(Terminé) Sensations || Natacha

La nuit s’égrenait au fil des heures et elle était bien avancée au moment où Evan releva la tête du comptoir qu’il était en train de nettoyer. Il était un peu plus de minuit. Les clients étaient toujours aussi présents au Five. Une sorte de turnover qui ne cessait de se dérouler sous ses yeux. Il était habitué depuis des années à  côtoyer cette clientèle hors du commun. C’était le seul établissement en Asaria où les Humains et les Asariens de classes moyennes se fréquentaient sans se taper sur la gueule. Le Five ne ressemblait en rien à la Taverne de l’Enfer du bidonville, lieu où les Rebelles aimaient se retrouver autour d’un verre. C’était aussi un bar détenu par le père d’un des membres du Faucon et ami d’Evan, Steve Roswell. Le père de ce dernier était un pilier des quartiers miséreux. Il connaissait tout le monde et Evan avait toujours pensé qu’il connaissait certains de nombreux secrets sans pour autant les dévoiler.

Ici, les clients ne cherchaient pas à savoir de quelle nature était l’autre. Il n’y avait pas de richissimes individus Asariens accompagnés de leurs femmes fatales ou de leurs esclaves. C’était des hommes et des femmes qui gagnaient honnêtement leur vie d’un petit salaire. Evan arrêta d’essuyer le comptoir avec son chiffon en se prenant à penser qu’il venait d’avoir une opinion positive pour ces Etres qu’il détestait. Ses yeux scrutaient toute cette petite population, un petit échantillon de mélange des deux races. Personne emmerdait personne ou peu. Il n’y avait aucun soldat de la Milice à l’entrée ni à l’intérieur pour surveiller qui que ce soit ou y faire une descente sur ordre d’un ministre.  Pourquoi le gouvernement ne laissait-il pas plus de liberté à ce genre de commerces ?  Le Five avait souvent fait l’objet d’une fermeture imminente, mais son propriétaire s’était toujours battu  d’une manière loyale avec la justice pour obtenir gain de cause. Un propriétaire Asarien qui embauchait du personnel humain et qui s’était toujours bien comporté avec Evan. Lui-même se prenait à rêver d’un autre monde différent, mais il savait que cela était impossible. Les Asariens, ceux du gouvernement, ces Anciens et même leurs héritiers de la nouvelle génération étaient gangrénés par le pouvoir, la manipulation et la soif d’asservir les plus faibles.

Un client le héla et lui commanda un shot de rhum  qu’il s’empressa de servir immédiatement  sous le nez de l’homme qui venait de s’installer au bar. Evan n’avait pas encore pris sa pause. C’était son habitude d’être l’un des derniers à se reposer dans la petite salle commune du personnel où il pouvait avaler son casse-croûte qu’il  amenait avec lui quand il bossait. C’était aussi le seul moyen de tenir éveillé jusqu’à trois heures du matin, heure à laquelle le Five tirait son rideau et invitait les derniers clients à finir leur verres et sortir pour rentrer chez eux. Il ne crachait pas sur son salaire qui le faisait bien vivre pour un humain. Cet argent lui permettait de payer le loyer de son petit deux -pièces dans les quartiers du bidonville et de se permettre de ne pas mourir de faim. Le patron permettait à ses employés de boire uniquement de l’eau pour se désaltérer. Pas d’alcool ou de caféine.

Le goulot de la bouteille à ses lèvres, ses yeux découvrirent l’identité d’une belle silhouette qui venait de pousser les portes de l’établissement. Elle était brune, de petite de taille et son visage bien qu’il puisse refléter les traits d’un Ange, il savait que c’était une petite démone qui se dissimulait derrière cela. Il reposa sa bouteille dans le recoin du bar et il suivit, sans bouger, la progression de Natacha Grey au milieu de tous ces mâles qui s’étaient retournés dès son entrée parmi eux. Un autre barman l’avait appelé pour lui demander son aide à ranger les cannettes de bières dans le frigo, sous le comptoir, mais Evan s’était perdu dans l’observation de la jeune femme. La tape à l’épaule qu’il venait de recevoir et le rire du barman lui firent comprendre qu’il venait de s’absenter un moment.

«  Un joli petit lot à regarder ?  »

«  Non, je regardais une table au bout de la salle. Elle était la plus bruyante, je ne voudrai pas voir les emmerdes pointer leur nez. »

Il avait menti, en esquivant la question de l’employé qui bossait avec lui depuis autant d’années au Five. Evan était très discret sur sa vie privée et sur ses sentiments. Il n’était pas un homme à les exprimer pleinement comme certains. Non que cela puisse lui faire peur, c’était qu’il ne savait pas comment y faire ni comment s’y prendre. Il savait qu’il plaisait aux femmes. Il n’en doutait plus depuis qu’il était serveur. Il ne comptait plus le nombre de Demoiselles qui l’avaient dragué durant de longues soirées. S’envoyer en l’air dans les bras d’une jeune femme le temps d’une nuit, il ne disait pas non, mais il n’était pas non plus un homme à collectionner les maitresses. Il tapota nerveusement le rebord du comptoir sans se rendre-compte à quel point ses doigts faisaient un bruit terrible. La scène qui se tenait devant lui n’était pas pour lui plaire. Natacha se faisait draguer ouvertement par deux types et elle semblait bien s’amuser. Il décida de prendre un plateau, de déposer deux bières et  …Et quoi ? Qu’est-ce que choisirait Natacha pour boire ? Il n’avait aucune idée de ses envies. Il détailla les autres clientes pour imiter leur choix et il remplit un verre d’un whisky-coca pour la Rebelle. Il prit le plateau et sortit de derrière le comptoir en direction du trio dans un pas décidé jusqu’à ce qu’il se plante entre les deux hommes et Natacha, un sourire au coin des lèvres. « La maison vous offre ces deux bières ! » Il remit les cannettes dans leurs mains et se détourna des deux hommes surpris par son intervention. « Et pour Mademoiselle, aussi la consommation est offerte ! »

