(Terminé) Confidences [Alexandra]

Cela faisait maintenant trois ans que je fais partie de cette communauté souterraine. J’ai eu du mal à m’intégrer parce que je me trouvais totalement intitule lorsque j’observais tous ces hommes et ces femmes qui mettaient leurs capacités pour renforcer et faire vivre le clan des Insoumis. On m’a donné une seconde chance pour ne pas finir esclave des Asariens. Mes parents ont été assassinés sous mes yeux et un homme, Joshua, fut mon salut, m’amenant avec lui pour me sauver et me protéger. C’était un Insoumis. Je parle au passé parce qu’il est mort, il y a maintenant un an. Ce fut mon second père et mon mentor. Il m’a guidé dans ce clan et m’a appris à avoir confiance en moi. Je me suis trouvée une véritable fascination pour tout ce qui touchait à l’informatique alors que je n’avais jamais vu un ordinateur de ma vie. Il m’encouragea à travailler ce don exceptionnel que j’avais et qui pourrait servir les Insoumis, un jour ou l’autre.

Aujourd’hui, je suis celle qui fut à l’origine de l’idée de doter nos galeries de caméras de surveillance pour permettre d’aider ceux qui pourraient être pourchassés par les soldats ou par la venue de curieux qui pourraient nous être fatal. Il a fallu énormément de temps et de longs mois pour récupérer le matériel nécessaire à toute cette installation. Avec Logan et Adam, on a décidé que le mieux était d’installer des caméras au niveau des galeries les plus sensibles. Ainsi, un poste de surveillance a vu le jour, équipé d’ordinateurs récupérés par les Insoumis. Le petit matériel fut le plus délicat à voler ou à acheter sur le marché noir. Je voulais des pièces bien précises et Logan m’avait donné le droit d’aller sur le terrain moi qui n’avais jamais quitté les abysses. C’est comme ça que j’ai eu plusieurs surnoms : celui de « petite souris » parce que j’ai la capacité de me faufiler partout sans que personne puisse me voir, de « Miss computer » à cause des ordinateurs, ou « d’emmerdeuse » à cause de mon caractère. Une vraie tête de mule. Je ne suis pas une grande fan des relations sociales. Je suis capable de vous répondre par oui ou non quand je n’ai pas envie de discuter ou alors, tout le contraire, je peux devenir un véritable moulin à paroles dès qu’un sujet m’intéresse ou alors quand j’ai peur. La nervosité me fait parler, et j’ai un débit de mots incroyable à la minute ce qui peut donner la migraine à certaines personnes autour de moi.  Un dernier point sur ma petite personne, j’ai tendance à tomber dans les emmerdes. Je les attire comme un aimant. Je suis comme je suis, avec mes qualités et mes défauts. C’est le lot de tout le monde, non ?

La journée s’était écoulée sans m’en rendre compte et déjà 20 heures 37 s’affichait au bas de l’un des écrans de mes ordinateurs chéris. Je n’étais pas toute seule à bosser au poste de surveillance. Nous avions mis au point des équipes et on se relayait à tour de rôle sauf que j’aimais bien garder un œil sur mes bébés. J’avais confiance en la jeune Asarienne, Camille et qui m’avait aidé à mettre sur point cet abri empli de câbles, de tours, et de discs durs externes. Ma relève n’allait pas tarder. Je rangeai un peu tout mon bordel bien qu’avec tous les appareils qui résidaient ici, c’était presque mission impossible. Une dernière vérification des caméras, de tout le système, un dernier clique sur ma souris pour enregistrer les paramètres pour cette nouvelle nuit, et je basculai mon fauteuil  tout en me retournant. Une silhouette m’apparut soudainement, ouvrant les pans des deux lourds rideaux qu’on avait tendus de part et d’autres pour faire une sorte de paravent. Il n’y avait pas de portes si c’est la question que vous vous posez. Ces rideaux sombres et opaques délimitaient la poste de surveillance, mais il n’y avait rien à cacher puisque tous les Insoumis étaient au courant de ça.

