Le calme avant la tempête ? (Natacha)

Dès que le soleil commençait à s’éclipser, les températures chutaient très vite et le froid  et l’humidité se faisaient ressentir. L’hiver approchait à grand pas même si les journées étaient encore très douces pour la saison. Ilya aimait passer du temps hors des dômes et loin de la cité. Elle était humaine et le soleil n’avait aucun effet particulier sur elle, pas comme sur ces Asariens qui craignaient ses rayons et sa chaleur au point d’en mourir. Dès qu’elle passait la limite de la mégapole et qu’elle se trouvait dans les terres sauvages, elle se sentait libre et prise d’une envie folle de croire que l’avenir pourrait être très différent de ce présent. Elle n’était pas née au village, mais elle avait bien vite compris qu’elle y serait à l’abri le jour sans avoir à surveiller toutes ces patrouilles de Miliciens. Elle ne conduisait pas et elle avait demandé à une de ses connaissances, un marchand d’épices qui allait vendre ses produits au village, si elle pouvait faire le voyage avec lui. Ilya ne travaillait ni au Five ni au  dispensaire aujourd’hui, elle allait donc pouvoir profiter de cette journée entière loin de la misère du bidonville et de la crainte des soldats.

Ils étaient partis de bonne heure et le voyage jusqu’au village demeurait toujours assez long. Il fallait traverser les terres, suivre des chemins rocailleux, contourner des champs, passer tout près d’une forêt pour atteindre le seul et unique village qui avait été bâti des mains des humains quand les survivants avaient trouvé cette terre d’asile pour les accueillir après la pluie de feu. Ilya adorait faire la conversation et encore plus quand elle connaissait la personne. Elle avait rencontré le marchand au dispensaire. Ce monsieur, âgé d’une cinquantaine d’années et veuf depuis trois ans, venait régulièrement se faire soigner pour une allergie de la peau qui survenait de temps en temps. C’était de cette manière-là qu’elle l’avait rencontré et qu’elle s’était occupée de lui depuis le début. Un lien s’était alors tissé entre la jeune femme et cet homme qui voyait en elle la fille qu’il n’avait jamais pu avoir avec sa femme.

Arrivés enfin au village, Ilya remercia son chauffeur et ils se séparèrent. Lui, il allait chercher un coin au marché de la grande place du village pour exposer ses épices et elle, elle allait se balader en toute tranquillité, le cœur léger, loin des tensions de la cité. Elle n’avait pas vu passer la matinée et voilà que l’après-midi s’annonçait tout aussi plaisante. Elle prenait le temps qu’elle n’avait pas toujours en temps normal, à discuter avec les habitants. Elle s’aperçut au fil de ses rencontres et de ses conversations, que la population humaine était beaucoup moins stressée et moins miséreuse que celle qui vivait sous le dôme. Si le peuple avait peur de voir arriver des patrouilles la nuit pour des rafles, leur vie était très différente que celle dans le bidonville. Les taxes étaient moins imposantes, ils étaient libres de leurs mouvements la journée jusqu’au coucher du soleil. Lorsque le ciel s’assombrissait, ils savaient que tout pouvait arriver dans les prochaines heures et chacun se camouflait dans leur maison. Malgré ce danger permanent, là aussi, les humains du village étaient plus heureux.

Le soleil déclinait et le beau ciel bleu se changeait lentement en couleurs plus sombres, passant d’un rosé à un bleu nuit. Elle aurait dû partir du village depuis quelques heures, mais elle avait aidé une maman et son jeune fils à ranger leur étalage de fruits qu’elle cultivait toute seule. Son mari avait été fait prisonnier par la Milice et elle n’avait jamais eu de ces nouvelles depuis plus d’un an. Elle vivait de ses cultures et son fils d’une dizaine d’années, participait aux travaux. Elle l’avait vue épuisée et elle avait décidé de lui porter assistance. Les deux femmes s’étaient vite appréciées et l’heure, là aussi, s’était mise à passer à une vitesse incroyable. La maman avait offert le gite et le couvert à Ilya qui avait accepté. Trouver une personne qui l’amènerait à Asaria n’aurait pas été compliqué, mais rouler de nuit, il valait mieux éviter.

La mère et son fils habitaient au cœur du village et Ilya décida d’amener le petit Benjamin avec elle pour jouer un peu en attendant l’arrivée du repas. Le petit garçon se donnait un point d’honneur à toujours soutenir et épauler sa maman, mais il ne fallait pas oublier que c’était encore un petit garçon qui devait aussi profiter de ses jeunes années. La maman la gratifia d’un sourire et Ilya et Benjamin partirent main dans la main faire une petite balade.  Des lampes à l’huile éclairaient les ruelles en pierre du village. On pouvait y entendre les conversations et les rires qui s’échappaient des fenêtres et de derrière les portes en bois.  Le petit garçon courrait  et taper dans un vieux ballon devant Ilya.

--Regarde comme je joue bien Ilya !

Elle lui adressa un sourire qui disparut très vite quand une ombre surgit d’un coin d’une ruelle. La nuit s’était étendue, mais pas encore assez pour faire apparaitre des Miliciens. Elle accourut auprès de Benjamin et elle lui prit la main tout en ne lâchant pas du regard cette ombre qui ne bougeait pas. Elle paraissait l’observer puis elle se mit à se mouvoir sous une des lampes à l’huile qui éclairaient le coin. Ilya fronça les sourcils et elle examina la silhouette qu’elle reconnut soudainement.

-- Natacha ! …

Le prénom fut suivit d’un long soupir de soulagement. Le petit garçon regardait avec de grands yeux Ilya

-- Tu vas bien Ilya ?

-- Oui, oui, ne t’inquiète pas. Je te présente une amie. Elle secoua la tête et son sourire réapparut sur ses lèvres.  Tu m’as fait peur !

Elle lâcha la main du garçonnet et se précipita vers son amie qu’elle serra dans ses bras.

-- Pour un hasard, cela en est bien un ! On ne se voit plus depuis plusieurs mois au bidonville et voilà que nous sommes toutes les deux ici, au village !