Cela avait été deux longues journées pour Natacha. Outre son travail au Luxor, la Rebelle avait suivi plusieurs pistes que l’on avait demandé et avait ainsi pu glaner quelques informations. Elle n’avait pour ainsi pas dormi et une fois son service terminé, la jeune femme était rentrée chez elle afin d’écrire son rapport. Elle devait aller le déposer le lendemain au QG. Epuisée, elle aurait dû sombrer dans le sommeil direct mais l’adrénaline n’était pas encore retombée et Natacha se sentait en pleine forme. Essayant d’être raisonnable, elle s’était pourtant couchée de bonne heure mais impossible pour elle de fermer les yeux dans l’était de nervosité dans lequel elle se trouvait. De guerre lasse, elle s’était donc relevée et avait décidé de sortir. Elle aurait bien aimé appelé Ely mais cette dernière était elle aussi en mission donc impossible pour elles de se voir. Et surtout, Nat’ ne se sentait pas d’humeur à faire une sortie entre filles. A parler surtout. Elle avait besoin d’un peu plus d’action. Sautant du lit, la jolie brune prit une douche et s’habilla puis sortit. La fraicheur de la nuit l’accueillit. Elle se rendait compte maintenant qu’il devait être assez tard. Après ces derniers jours, elle avait un peu perdu la notion du temps. Natacha n’était pas spécialement frileuse mais elle était contente d’avoir pris sa veste. Tout en marchant, elle se surprit à penser à tout le chemin parcouru depuis le jour où Darren Harrison l’avait laissée pour morte dans le caniveau après ce cambriolage raté.  Qui aurait cru qu’elle aurait rangé son costume de voleuse ? Certainement pas elle. Natacha s’était résignée à vivre une vie faite de menus larcins et autres. En solitaire. Jamais elle n’aurait pensé qu’elle appartiendrait à la Rébellion et encore moins avoir des amis sur qui compter. Elle avait beau être plutôt sociable, il n’en restait néanmoins qu’elle n’avait jamais eu d’amis véritables avant cette histoire. Ethan ne l’avait pas sauvé que de la mort cette nuit-là, il l’avait sauvé d’une vie vide de sens. Et elle lui en serait éternellement reconnaissante pour ça.

Tout à ses pensées, la jeune femme s’était rendue devant le Five sans s’en rendre compte. Hésitant à y entrer, elle se demanda un instant si Evan serait là. Elle ne connaissait pas l’emploi du temps du Recruteur. Et puis quelle raison donnerait-elle à sa présence sur son lieu de travail ? L’envie de le voir ne semblait pas une excuse acceptable. Et surtout une explication qu’elle ne donnerait pas. Même si ce n’était que l’entière vérité, jamais Natacha ne l’admettrait même à elle-même. Depuis la mort de Johnny, elle s’était jurée de ne plus jamais tomber amoureuse. Avoir des aventures de temps à autre oui pourquoi pas mais plus jamais elle n’engagerait son cœur comme elle avait pu le faire dans le passé. C’était bien trop douloureux. Beaucoup plus que les coups qu’elle avait pu recevoir jusqu’à présent. Elle resta donc un moment devant la porte ne sachant que faire. Puis haussant les épaules, elle se morigéna. Ce n’était pas dans ses habitudes de tergiverser autant. Elle pouvait très bien dire qu’elle avait eu besoin d’un verre. Pas besoin d’en dire plus. Et puis si ça se trouvait, Evan ne serait même pas là. Riant de sa bêtise, elle poussa alors la porte et pénétra dans le bar. Une vive chaleur la saisit alors et elle enleva sa veste dévoilant une tenue des plus sexy. Talons aiguilles, pantalon en cuir et un petit haut rouge vive à dos nu. Elle avait relevé ses cheveux dans un savant chignon coiffé décoiffé. Un discret maquillage complétait le tout. Quand elle sortait, Natacha se débarrassait de habituels jeans pour revêtir des vêtements plus seyants et bien plus féminins. Et au vu des regards admiratifs sur son passage, elle n’était pas trop mal ce soir.

Elle aperçut Evan au fond derrière le comptoir. Son cœur rata un battement ce qui était devenu une habitude depuis quelques années maintenant. Il était occupé à servir des clients aussi n’alla-t-elle pas le voir directement. De toute façon, elle n’en eut guère le temps car elle se fit bientôt aborder par deux hommes. De nature un peu séductrice, la jeune femme se laissa appréhender sans trop de souci. Elle rit volontiers à leurs blagues. D’ailleurs l’un des deux était en train de lui parler quand tout d’un coup elle le sentit venir. Elle ressentait sa présence avec une telle acuité qu’elle n’avait jamais connue auparavant. C’était le seul qui réussissait ce tour de force. Natacha sentit un frisson lui glisser le long de l’échine et perdit le fil de ce que l’homme en face lui disait. Il se mit bientôt entre elle et les deux hommes en leur offrant un à chacun une cannette de bière. Puis se tourna vers elle avec un verre. Elle croisa son regard bleu et lui fit un petit sourire en retour.