Je pensais que c’était ma relève, mais non. C’était Alexandra, notre soigneuse qui venait me rendre visite avec un thermos de café à la main. Quelle bonne idée. Je me levai de mon fauteuil à la recherche de deux gobelets propres que je posai sur la table centrale. Une table faite d’une large et longue planche de bois mise sur deux tréteaux.

-  Tu lis dans mes pensées ! J’avais envie d’un bon café ! Ma relève ne va plus tarder.

Je m’étirai, levant mes bras au-dessus de ma tête tout en lui souriant. Alexandra était un peu comme moi quand j’étais arrivée dans les abysses. J’évitais de me mêler aux autres, surtout les Asariens. Oui, nous sommes une communauté qui réunit les deux races et ce n’est pas évident quand on a eu comme moi des parents assassinés par les Asariens. Nous avons toutes et tous, ici, des passés lourds, des histoires que l’on préfère taire. Alex en fait partie. On a commencé au fil des mois, à se parler. Elle s’occupe des petits bobos des Insoumis et comme mes sorties sous les dômes ne se font jamais sans égratignures, pour ma part, on s’est rapprochée peu à peu.

- Tu n’as plus de patients à soigner pour aujourd’hui ? Promis, je ne pars pas en vadrouille ce soir. Donc, tu n’auras pas à me soigner demain matin. Comment vas-tu ?

Je savais qu’elle avait toujours du mal à approcher nos Asariens. Je la comprenais et je voulais aussi l’aider à leur faire confiance. C’était un travail qu’elle devait faire sur elle-même, mais parfois un peu d’aide, c’est toujours bon à prendre.

La nuit venait d’arriver, ce qui ne changeait pas grand-chose à l’éclairage de nos galeries et de notre petit village souterrain enfouis sous la grande cité de verre. Nous ne pouvions nous repérer grâce à la lumière de l’extérieur, alors fort heureusement que nous avions des montres, des téléphones portables ou bien comme moi des écrans d’ordinateurs pour donner un certain équilibre à notre quotidien. Mon tour de garde au poste de surveillance prenait fin. Nous n’étions pas nombreux chez les Insoumis à avoir des capacités pour l’informatique ce qui expliquait nos longues heures dans cette pièce faite à même la roche. J’avais cru un instant que ma relève était arrivée, mais non. C’était Alexandra, une autre humaine et Insoumise, comme moi, qui venait me rendre visite avec du bon café. J’en avais grand besoin pour me détendre et me donner un coup de fouet. Je ne comptais quand même pas rentrer dans mon abri et me mettre au lit à une heure aussi tôt de la soirée.  Je l’accueillis avec joie. C’était rare qu’elle sorte de son petit endroit qu’on avait tous surnommé : l’infirmerie. Elle me faisait penser à moi et à mes premiers mois chez les Insoumis, à chercher ma place et mon utilité. Et surtout à ne plus être aussi méfiante envers les Asariens qui composaient cette communauté hétéroclite.

Je me levai de mon fauteuil à la recherche de deux gobelets tandis qu’elle nous servait de cette boisson aux odeurs fortes et intenses. Je la rejoignis sur le fauteuil voisin. Des fauteuils qui avaient été récupérés d’une vieille voiture, démontés et installés ici pour qu’on puisse se détendre. Notre confort était spartiate et c’est ce qui nous définissait aussi.

- Oh je sais bien que certains n’aiment pas se faire soigner ni même rester tranquille durant quelques heures pour se reposer ! Tu as l’exemple type devant toi ! Mais ça tu le sais déjà.

Je levai mon gobelet pour trinquer avec elle, savourant alors la première gorgée de ce café bien mérité et qui faisait du bien !

- Les compromis. Je ne sais vraiment pas comment tu fais pour parlementer avec tes patients et d’être aussi patiente ! Moi je n‘y arriverai pas. Les têtes de pioche qui ne veulent pas m’écouter, bah, je les laisserai. Après tout c’est leur choix non ?

Tout en finissant la fin de ma phrase, je venais de m’apercevoir que j’étais ainsi : premièrement, je n’allais jamais de moi-même à l’infirmerie. On m’y emmenait parce que j’étais trop bornée pour me faire soigner. Et deuxièmement, quand Alexandra finissait mes soins, au lieu de rester calme durant un peu de temps, il fallait à tout prix que je me lève.

