, Chris et Max. Ces trois-là étaient aussi secrets que peuvent l'être des Insoumis. Tout comme je pouvais l'être. Je savais deviner, néanmoins et peut-être parce que j'étais aussi secret qu'eux, que Chris n'était pas ce mec aussi indifférent qu'il voulait le laisser paraître, et notamment à Alex, quoi que ce putain de salopiot d'Asarien en dise. Max aussi avait une inclinaison pour Alex. A croire que ma protégée attirait l'attention de tous ces enfoirés d'Insoumis Asariens. Peu importait. Si cela pouvait être un atout motivant Chris, je me battais un peu les couilles de savoir qui marquerait le point. Il ne s'agissait pour certains que d'une amitié innocente. Ce n'était pas mon problème. Ma destinée était de sauver les Insoumis et de leur offrir un avenir. Chris m'avait assuré de pouvoir compter sur lui et je le croyais, aussi étrange que cela puisse paraître de ma part à l'égard de cet Asarien.

C'est donc assez confiant que je vis  Chris s'éloigner et descendre l'échelle pour croiser ... Raven. Bien que nous fûmes de même origine et plus proches, elle et moi que Chris, il me coûtait davantage de me confronter à cette femme qu'à tout autre des Insoumis Asarien. C'est pourquoi je répondis laconiquement à sa question dans un premier temps, pour enchaîner ensuite avec une tirade socio-philosophique.

- Oui, j'ai demandé à te voir ... Raven ... J'ai tant à te dire ...Il faut que tu voies les Insoumis au delà de ce qu'ils sont ... Oui, on est une communauté rassemblant aussi bien des Asariens que des Humains... Et alors ? Les Pacificateurs se targuent de la même chose . Mais ce qui nous différencie d'eux, c'est qu'on a cessé de croire au Père Noël depuis longtemps. Pas par conviction. Mais par obligation. Raven, ce qui fait que Chris ou Max, Kyra, Camille et Wade ne nous égorgent pas, c'est leur instinct de survie. La communauté  leur offre une protection. Le jour où les Insoumis perdront cette immunité alors les Insoumis asariens se rueront sur les Humains ou les trahiront. Le seul qui était capable d'empêcher ça, c'est Logan et c'est pour cette raison que je vais aller le sortir de sa putain de prison.

Oubliant mon statut de leader, je débouclai la ceinture qui retenait l'étui de mon couteau de chasse et lui tendis l'ensemble.

- C'est pour toi ... Pour la chasse et la cueillette dans les Terres Sauvages ... Tu le connais déjà. Il te protégera... Ce sera comme mes bras autour de toi, mon poing en avant de toi. Si tu l'acceptes, il sera ton allié, ton protecteur.

Essayant de masquer mes émotions, je me détournai pour sortir de mon veston en cuir un carnet relié en cuir, un carnet fatigué, usé, patiné. Je le lui tendis sans la regarder, cette fois.

- Je dois faire un truc. Je dois essayer pour Logan, et je sais que je peux y arriver... mais au cas où. Je veux que tu gardes ça. Si ça se passe mal, je sais que ce sera la seule trace de moi. C'est juste qu'elle te revienne ... Promets-moi de ne l'ouvrir que lorsque tu seras installée, avec tous les autres, dans les Terres Sauvages.

Ma voix s'éteignit et je me tournai vers la foule qui commençait à s'amasser au pied du pont roulant. Je devais passer le relais symboliquement à Raven. Lui ordonner de s'éloigner de moi, de prendre la tête de ce convoi. Je devais dire Adieu à cet espoir de bonheur ou y croire au point qu'il transcenderait les obstacles. Malgré les querelles, les embuches, mon cœur me disait qu'il devait y croire, mais la raison me soufflait de tout oublier pour me concentrer sur le combat à venir. Les Insoumis devaient en sortir victorieux quel que fût le prix à payer. Tourner le dos à son visage, à ses bras, à son cœur étaient un prix dont je n'aurais jamais pu anticiper la souffrance. Mais c'était le seul que mon sens de l'honneur pouvait concevoir.

- Prends soin d'eux et surtout, prends soin de toi, Raven !

Déjà, je me tournai vers la foule assemblée m' apprêtant à lui souhaiter un bon voyage.

- Le Sergent Reevers va bientôt prendre son service et va s'occuper de ton cas, Lockwood. Il aime bien les fillettes à gros muscles et avec une queue dans ton genre.

Le Caporal  Fagotts m'avait attrapé par les cheveux et plaqué contre le mur. En temps normal, je l'aurais envoyé valser d'un coup de coude, d'autant plus qu'il était humain. Mais trois jours sans dormir, boire ni manger, alors qu'on se fait tabasser toutes les trois heures, réveiller dès qu'on s'assoupit, arroser à l'eau glaciale pour se remettre debout et accepter de marcher jusqu'à la salle d'interrogatoires, m'avaient affaibli au point que j'avais tout juste la force de sourire. Ce sourire en coin qu'ils essayaient, en vain, d'effacer depuis mon arrestation.