« Je vous remercie… C’est une charmante attention… »

La Rebelle regarda son recruteur une lueur amusée au fond de ses yeux. Ce n’était pas le genre d’Evan de se mettre ainsi en avant. Serait-il jaloux du fait qu’elle parlait avec ces hommes ? L’idée était loin de lui déplaire. Mais l’intervention du barman ne fit pas l’unanimité apparemment car l’un d’eux s’interposa entre les deux jeunes gens poussant Evan sans ménagement.

« Et si tu allais travailler toi ? Tu ne vois pas que tu empiètes sur nos plates bandes ?! »

Natacha fronça les sourcils en voyant son comportement et surtout son langage. Se faire draguer gentiment d’accord mais se faire traiter comme un morceau de viande, très peu pour elle. Et puis, le comportement de l’homme ne faisait que de révéler le taux d’alcoolémie élevé qu’il avait. Le regard froid comme de l’acier, elle fusilla l’inopportun du regard et assena

« Il me semble que Monsieur ici n’essayait que de montrer l’hospitalité de ce bar. Et il n’empiétait sur les plates bandes de personne vu que vous n’avez plus personne pour vous tenir compagnie. Bonne soirée Messieurs. »

Sans plus de façon, elle tourna les talons et s’en alla vers le bar. La jeune femme pouvait changer de visage d’un instant à l’autre et les deux hommes venaient d’en faire les frais. S’installant sur un des hauts tabourets du comptoir, elle posa son verre en espérant qu’Evan la rejoindrait bientôt.

S’interposer entre deux types bien bourrés et la jolie Rebelle avec seulement un plateau, deux bières et un verre de whisky-coca, était à placer dans la pire des idées sur une liste à ne plus refaire jusqu’à sa mort. Il n’avait eu qu’un seul but, détourner l’attention des deux mecs pour qu’ils retournent gentiment  à leur table. Jamais Evan ne s’était comporté ainsi. Lui qui n’était que maitrise parfaite et d’un calme olympien. Tous les nouveaux rebelles s’étaient cassés les dents devant son flegme impassible et détaché, devant les réactions des petits nouveaux qui essayaient de le provoquer. C’était peine perdue. Evan n’était pas homme à taper et à utiliser la force. Au contraire, il était très observateur et c’était pour cela qu’il avait été placé par Duncan comme recruteur officiel du Faucon. Pourtant ce soir, il ne se reconnaissait pas. Dès que la jolie brune croisait son chemin, il n’arrivait plus tout à fait à contrôler son comportement. Si entre les murs de son bureau, il se trouvait sur son terrain, ici il ne devait pas oublier qu’il y avait d’autres individus. Mais le regard intense et le petit sourire qu’elle lui offrit lui fit perdre toute raison et tout ce qui l’entourait. Il le comprit trop tard quand l’un des types qui avait commencé à draguer Natacha le poussa pour qu’il dégage de son champ de vision. Le Rebelle ne devait provoquer aucune bagarre. Il se souvenait encore bien de celle qui s’était déroulée à la Taverne de l’enfer quelques jours plutôt et dans quel était le bar s’était retrouvé. Là il pouvait perdre sa place.

Evan se retourna vers celui qui venait de le pousser tout en tenant le verre de Natacha qui restait sur le plateau. Il allait répliquer à la bêtise humaine quand elle s’interposa la première. Il savait depuis longtemps qu’elle n’avait pas sa langue dans la poche, qu’elle détestait n’être qu’un objet aux yeux des hommes et que bien plus que les mâles, elle était indépendante et très douée pour se défendre toute seule. Ce fut lui qui arbora un sourire presque triomphant et fixa le type de ses yeux bleus. Elle avait horreur de faire dans le détail et l’homme en prit pour son parti. Elle tourna les talons et se dirigea sans plus aucune forme de cérémonie vers le comptoir. Evan toisa une dernière fois le pauvre type et emboîta le pas à Natacha. Il passa derrière le comptoir et reposa le verre qu’elle avait oublié devant elle. « Je sais que tu vas me répéter que tu es une grande fille, mais tu devrais arrêter de jouer avec des types de ce genre-là. Tu cherches quoi en les chauffant de cette manière-là ? »

Devant la jeune femme, il perdait sa belle assurance. Il ne comprenait pas comment elle pouvait ne pas voir que la majorité des clients qui venaient se bourrer la gueule au Five, étaient des types peu fréquentables. Il se pencha vers elle, croisant ses coudes sur la banque qu’il venait de nettoyer un peu avant l’entrée de BlackCat. C’était très mauvais pour sa santé mentale de la détailler ainsi et d’aussi prêt. Elle était magnifique avec ses grands yeux verts, ses lèvres finement dessinées et son visage d’Ange. Ce n’était qu’un leurre devant la femme démon qui lui faisait face. « Ok ! Je n’aurai pas dû aborder ce sujet-là ! Ce ne sont pas mes affaires après tout.  Tu te fais discrète depuis un moment, ça fait plaisir de te voir. Je t’ai servi un whisky-coca, mais si tu préfères autre chose ? La consommation est pour moi. Alors comment vas-tu ? »

Le jeune homme préféra dévier la conversation sur ce qu’elle faisait. Il n’avait pas vraiment de doutes sur les activités de la belle. Elle était un agent de terrain, une espionne du Faucon et elle avait pas mal à faire de son côté.  Le second barman passa derrière lui et il attrapa son bras pour lui filer une information précise: « Je prends ma pause.  » Le gars acquiesça et Evan sortit de derrière le bar en invitant Natacha à le suivre. « On sera plus au calme dans la petite salle du personnel. Je  suis toujours le dernier à prendre ma pause. Il est assez tard pour que cela vienne à mon tour. Tu prends ton verre et tu me suis ? C’est la porte au fond de la salle sur la droite. »