- Mouais, je sais ce que tu vas dire, que je suis comme ceux-là. Nan mais t’as pas tort hein ! J’assume. Mais j’assume aussi de ne pas savoir être patiente avec des cas comme moi !

Et je partis dans un fou rire incontrôlable. Je me connaissais parfaitement, enfin presque. On dit toujours qu’on ne se connait pas totalement et que ce sont les autres, toutes ces personnes qui nous approchent qui nous font découvrir de nouvelles facettes de notre comportement. Sauf que je savais déjà une ENORME partie de ma personnalité, et j’imaginai donc cinq personnes avec mon caractère et que je devrai gérer. Nan ! C’était une mission impossible pour moi ! Je me recalai dans le fauteuil, avalant une autre gorgée de son délicieux café.

- Bon, c’est bien de parler de ma petite personne, mais, et toi ? Ça fait un petit moment que tu es là, tout comme je sais que tu as eu du mal avec les Asariens de notre groupe. Je pense que quelque part, nous les Humains, on a eu du mal à s’adapter à eux, comme eux à nous d’ailleurs.

Je me penchai vers Alexandra, mes deux coudes sur mes cuisses, comme si je m’apprêtai à lui révéler le plus grand secret qui ait existé sur Terre.

- Te laisse pas faire ! Etant donné que tu es beaucoup plus diplomate que moi, ça devrait le faire. Ils ne pourront pas longtemps être froids ou imbuvables ! Bon, pour moi c’est autre chose. Je n’ai pas de patience, pas forte en beau discours, ni les manières. Donc, je leur tape très vite sur les nerfs ! Mais je m’en fous ! Je suis comme je suis. Je ne demande  à personne de changer pour moi, donc j’en demande autant aux autres envers moi. Et pis, tu imagines, si on était tous tranquilles, calmes …. Ça serait d’un ennui à la fin !

Ouais, j’en disais très souvent des bêtises. Pourquoi ne pas rire ? C’est ce que nous avions de plus précieux ici et bien sûr, survivre. Je pouvais aussi être très sérieuse et à l’écoute des personnes que j’appréciais.

- Comment tu te sens ?

J’écoutais avec attention les réflexions d’Alexandra au sujet de ses patients et plus particulièrement sur le fait qu’elle aimerait parfois qu’ils écoutent un peu plus ses recommandations, comme rester plus longtemps à l’infirmerie pour se reposer, pour laisser le temps aux  soins qu’elle avait prodigués de faire leur office. Installées toutes les deux  dans les fauteuils d’infortunes du poste de surveillance, on dégustait le café que la jeune femme avait ramené dans un thermos. Plus je prêtais l’oreille à ses paroles, et plus je me rendais compte combien Alexandra avait changé au fil du temps, parmi nous. Elle avait gardé sa gentillesse et son écoute aux autres, ce qui manquait cruellement à certains Insoumis, et elle avait appris à mettre ses peurs et ses doutes de côtés pour se façonner une personnalité assez têtue comme elle venait de me le souligner. Les Abysses nous changeaient toutes et tous. C’était indéniable surtout quand on avait vu, comme moi, l’évolution d’Alexandra. Je portai à mes lèvres le gobelet tout en réfléchissant à tout cela.

- Disons que tu es devenue effectivement plus enclin à tenir tête aux autres, et c’est ce qui pouvait t’arriver de mieux. Tu as acquis des compétences depuis tout ce temps et tu sais mieux que quiconque quand il faut garder le repos. Mais tu sais aussi bien que moi qu’on est … hum… comment dire … En marge de la société ? Qu’on a dû mal à se soumettre à quelque chose à part les lois de notre communauté. Nous sommes bien des Insoumis ! Et pis, t’en fais pas ! Tes patients sont majeurs, tu leur montres que le repos est conseillé, tu tentes de leur ouvrir les yeux, mais ils restent les seuls décisionnaires de tout cela. Je sais que ça doit être frustrant. Je préfère cent fois plus bosser avec des ordinateurs ! Y’a pas de disputes … bon, peut-être un tout petit peu quand quelque chose ne veut pas marcher !!