Je murmurai, un filet de sang coulant entre mes lèvres.

- Arrête de faire ta jalouse, Fagotts ! Tu aimerais bien qu'il te la mette, hein ?

Le taser à puissance maximale dans les côtes m'avait aussitôt coupé le souffle. Je savais que ce pervers de Reevers m'avait en point de mire depuis deux jours. Je croyais simplement qu'il voulait me briser psychologiquement, comme le laissaient penser les douches glacées, la privation de sommeil, les coups sur les parties du corps les plus sensibles, mais je n'avais pas imaginé qu'il avait mon cul en ligne de mire. Ce genre de pratique ne me choquait pas plus qu'autre chose, dans la mesure où cela provenait d'un accord ou d'une envie partagée. J'avais pour principe que chacun faisait ce qu'il voulait de ses fesses tout autant que de sa tête. Je n'étais pas plus macho que la moyenne, contrairement à ce que mon apparence pouvait laisser penser et j'aurais vécu tout aussi mal qu'une femelle de la Milice envisage d'utiliser mon corps comme d'un libre service. Avec un mec, ce serait simplement encore plus humiliant et douloureux. Tandis que le zélé sergent me mettait en condition à la perspective de l'arrivée du gradé, j'avais déjà élaboré un plan pour que Reevers ne trouve qu'un cadavre à baiser.  J'avais été menotté les mains dans le dos, mais c'était l'enfance de l'art pour moi que de faire revenir mes mains à l'avant. C'est fou ce que des mains menottées peuvent suggérer à l'homme à qui elles appartiennent lorsqu'il veut conserver sa dignité. On m'avait ramené dans ma cellule. Et je m'étais accroupi mécaniquement pour rouler sur moi-même et faire passer mes mains devant. Suite à quoi, tout aussi mécaniquement, j'avais glissé mes bras à travers deux barreaux et les avais repliés de façon à faire revenir mes mains à l'intérieur de la cellule.

J'avais contemplé peut-être une ou deux longues minutes ces deux mains  menottées en songeant que, quelle qu'elle soit, aucune mère ne pouvait accepter que son fils finisse violé dans les cachots de la Milice. Je ne la connaissais pas. Pas plus que je ne connaissais mon père. Mais j'étais certain qu'ils n'aurait pas accepté cette idée. Mourir était acceptable. Abdiquer, insupportable. Machinalement, j'avais passé la tête entre mes mains pendues aux barreaux et m'était laissé glisser doucement les pieds en avant. J'avais immédiatement senti le cisaillement des maillons sur mon cou. Le flou était venu, puis les larmes...

Sur quoi pleurais-je exactement ? J'aurais voulu pouvoir dire sur les injustices de ce monde, sur mes parents que je n'avais pas connus, sur Jeko que j'avais perdu, sur l'orphelinat rasé, mon seul foyer d'enfance. En réalité, et c'était beaucoup moins honorable, je pleurais sur moi. Ce que j'avais enduré, ce que je ne vivrais, ne connaîtrais jamais. Une vraie gonzesse. J'étais confronté à la réalité de la fin. On flippait d'être seul pour le grand passage... L'ombre, le néant, la suffocation, tout se mêlait. J'avais hâte d'en finir. On n'a pas envie de prolonger une lente asphyxie. Un corde aurait été plus rapide... On veillait à ce que rien qui pouvait en faire office ne circule dans les cellules. Mes mains, mes menottes ... On pourrait dire "il s'est donné la mort de ses propres mains" Ou " être enchaîné l'a tué". La mort plutôt que la soumission. Plus tard, Logan m'avouerait que c'était en me voyant maître de ma vie jusqu'à l'extrême qu'il avait voulu ça: un rassemblements de personnes prêtes à se battre et à mourir pour ne plus vivre "n'importe quelle vie". Il en avait marre d'accepter, lui aussi. De fermer les yeux sur ce qui lui donnait la gerbe. Oui Logan m'avait avoué plus tard "on s'appellera les Insoumis, parce que j'ai vu dans ta cellule ce jour-là ce qu'était un insoumis absolu."

Logan ... il avait guetté mes retours d'interrogatoires et m'avait vu revenir chaque jour plus amoché. Et ce jour-là, il avait entendu cette salope de Fagotts et compris ce qui m'attendait. Il avait décidé d'agir mais il ne savais pas encore comment. Il était venu dans mon couloir dans l'idée de m'aider d'une façon ou d'une autre et avait trouvé un mec en train de suffoquer, s'étranglant avec ses propres mains, pour ainsi dire. J'avais senti de grands bras forts me soulever puis une main pousser sur ma tête tout en maintenant ma nuque pour me dégager du gibet mortel.

- T'es pas marteau, gamin, de te faire une clef comme ça ! T'aurais mis au moins une demi-heure à crever à ce rythme. Et encore! Comme tu es résistant, peut-être deux ou trois heures...T'aimes souffrir à ce point, espèce de con ?