Il glissa sa main sur le bas du dos de la jeune femme, un geste qui le surpris autant qu’il pouvait la surprendre. Il la retira aussitôt et lui indiqua de venir avec lui. Evan passa parmi les clients et les tables et il atteignit rapidement la porte qu’il désenclava  avec un code personnel qu’il connaissait par cœur depuis le temps. Il fit passer Natacha la première et referma la prote qui se verrouilla automatiquement.  Il alluma la lumière et elle découvrit alors la petite pièce qui était attribuée au personnel du Five. Une banquette tenait tout un côté d’un mur. Il y avait aussi deux fauteuils, une table basse au milieu. On pouvait aussi trouver un frigo et un micro-onde pour faire réchauffer les repas. « J’aime bien prendre ma pause en dernier, je suis tout seul. J’aime pouvoir manger tranquillement. Il y a assez de bruits dans la salle à côté. J’ai besoin de souffler par moment. Vas-y, installe-toi. »

La jeune femme n’avait pas attendu Evan sachant qu’il n’allait pas rester près des hommes à panser leur orgueil blessé. Natacha était encore en train d’essayer de comprendre l’attitude du jeune homme quand il revint, posant le verre en face d’elle. Levant le regard vers le barman, elle lui sourit. Puis remarqua une petite blessure à son arcade sourcilière. Mais n’eut pas le temps de lui demander ce qui s’était passé qu’il l’enchaîna la traitant presque d’inconsciente. A sa remarque, Natacha fronça immédiatement les sourcils. Elle n’était pas venue ici cette nuit pour recevoir un sermon. Elle savait très bien ce qu’elle faisait et n’était pas une de ces filles inconsciente du danger… Bon d’accord peut-être un peu imprudente sur le terrain mais elle ne voyait pas en quoi venir dans ce bar relevait de l’inconscience. Et surtout, il sous entendait par là qu’elle avait cherché les ennuis.

« Comme tu dis, je suis une grande fille. Je peux très bien me défendre toute seule surtout que là, ils n’avaient rien fait de mal à ce que je sache. On ne faisait que de discuter je te signale. Et si ma mémoire est bonne, c’est toi qui es venu les provoquer ! »

Natacha regardait le barman avec une lueur de colère dans les yeux. Elle n’appréciait pas tellement le fait de se faire réprimander pour quelque chose qui somme toute n’était pas de sa faute. Elle savait que les hommes qui fréquentaient le Five n’étaient pas des enfants de chœur mais elle se savait de taille à se défendre. Elle n’avait pas attendu d’être dans la Rébellion pour apprendre à se défendre. Il semblait oublier bien aisément qu’elle avait grandit dans les bas quartiers de la ville. Il lui avait fallut apprendre très vite à se défendre. Natacha se doutait bien que si il lui disait ce genre de chose c’était parce qu’il s’inquiétait pour elle. C’était sa façon un peu tordu à lui de le lui faire comprendre mais même. Comme il le disait, elle était une grande fille.
Il dut le comprendre car il changea aussitôt de sujet, s’accoudant au bar pour lui parler. Le cœur de la belle s’affola. Ils n’avaient pas pour habitude de se retrouver aussi près l’un de l’autre et Natacha sentit sa colère fondre comme neige au soleil. Peu de gens étaient capables de ça. La brune pouvait se montrer très rancunière quand elle le voulait. C’est-à-dire la plupart du temps. Mais quand Evan la regardait comme ça, il lui était impossible de se retrancher derrière ça. Mais le flot de paroles qui s’ensuivit l’amusa. Elle le regarda avec un petit sourire taquin aux lèvres

« Oui, tu as raison. Oui c’est vrai, moi aussi ça me fait plaisir de te voir. Non un whisky coca c’est parfait. Merci pour la boisson. Et ça va. Un peu fatiguée mais plutôt contente de… mon travail… »

Avec tout ce monde autour d’eux, ce n’était pas facile de lui parler de ce qu’elle avait pu glaner mais ce n’était pas très grave puisque le rapport qu’elle avait fait se retrouverait bientôt sur son bureau, Natacha en était certaine. Mais en public, valait mieux se montrer extrêmement prudent. On ne savait pas quelles oreilles pouvaient se trouver à proximité. Natacha le savait mieux que quiconque, elle qui était passée experte dans ce domaine. Ayant l’ouïe assez fine, elle réussissait ce tour de force à écouter tout ce qui se passait autour d’elle sans en avoir l’air. Prenant une gorgée de sa boisson, elle lui demanda doucement

« Et toi ? Comment vas-tu ? »

Mais visiblement, le jeune homme avait compris que pour parler, le comptoir du Five n’était sans doute pas l’endroit idéal. Acquiesçant de la tête, elle se leva donc et Evan lui montra le chemin vers sa salle de pause. Elle sentit sa main dans le bas de son dos. Le contact de la paume d’Evan sur sa peau nue lui arracha un petit frisson. C’était la première fois qu’il faisait ce genre de geste ce qui la surprit d’autant plus. Et apparemment lui aussi car il la retira aussitôt. Faisant comme si de rien n’était, Natacha suivit le blond dans la petite salle du fond. Tout en marchant, elle surprit le regard mauvais du type qu’elle avait rembarré un peu plus tôt après l’intervention de son compagnon. Décidément, l’ego masculin était quelque chose d’immense ce qui la fit doucement rire. Parce que niveau ego, elle en avait pas mal elle aussi la petite BlackCat.

