Phèdre se faisait petit à petit à la vie hors du Centre. Parfois, de drôles de problèmes survenaient, la désarçonnant. Des petites choses qui pouvaient sembler totalement dérisoires pour qui a toujours vécu relativement libre sous les dômes mais qui prenaient des proportions monstrueuses pour la jeune femme. Par exemple, devoir faire des courses. Elle ne savait presque pas cuisiner et n’avait donc aucune idée des aliments nécessaires. Le choix était bien trop étendu pour qu’elle parvienne à se décider et bien souvent, elle ressortait de la boutique avec du soda et un paquet de biscuits après plus d’une heure de recherche et de réflexions dans les rayons.
Bien entendu, elle avait gagné sa liberté mais au prix de tout un tas de petits tracas quotidiens auxquels elle n’avait jamais été préparée. Elle avait bien du mal à se repérer dans les rues et s’y perdait souvent. Petit à petit elle s’était repérée, parfois grâce un bâtiment, mais malheureusement, parfois, grâce à un panneau publicitaire, et lorsque celui-ci était changé, elle était de nouveau désemparée.
D’ailleurs c’était de cette façon qu’elle avait atterri au milieu des bidonvilles, dans une ruelle aux petites cabanes multicolores faites de bric et de broc. Elle s’était perdue, une fois de plus, et elle essayait vainement, en revenant sur ses pas, de retrouver le chemin jusqu’au petit studio qu’on lui avait fourni. Le jour déclinait lentement et Phèdre n’avait plus aucun repère quand elle se décida à demander son chemin à un homme qui fumait tranquillement, adossé à un lampadaire dont l’ampoule grésillait suffisamment fort pour que chacun sache qu’elle allait bientôt rendre l’âme.
L’homme avait un petit air jovial, brun, les yeux clairs, il avait une trentaine d’années à tout casser. Il s’était redressé et avait jeté son mégot au loin avant de demander à la rouquine où elle souhaitait se rendre afin de lui indiquer le bon chemin. Phèdre, rendue méfiante grâce aux nombreux conseils d’Héléna, donna simplement le nom du quartier où elle vivait, sans préciser l’adresse exacte. Même si elle était de nature confiante, elle se faisait violence pour ne pas être trop vulnérable face aux mensonges et à la manipulation des autres, humains ou asariens. Heureusement, le type se contenta de lui indiquer une direction de la main en lui précisant qu’elle devrait s’engager dans la seconde rue sur sa droite et continuer droit devant elle pour atteindre sa destination. Phèdre l’avait remercié, souriante, et s’était remise en chemin.
Le petit sac de toile contenant ses papiers, un peu d’argent, et un paquet de biscuits entamé se balançait au rythme régulier de ses pas, tapotant sa hanche droite en cadence. Peut-être était-ce le bruit que le tissus produisait ou simplement un manque d’attention, lorsque Phèdre s’engagea dans la rue indiquée, elle n’entendit pas les pas dans son dos. En fait de rue, l’endroit était une impasse crasseuse et sombre, alors qu’elle allait faire demi-tour, persuadée de s’être trompée, elle sentit une présence dans son dos.
L’homme l’avait suivi, elle fit volte-face et recula d’un pas alors qu’il lui souriait, goguenard et menaçant. Il avançait sur elle, le pas tranquille, l’air sûr de lui, en lui disant qu’elle était à son goût et qu’elle ferait mieux de se montrer gentille si elle ne voulait pas qu’il lui fasse mal. Mais Phèdre avait retenu une chose, elle pouvait dire non. Et c’est ce qu’elle fit. Bien entendu, son vis-à-vis ne partageait pas son opinion, il la coinça contre un mur et ses mains indiscrètes commencèrent à tirer sur ses vêtements. Mal à l’aise, la jeune femme cria en espérant que le bruit pousserait quelqu’un à se porter à son secours, sans succès.
Il avait à présent une main sous sa gorge, l’autre dégrafait sa ceinture et l’innocente ne comprenait pas vraiment ce qu’il cherchait, mais lorsqu’il relâcha un peu sa prise, elle parvint à se dégager en se tortillant comme un vers. L’énorme main revenait droit sur elle, menaçante, alors elle utilisa la seule arme qu’elle avait à portée. Elle planta ses dents de toutes ses forces dans le poignet du sale type, lui tirant un grondement rageur…Elle ne réalisa, que trop tard, qu’il pouvait toujours se servir de l’autre main. Il lui décrocha un coup de poing qui lui fit lâcher prise, elle valdingua contre le mur et son front heurta la brique avec violence. Ensuite, plus rien…le trou noir.
Elle était étendue sur le pavé, l’homme s’était enfui en la laissant inconsciente là, peut-être un peu effrayé de se faire surprendre après tout le bruit qu’ils avaient fait. Phèdre avait une énorme bosse au front, un peu de sang en perlait encore, alors qu’elle revenait doucement à elle, elle entendit d’abord quelqu’un gémir, avant de se rendre compte que c’était sa propre gorge qui émettait ces sons douloureux. Elle avait ouvert doucement les yeux et un mal de tête atroce l’avait poussé à les refermer, elle perdit de nouveau conscience.
Lorsqu’une voix s’adressa à elle, elle sentit vaguement un contact sur son épaule, puis réussit à aligner les mots qu’elle entendait dans le bon ordre. Elle gargouilla d’abord des mots incompréhensibles avant de réussir à articuler correctement.
-Je ne crois pas…j’ai mal…ma tête…