Bref, toute la tendresse typique que chacun connait à Logan, notre leader... Nos regards s'étaient croisés, le sien rempli de rage et de colère, le mien moribond et désabusé. Le manque d'oxygène peut jouer tellement de tours... J'avais espéré tellement intensément qu'il soit mon père ou mon grand frère venu me sauver. Oui une partie de moi avait déliré ça. Par la suite, j'avais trouvé que l'idée du frère était pas aussi conne qu'il semblait. On était frères. Simplement, moi j'étais Humain, et lui, Asarien.



Raven me disait que j'avais tort ... Tellement de gens m'avaient dit ça ... Si je devais les compter ...

- Oui, j'ai tort, admettons.

Je lui avais murmuré ça après lui avoir donné le couteau et le carnet de recueils qui m'appartenaient. Raven ne saurait jamais. Pour elle, les Asariens pouvaient assassiner, asservir. Je m'étais renseigné. L'histoire de chacun des Insoumis était bien plus accessible que celle de leurs leaders. Peut-être parce que nous étions les validateurs pour entrer dans la communauté, Logan et moi. Logan avait choisi de laisser filtrer certaines informations sur sa vie passée, mais moi je m'y étais toujours refusé. Différence de caractère. D'origine, de nature, de vécu. Ça en jette un peu plus de dire "j'étais un Milicien mais ça m'a dégouté, j'ai préféré être de votre côté" que "un gradé de la Milice a voulu se taper mon matricule et j'ai préféré clamser". Raven ne saurait jamais, je l'espérais, ce que j'avais subi et failli subir. Elle avait perdu ses parents et je connaissais cette peine de façon différente puisque je n'avais pas connu les miens, contrairement à elle. Elle avait perdu un être cher, un mentor, ce Joshua. J'avais perdu Jeko. On pouvait en parler. Mais jamais je ne pourrais lui avouer qu'un gradé de la Milice voulait se taper celui qu'elle pensait fort, buté, et indestructible. Les Asariens, à mes yeux, étaient capables de tout. De la même façon que les Hommes à une différence près. Ils avaient juste une capacité de destruction presque illimitée ...

Je ne voulais pas qu'on se dispute et je ne la contrariai pas. Je voulais juste qu'elle soit prudente. Prête à tout. Les Asariens pouvaient ne pas supporter de rester reclus la journée et péter un câble une fois arrivés à la station. Ils pourraient alors reprocher aux Humains de mieux vivre cet exode. Les masses humaines sont imprévisibles. Si nous avions été deux. Si Logan avait été là, il les aurait accompagnés. Je serais resté en arrière... essayant de convaincre les récalcitrants. Aucun doute sur la pertinence de ce choix ne se serait élevé.

Me tourner vers la foule était un acte de courage attendu de la part d'un leader. D'un guide. Mais c'était un acte de lâcheté de la part de l'homme, du compagnon. J'en étais conscient. Je fuyais ce que je n'avais pas la force d'affronter. Cette séparation. Je me réfugiais dans mon rôle, dans mes responsabilités. Tout comme je le faisais depuis qu'elle était revenue à travers les terres sauvages, masquant le soulagement, le bonheur de son retour tant espéré derrière une foule de préoccupations. Je n'avais pas pris le temps de lui prouver à quel point je tenais à elle, le temps de l'aimer comme elle le méritait. Je sentis sa petite main se glisser dans la mienne, grande, calleuse, musclée. Raven n'était pas fragile, pas délicate non plus. Mais elle était la grâce infinie à mes yeux. Dans ses vieux jeans et son blouson fatigué, je savais, j'avais vu... Il y avait une femme au corps meurtri mais magnifique. Si belle, tellement en harmonie avec tout ce que je trouvais beau dans ce monde. L'aube sur les terres sauvages, le vol des oiseaux boréals, le chant d'une cascade, le vent dans les herbes hautes de la lande, le craquement des braises d'un feu de bois, le rire des enfants, le sourire ridé des vieux, une naissance dans la famille des Insoumis. Tout ce qui me faisait chaud au ventre. Raven était devenu cette chaleur... Je n'étais qu'un mercenaire, un tueur, un ours bagarreur, un loser. Un être arraché à la mort par Logan, un homme brisé mais insoumis ...

Je sentis le petit objet qu'elle avait glissé dans ma main. Mon autre main saluait la foule qui me répondait dans un murmure. Je reculai lentement pour me retrouver dans la pénombre. J'y entrainai Raven et l'attirai à moi après avoir glissé à mon cou ce cadeau que je savais précieux à ses yeux.

- Elle peut être fière de toi ... Sa fille est vraiment une fille bien. Un peu têtue sur les bords, mais je suis certain qu'elle l'était aussi ... Je te promets qu'il te reviendra.

Je me penchai pour l'embrasser tout en caressant sa joue. Elle ne m'avait jamais parue aussi vulnérable et menue qu'en cet instant. J'essuyai ses larmes de mon pouce rugueux. Un petit raclement de gorge se fit entendre. Alex venait d'arriver et tenait à manifester sa présence.