Faisant le tour de la salle du regard, elle lui dit alors

« Vous êtes bien mieux lotis qu’au Luxor dis moi ! Notre salle fait à peine la moitié de celle-ci, avec en tout et pour tout, une table, quatre chaises et un frigo »

Lenora Fairchild n’était pas reconnue pour son amour de l’équité ou quoi. Au Luxor, il y avait une salle pour les employés Asariens et une autre pour les Humains. Autant vous dire que celle des humains était nettement moins grande et équipée que celle des autres alors que le personnel humain représentait les trois-quarts de l’effectif total. Mais Nat’ en avait pris son parti. Pour trouver un peu de calme, elle sortait dans l’arrière cour où personne ne venait jamais. Elle y trouvait le silence qui lui permettait de reprendre le travail avec un peu plus de sérénité.
Elle alla poser son verre sur la table et sa veste sur une des chaises. Revenant vers lui, la jolie brune le regarda. Posant ses doigts doucement sur sa blessure, elle lui dit alors

« Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Prenant conscience de son geste, elle recula un peu et masqua son trouble sous un petit sourire taquin

« Tu es encore parti à la rescousse d’une fille en détresse ? »

Evan ne répondit pas à l’attaque de la jolie brune. Il l’avait cherché en la provoquant et il savait qu’elle réagirait ainsi. Il aurait dû se taire et ne pas mettre sur le tapis la scène qu’il avait vue lorsqu’elle était entrée au Five et que ces types s’étaient précipités sur elle. Il n’aurait jamais dû faire cette remarque, mais tout ceci le dépassait. Son comportement inhabituel le laissait dubitatif face à Natacha qui n’avait pas manqué de mordre et de le remettre à sa place. Il ne désirait aucune dispute entre eux deux et encore plus à l’intérieur du Five avec tous ces clients comme témoins. Tous les deux devaient rester discrets parce qu’ils étaient avant tout des humains et qu’ils étaient aussi des membres actifs de la rébellion. Il changea la conversa, c’était ce qu’il avait de mieux à faire. Evan n’avait pas revu Natacha depuis plusieurs semaines. Leurs emplois du temps avaient la fâcheuse manie de les éloigner plus qu’ils ne les rapprochaient alors qu’ils bossaient tous les deux dans les beaux quartiers de la cité. S’il avait ressenti une pointe de jalousie, en plongeant ses yeux bleutés dans ceux de la belle voleuse, il se calma aussitôt et il remarqua que la colère qui bouillait en elle, disparaissait peu à peu. Ils devaient faire en sorte de ne pas susciter des soupçons et une conversation dès plus normale et commune était leur salut à tous les deux. « Je vais bien ! Comme tu peux le voir le Five ne désemplit jamais même avec ces températures qui commencent à rafraîchir les nuits. »

Normalement, la cité d’Asaria ne devrait pas connaitre ces rythmes de températures. Elle était protégée de plusieurs dômes de verre, mais les Anciens se plaisaient à jouer les Maîtres du monde, et l’un d’eux le Maître du temps. A l’intérieur de chaque voute de glace, il y avait des générateurs d’air qui soufflaient le chaud, le froid, la pluie, le vent et même de la neige artificielle pour imiter le vrai climat de l’extérieur. Tous les humains savaient aussi que sous le dôme qui abritait le bidonville, les températures étaient plus glaciales, l’hiver et nombreux des siens mourraient à cause de cette vie misérable. Il secoua sa tête pour chasser cette observation amère. Evan avait besoin d’une pause. Il était toujours le dernier à la prendre et là, c’était l’occasion de la partager avec Natacha et de s’éloigner de toutes les personnes qui pourraient les ennuyer. La fin d’année approchait, l’hiver s’installait et il n’était pas certain de la revoir de nouveau. Elle avait ses occupations et lui les siennes.

Son geste pour la guider vers la salle du personnel les surprirent tous les deux. Evan n’avait pas l’habitude de se montrer si intime avec elle, ni avec aucune femme. C’était sans doute une réaction qui découlait de la scène à laquelle il avait assisté quand elle était arrivée.  Il la fit entrer dans la petite pièce et referma la porte. Natacha faisait le tour du propriétaire en comparant cette pièce à celle qu’elle avait au Luxor. « Fairchild compte son argent aux centimes prêts et ce n’est pas cette femme qui déboursera plus qu’il ne faut pour son personnel humain. »

Une grimace de dégout s’ajouta à ses mots au moment où il plaça son plat dans le micro-onde et actionna le bouton pour le faire réchauffer.  Dans son dos, il avait perçu un déplacement de chat et quand Evan se retourna, Natacha s’avançait vers lui, silencieuse, ses yeux braqués sur lui. Il ne pouvait pas reculer. Derrière lui se trouvait un meuble qui le rendait prisonnier de la jolie brune. Elle l’examinait et il ne savait pas pourquoi. Lorsqu’elle leva sa main et qu’elle effleura de ses doigts la petite cicatrice qui entaillait le bas de son menton, le contact de sa peau sur la sienne lui fit perdre tout sens de la réalité. La question de Natacha arriva à point nommé pour l’aider à se ressaisir et à chasser ses émotions. C’était lui qui l’étudiait désormais. Elle s’était rendue-compte de son geste et s’ils s’étaient retrouvés assez proches l’un de l’autre, maintenant, elle mettait l’espace nécessaire entre eux deux. Il retrouva ses esprits et sourit à sa remarque. « Une bagarre à la Taverne, il y a quelques jours. Le bar a connu un véritable ouragan. Les frais de réparations ont été largement payés si j’ai bien compris, mais cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une telle hargne de la part de certains. Steve et Ethan étaient là et une … connaissance. »