Je la taquinais et j’aimais bien ajouter cette petite touche pour décompresser avec elle.  Un fou rire m’échappa et Alex me suivit dans ce délire. Se montrer forte, montrer qu’on avait sa place dans la communauté, tout cela était un combat permanent. Nous avions chacun une fonction, nous apportions tous une pierre à l’édifice pour survivre dans ce quotidien souterrain. Personne ne pouvait s’endormir sur ses lauriers ou se mettre dans un coin et attendre que les autres se bougent pour le groupe. Logan nous avait offert une seconde chance, c’était à nous de lui prouver qu’il ne s’était pas trompé. Je comprenais Alexandra : faire confiance à des Asariens n’avait pas été facile pour moi aussi. C’était notre soirée de confidences. Alexandra me laissa entrer dans son passé. Je ne désirai pas lui rappeler de mauvaises scènes, d’évoquer avec elle ce qu’elle tentait désespérément de laisser dans un coin de sa mémoire. Je ne comptais pas la couper dans son élan, mais à ses mots, à l’intonation de chacune de ses paroles, j’avais mal pour elle. Son histoire me donna des frissons. Elle n’avait pas besoin d’entrer dans les détails pour que je comprenne très exactement ce qu’elle avait vécu.

- Je suis désolée Alex, je ne savais pas, je n’imaginais pas tout ce que tu as pu endurer.

Ma voix si espiègle s’était muée en un murmure de soutien.

- Tu as raison, le temps n’efface pas tout, mais il permet d’alléger et de trouver une certaine paix.

Comme je venais de le faire avec elle. Ici personne ne posait des questions sur le passé des uns et des autres. Chacun avait le choix de se dévoiler ou de garder ces souvenirs. Logan était le plus souvent une sorte de gardien de tous ces funestes moments. Moi j’avais échappé à la mise aux enchères sur le marché aux esclaves, à une vie de soumission auprès d’un Asarien… Alexandra, non.

- Je suis née dans les bidonvilles. C’est d ‘ailleurs pour cela que j’arrive très facilement à me guider dans ces quartiers miséreux. Un jour, il y eut une rafle. Les Miliciens avaient décidé de jouer avec la vie des hommes, des femmes et des enfants humains. J’ai vu mon père se faire tuer sous mes yeux. J’étais condamnée à suivre ces soldats pour être mise sur le marché aux esclaves. Dans ce chaos, quelqu’un en avait décidé autrement.   Joshua, l’Insoumis qui m’a aidée à échapper aux Miliciens après le massacre de mes parents, était un humain. J’ai très longtemps eu à faire à Logan seulement et je ne sais pour quelle raison, je ne l’ai jamais catalogué comme un Asarien, mais comme notre mentor, notre guide. Quant aux autres ... Tu sais, j’ai eu autant de difficultés avec les Humains. Je me suis très longtemps renfermée sur moi-même et encore plus après la mort de Joshua. Encore une fois, une personne que j’aimais m’abandonnée et … je m’étais dit que la meilleure solution pour moi, c’était de me retrancher : faire mon boulot ici et c’est tout. Ne plus me lier avec personne. Ça fait moins mal.

J’avais longtemps procédé ainsi après la mort de celui que j’avais considéré comme mon second père. Logan m’avait donné une mission : mettre sur pied le poste de surveillance. Au début j’étais toute seule, puis Camille est arrivée dans le groupe et on a uni nos compétences. Je suivis le déplacement d’Alexandra qui se servait de nouveau du café.

- Les Asariens ont tué mes parents. Je dois admettre que communiquer avec eux a été terrible. Max est, après Logan, le seul avec qui j’arrive à me détendre maintenant. Camille c’est autre chose. Une même passion nous lie, peut-être aussi parce que c’est une femme. C’est un combat que je livre contre moi-même pour m’empêcher d’être un véritable cas d’insociabilité.

Je me levai pour me resservir du café et je présentai mon gobelet pour porter un toast :

- A nous Alex ! A ce que nous sommes devenues ! Deux femmes fortes ! A notre  survie !