Explications [Natacha]

Cela faisait presque une heure que je relisais toutes ces lignes, les unes derrières les autres, celles décrivant le rapport de Natacha sur sa fameuse nuit sous les dômes de la cité d’Asaria. 72 heures s’étaient écoulées depuis. Elle avait failli griller sa couverture de serveuse au Luxor pour aider une inconnue aux prises avec des Miliciens. Nous n’étions pas des « sauveurs » ni des Héros. Nous étions là pour renverser et détruire cette race supérieure. Cet objectif n’était pas sans conséquences et nous devions faire parfois des choix épineux tel que de laisser des innocents aux mains de ces monstres. Je tapotais machinalement, du bout de mes doigts, le rebord de mon bureau, feuillant le compte rendu que je commençais à connaitre par cœur. Elle pensait peut-être que je ne le lirai pas, qu’on ne m’en adresserait pas une copie. Elle avait tort ou bien elle savait pertinemment que je verrai tout cela. Ce n’était pas à moi d’émettre un quelconque jugement. Duncan et Diana s’en occuperaient bien mieux que moi. Moi, je n’étais qu’un des recruteurs du Faucon mais parfois, quelques dossiers sensibles me tombaient entre les mains pour que je puisse donner mon avis. Et là, c’était  l’ordre qu’on m’avait donné : à savoir si Black Cat était encore apte à garder sa place comme serveuse, si je devais la remplacer ou pas.

Je refermais nonchalamment le dossier, soupirant un grand coup pour tenter de faire le tri dans toute cette histoire. Natacha n’était pas une débutante. Elle était capable de planifier chaque risque et de prendre les bonnes décisions.  Je connaissais ses compétences et ce n’était pas cela que je remettais en question. Je voulais avoir la certitude qu’elle était consciente que son action aurait pu entrainer de graves répercussions sur elle avant tout, si elle avait été capturée, si son petit numéro n’avait pas marché sur les soldats. Je lui avais donné rendez-vous dans mon bureau à 10h du matin très précisément sans parler du motif de cette entrevue mais elle devait l’avoir deviné depuis un moment. A ma montre, il ne manquait qu’une dizaine de minutes pour qu’elle franchisse cette porte que j’avais laissée grande ouverte. Je voyais passer les agents de la Rébellion, me saluant à chaque fois qu’il croisait mon regard. Basculant en arrière contre le dossier de mon fauteuil, je me passais les mains sur mon visage, me frictionnant énergiquement avant que la tornade rousse ne vienne ébranler le silence de la pièce.

Je pivotais mon fauteuil, tournant ainsi le dos à l’entrée pour  ranger le dossier de Natacha sur l’étagère quand je sentis soudainement une présence envahir mes sens. Je refis pivoter le fauteuil dans l’autre sens pour y découvrir celle que j’attendais. D’un geste de la main, je l’invitais à venir s’asseoir dans l’un des fauteuils, face à moi.

« Bonjour Natacha, je t’en prie, entre et ferme la porte derrière toi. »

Notre tête à tête ne regardait personne et encore moins les curieux.

« Tu as deviné certainement pourquoi tu étais là ? J’ai lu ton rapport sur la nuit où tu as aidé une jeune femme. Ton dossier est arrivé sur mon bureau le lendemain matin. Je suppose que tu comptais que je n’en sois pas informé ? »

Je restais calé au fond de mon fauteuil, les bras sur les accoudoirs, l’observant très attentivement.

« Tu es ici pour savoir si tu es encore capable de jouer à la serveuse au Luxor et d’être notre espionne là-bas. Tu as failli griller ta couverture !! Tu t’en rends compte ?? »

Dès qu’elle ferma la porte de mon bureau, j’entrais dans le vif du sujet. Pas besoin de passer par tout un tas de politesse ou autres détails inutiles. Nous nous connaissions bien … trop bien … Mais aujourd’hui ce n’était pas l’ami qui discuter avec une alliée mais bien un supérieur face à un agent de terrain aussi gradé qu’elle. Comme je m’en doutais, Natacha me résuma pourquoi elle avait pris le risque de griller sa couverture de serveuse au Luxor pour venir en aide à une inconnue. « Entre la folie et la bravoure, il n’y a qu’un pas Natacha. Tu devrais le savoir mieux que quiconque. » Je n’acceptais pas son attitude ni sa prise de risques ! Bon sang ne voyait-elle pas qu’elle avait failli nous mettre tous en péril ? Et si ce n’était que cela, je pourrai me cacher derrière mes obligations professionnelles de recruteur et de bras droit des deux leaders mais il y avait autre chose qui grondait en moi. ELLE. BlackCat était bien plus qu’un membre de la rébellion qui avait pour missions de s’infiltrer là où elle pouvait pour obtenir toutes les informations nécessaires à l’anéantissement des Asariens. « Ce peut-être tout ce qui nous reste sauf que nous ne sommes pas de simples humains. Nous avons un combat à mener et il y aura toujours des dommages collatéraux que tu le veuilles ou pas ! ». Je me contenais tout comme elle, je le voyais précisément à son attitude, au son de sa voix qui changeait, à cette gorgée de café qu’elle prit pour apaiser cette tempête. « Je ne te juge pas sur tes capacités, je les connais parfaitement. » Je fis reculer mon fauteuil pour me redresser de toute ma hauteur. Je n’avais aucune envie de m’amuser ni encore moins de la taquiner comme à chaque fois que l’on se croisait. Aujourd’hui la situation était bien plus délicate. Je remplissais un verre d’eau fraiche que je bus en une seule gorgée. Elle arrivait à mettre mes nerfs au supplice. Je contournais mon bureau, me posant contre le regard face à elle. Plus rien ne nous séparait à cet instant-là. « A force de se croire au-dessus des autres on peut tomber, Natacha. Et la chute ne sera pas sans douleurs » . Comment pouvait-elle oublier dans l’état qu’Ethan l’avait amenée chez nous lorsqu’il la trouva à moitié morte dans le caniveau alors qu’elle s’était confrontée à un Asarien. Je ne désirai pas raviver ses souvenirs atroces mais elle m’y poussait.   « Tu as oublié qu’en une fraction de seconde tout peut basculer en ta défaveur ? » Je me penchais vers elle, agrippant les accoudoirs de son fauteuil, plongeant mon regard sombre dans le sien. « Il est hors de question que je te perde pour une petite erreur qui aurait pu te couter très cher ! Tu es un agent renommé et réputé. Tu fais quoi de toutes les règles de sécurité ? Ok ! D’accord ! Tu as voulu sauver cette femme … Natacha si tu avais raté ton coup ? Si les Miliciens n’avaient pas marché à cette supercherie… Dis-moi où est-ce que tu te retrouverais maintenant ? » J’avais une terrible envie de lui tordre son petit cou entre mes doigts. Elle arrivait à me faire perdre mon calme légendaire comme à chaque fois. « Il y a des gens qui tiennent à toi, ici !» Eh merde ! Voilà que je me laissais emporter par mes propres émotions. « Tu veux quoi ? Une décoration pour ton courage ? Une médaille pour avoir réussi à berner des soldats ? Et la prochaine fois, ça sera quoi Nat ? J’irai jeter une rose sur ta tombe ? » J’étais mauvais, c’était vrai mais au-delà de tous ces mots, je tenais à elle plus qu’à ma propre vie.