Mara Jade était la leader des Pacificateurs. Il la connaissait depuis de nombreuses années grâce à Duncan. S’ils partageaient des notions différentes du futur, mais avant tout, le respect de l’un et de l’autre. Natacha pouvait être très attentive, il était tout autant. Elle avait retiré sa veste et il avait aperçu contre sa gorge, la naissance ou la fin d’un hématome  qui s’estompait.  Il s’approcha d’elle. C’était à son tour de s’inquiétait, mais plus que cela, il avait envie de ressentir cette même sensation à son toucher. Son index caressa lentement la gorge de Natacha et il suivit le tracé de l’hématome dont le reste était caché par son pull. Il s’arrêta pour ne pas paraitre irrespectueux. « Comment tu t’es fait cela ? Un client trop entreprenant ?  Ne me dis pas que tu as chuté dans les escaliers, j’aurai du mal à te croire … ».

Ses yeux brillaient d’une intensité nouvelle, cherchant le regard de la Rebelle. De nouveau, ils étaient l’un face à l’autre et trop proches pour ne pas discerner une tension électrique entre eux.

Natacha n’aurait pas dû se montrer aussi curieuse. Mais c’était un des traits de caractère qui dominait chez la Rebelle. Un vilain défaut diraient certains mais c’était quelque chose qui faisait d’elle un agent excellent agent de terrain. Ça et une grande dose d’intrépidité alliée à un sens de l’observation aiguisé. Mais c’était vrai aussi que parfois, elle agissait sans vraiment réagir. Lorsqu’elle était encore chaperonnée par Ethan, c’était quelque chose qu’il lui reprochait tout le temps. Au début, elle ne comprenait pas pourquoi il se prenait autant la tête. Du moment qu’elle obtenait ce qu’elle voulait sans se faire découvrir, ce n’était pas le principal ? Un peu de danger n’avait jamais fait de mal à personne. Mais avec le temps, elle avait compris son point de vue. Sur le terrain, elle essayait de réfléchir un peu plus mais son impulsivité la mettait encore parfois à mal. Comme là, elle n’aurait jamais dû se rapprocher autant d’Evan. N’aurait jamais dû s’enhardir au point de toucher son visage. La décharge qu’elle avait reçue à son contact l’avait brutalement ramenée à la réalité et la belle brune avait mit fin à ce contact en recula de quelques pas mettant ainsi une distance raisonnable entre eux deux. Masquant le trouble qu’elle avait ressenti, Nat’ avait lancé une boutade pour savoir ce qui s’était passé.

Et ce que son compagnon lui répondit ne la rassura guère. Une bagarre à la Taverne ? Certes, ce n’était pas inhabituel. Il y avait toujours eu quelques frictions et quelques petites bagarres mais jamais rien de bien méchant. Mais pour qu’Evan dise que la Taverne avait connu un véritable ouragan c’est que c’était vrai. Le Recruteur était connu pour son calme et son côté posé. Il soupesait chacun de ses mots, chacun d’eux était choisi soigneusement. Fronçant les sourcils, elle s’inquiéta d’abord pour ses compagnons d’armes

« Personne n’a été blessé ? Ethan ? Steve ? »

Elle n’avait pu s’empêcher de penser d’abord à son meilleur ami. Ethan était une des personnes les plus importantes de sa vie et elle ne savait pas ce qu’elle ferait si il lui était arrivé quelque chose. Ce qui était on ne peut plus ironique compte tenu de leurs activités. Mais c’était comme ça. Elle avait pris l’habitude d’aller lui rendre visite dès qu’elle le pouvait.

Bien sûr, elle avait bien remarqué l’hésitation d’Evan avant le « une connaissance ». Qui était cette personne ? Et pourquoi avait-il utilisé ce terme ? La brune sentit une petite morsure signe de sa jalousie. Mais ne le montra pas. Au contraire, elle demanda nonchalamment

« Une connaissance ? Quelqu’un que je connais ? »

Elle n’était pas sûre de vouloir connaître la réponse mais au fond d’elle elle savait que si. Sa curiosité était bien trop grande et puis, ce n’était pas quelque chose qui devrait la toucher. Et pourtant si… Mais ça, jamais la fière Natacha ne l’admettrait tout comme jamais elle n’avouerait à quiconque l’effet qu’avait Evan sur elle.

La Rebelle leva le regard et vit qu’il s’approchait d’elle à son tour. Elle ne bougea pas d’un poil voulant savoir ce qu’il lui voulait. Mais s’en mordit bien vite les doigts lorsqu’elle sentit le doigt du jeune homme sur sa gorge et qui descendait lentement traçant un sillon de feu sur son passage. Son cœur s’emballa et elle eut soudain l’impression que la pièce s’était rétrécie d’un coup. Son regard s’était perdu dans celui azur du barman. C’était la première fois qu’ils étaient aussi proches l’un de l’autre. Généralement quand ils se voyaient, ils étaient toujours entourés par d’autres rebelles. Ils n’avaient jamais été aussi proches qu’en ce moment-même. Mais la sonnerie du micro onde retentit alors brisant la bulle dans laquelle ils se trouvaient.

Sauvée par le gong ! Se ressaisissant, Natacha recula de quelques pas. Portant une main à sa gorge, elle dit alors

« Ça ? »

Remarquant sa voix rauque, elle s’éclaircit quelque peu avant de reprendre

« C’est rien. Je ne te ferais pas l’affront de te dire que je suis tombée »

Lui adressant un petit sourire, elle expliqua alors avec un petit haussement désinvolte

« J’étais à l’arrière de la cour au Luxor en train d’écouter deux Asariens quand un petit bandit est arrivé par derrière. C’est pas grand-chose. »

Désignant le micro onde du menton, elle lui dit alors

« Tu devrais manger tant que c’est chaud. »

Elle prit son verre resté sur la petite table avant d’aller s’installer sur le canapé contre le mur.

« Tu ne vas pas avoir des problèmes pour m’avoir emmenée ici ? »

Natacha, de son œil expert, avait aperçu la petite cicatrice qui entaillait le menton d’Evan. Le contact de sa main sur sa peau avait déclenché une réaction indescriptible chez le Recruteur. C’était la première fois qu’elle osait le toucher d’une manière aussi intime et il n’était pas en état d’analyser le geste de la jolie brune et son comportement. Elle devait lire dans ses yeux que la scène n’était pas anodine Natacha se recula pour planter entre eux une distance raisonnable et revenir à une conversation plus terre à terre. Il lui expliqua ce qui s’était passé il y a plusieurs semaines à la taverne de l’Enfer. Une bagarre provoquée par un soulard qui s’était attaquée à une femme. « On a tous reçu des coups. On en a donné aussi. Quelques égratignures comme la mienne. On a failli se retrouver tous derrière les barreaux avec l’arrivée de la Milice. On s’en est sorti grâce à un homme.  »

Il n’avait pas cessé de réfléchir à toute cette histoire depuis : « Cet Homme était un Asarien et il connaissait les lieux. C’est compliqué à expliquer Natacha. Ce type connaissait le bidonville. Pourquoi un Asarien viendrait passer une soirée à boire avec des humains, à les aider ? »

Evan aurait pu tout raconter à Natacha. Rien ne lui en empêchait de lui donner les détails de cette étrangère histoire, de ce chanteur Asarien qui était venu en aide à une jeune femme, au plus saoul des clients qui avaient décidé de jouer au con avec ces potes et qui avait récidivé. Deux moments avaient marqué l’esprit d’Evan : le corps ensanglanté et défiguré de celui qui avait eu la très mauvaise idée  de vouloir étrangler la jeune femme et la disparition en un claquement de doigts des soldats.   La pointe de jalousie qu’il remarqua dans la voix de Natacha le prit au dépourvu. « Une amie de Duncan.  Je la connais depuis un long moment.  Elle était là. Nous n’avons pas pu discuter longtemps. Des clients baignaient dans l’alcool et ils s’en sont pris à la jeune femme. Cet Asarien l’a défendue. Cela n’a pas plus à ces potes et la bagarre est montée crescendo. »

Il ne l’avait jamais vue  jalouse. Et ne lui ferait pas la remarque, mais il savait analyser les attitudes et les expressions des gens qui l’entouraient et qu’il côtoyait. Il n’était pas psychologue pourtant  son rôle de Recruteur chez les Rebelles, lui donnait ces capacités particulières de décrypter les agissements de chacun. Il venait de découvrir chez Natacha une facette d’elle qu’il ne soupçonnait pas. Poussez par une envie de la faire de nouveau sortir de ses limites, il s’avança vers elle. Elle possédait aussi une petite cicatrice et son index caressa avec lenteur, la peau de la jeune femme, retraçant la petite plaie. Sa perte de maîtrise devant la jeune Rebelle lui était nouvelle. Qu’est ce qui pouvait bien le pousser à agir ainsi ? Pas la fatigue. Il était comme de nombreux Rebelles assez tenace face à elle. La sonnerie du micro-onde les sortit de leur bulle. Evan recula et  cessa le contact de son doigt sur la peau de Natacha. « Une serveuse qui se fait attaquer par un homme dans la cours privée du Luxor … Je n’ai rien à te dire sur ton boulot, mais fais gaffe à ne pas faire sauter ta place parmi l’élite asarienne. »

Il fit demi-tour et s’avança jusqu’au micro-onde et en retira son plat. Il désigna une chaise à Natacha pour qu’elle se joigne à lui. Il prit deux assiettes et partagea son repas. Ce n’était pas bien extraordinaire : des pattes en sauce et de la volaille. Une volaille élevée en plein air, celle qu’il aimait acheter au village et pas dans ces marchés asariens où même la nourriture avait un gout artificiel. « Pourquoi veux-tu que j’ai des problèmes ? Je suis le dernier à prendre ma pause et je n’emmerde personne en te proposant de te joindre à moi. Nous ne sommes pas au Luxor ou dans un de ces établissements friqués. Mon patron est un Asarien qui n’a rien à voir avec ceux de la haute société. Il n’a aucune n’influence. Il vit de son commerce. »

Il se mit à rire en plantant sa fourchette dans la viande. « Ne commence pas à te dire que j’ai subitement de la pitié pour eux.  J’ai appris qu’il existait des différences même chez eux. Un peu comme chez les Humains : tu as nous, tu as les traitres qui se sont enrôlés dans la Milice pour avoir un salaire confortable et qui traquent les Leurs. Tu as ceux qui se sont alliés aux Pacificateurs, ceux qui vivent dans les souterrains et ceux qui ne demandent rien d’autre que de survivre dans leur coin. Les Asariens sont comme nous.  Je t’étonne avec mon discours ? »

Evan fit un signe de tête à l’assiette que Natacha n’avait pas touchée. « Tu aurais préféré diner avec un de ces types qui t’ont accostée quand tu es arrivée plutôt qu’avec un simple serveur ? Tu as sans doute raison. »

Evan décontenançait la Rebelle de par son attitude. Certes, ce n’était la première fois qu’ils se retrouvaient que tous les deux mais chacun de leur tête-à-tête se passait au Faucon. Généralement lors de débriefings ou de remontrances quant à ses prises de risque. C’était la première fois qu’ils se voyaient comme ça en dehors de leur territoire on va dire. C’en était troublant. Evan la troublait plus que de raison et elle ne voulait pas succomber à ce sentiment. Alors elle se concentra ce que le blond lui racontait. Sur ce qui s’était passé. C’était véritablement une histoire rocambolesque où se mêlaient Asariens, Rebelles, Miliciens… Nat’ regrettait de ne pas avoir été présente. Elle aurait bien aimé voir ça de ses propres yeux. Ce que Evan lui racontait avait tout d’une scène des plus irréalistes. Et surtout piquait sa curiosité à propos de cet Asarien. Evan avait raison sur un point. Pourquoi un homme de sa condition viendrait-il à la Taverne et dans les bidonvilles ? C’était un lieu exclusivement composé d’Humains et mis à part les Miliciens, aucun Asarien ne s’abaisserait à se mêler de la sorte au petit peuple. Qui était-il ? Que venait-il faire dans leur lieu ?

« Tu penses pouvoir me le décrire assez précisément ? »

Peut-être fréquentait-il aussi le Luxor qui sait ? Au moins là bas, elle pourrait essayer d’en savoir un peu plus sur ce mystérieux Asarien. Une chance qu’elle travaillait dans un lieu rempli d’Asariens. Et ce que son compagnon rajouta à propos du fait qu’il avait défendu l’amie de Duncan ne faisait qu’augmenter sa curiosité à son propos. Natacha essayait de ne pas trop s’attarder sur la femme en question. Si Duncan lui faisait confiance c’était qu’elle en était digne. Elle avait une foi aveugle envers leur leader. D’ailleurs Evan ne lui laissa guère le temps de penser à autre chose car il s’approcha alors et posa un doigt sur l’hématome qui ornait sa gorge. Elle n’y pensait plus et une fois de plus ils étaient proches. Trop proches l’un de l’autre. Cette proximité physique mettait les nerfs de la Rebelle à rude épreuve. Elle n’aimait pas ressentir ce qu’elle ressentait en la présence d’Evan. Des sentiments, sensations qu’elle s’était jurée de ne plus éprouver après la mort de Johnny… Le bip du micro onde vint à point nommé et leur permit de restaurer une distance respectable entre eux. Natacha en profita pour lui raconter ce qui s’était passé. Trois fois rien. Et ce qu’il lui dit n’ébranla pas la jeune femme.

« Fairchild n’a que faire de ce genre de broutille. Du moment que cela n’affecte pas mon travail. Elle ne va pas se séparer d’un de ses meilleurs atouts »

Natacha avait dit cela dans un haussement d’épaules assez désinvolte. Elle savait sans fausse modestie que la propriétaire était satisfaite de son travail. Natacha savait que son physique y était pour beaucoup. Ces pervers venaient là bas pour mater les serveuses en plus d’exhiber leurs esclaves. Comme si cela ne leur suffisait pas. Du moment qu’elle ne faisait pas d’esclandre, Natacha se savait à l’abri d’une perte d’emploi intempestif. Jusqu’à présent, la brune avait tout fait pour que la Fairchild soit satisfaite de son travail et y réussissait sans trop de mal. Natacha passait pour la parfaite petite serveuse docile qui ne rechignait pas à la tâche et dont la plastique avait l’heure de plaire à sa clientèle.

La jeune femme s’était installée sur le canapé son verre à la main tandis qu’Evan allait chercher son plat. Elle n’avait pas pu s’empêcher de lui demander si sa présence en ces lieux n’allait pas lui causer des problèmes. Surprise par son geste, elle prit néanmoins place en face de lui. Il lui répondit alors et la surprit une fois de plus par sa réponse. Son étonnement dut se voir sur son visage car Evan rigola doucement avant de s’expliquer. Opinant de la tête, Natacha réfléchit tout de même. Elle savait qu’il n’avait pas tort mais elle avait du mal à l’admettre. Admettre qu’il y avait des Asariens qui ne cherchaient pas d’ennuis et qui ne les considéraient pas comme des êtres inférieurs à eux. Jusqu’à présent, elle n’en avait pas connu. Elle doutait même que ce genre puisse exister et ne put s’empêcher de l’exprimer

« Un peu… Je dois avouer que je ne te savais pas si enclin à cette… sympathie envers ces êtres… »

Pourtant, il n’avait pas tort. Parmi les Humains, il y avait aussi des traîtres et des personnes qui ne demandaient qu’à vivre en paix. Paix que Natacha n’arrivait pas à concevoir tant que des Asariens continuaient d’exister sur terre… Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas touché à l’assiette qu’Evan lui avait gentiment préparée. Ce furent ses paroles qui la sortirent de ses pensées.

« Dis pas de bêtises. Tu sembles oublier que je ne suis aussi qu’une simple serveuse. »

Elle prit alors un morceau de volaille et la porta à sa bouche. C’était délicieux. C’était en mangeant qu’elle s’aperçut qu’elle mourait de faim. Quand elle travaillait, Natacha ne prenait pas la peine de manger correctement. Elle grignotait plus qu’elle ne mangeait et se préparait le plus souvent des sandwichs ou autres qui étaient faciles à manger et surtout rapide à manger. Elle sourit en pensant que sa mère aurait été scandalisée en voyant sa fille chérie être le total opposé de ce qu’on pouvait appeler une parfaite ménagère comme elle avait pu l’être elle.

«  Merci de partager ton repas avec moi. C’est délicieux. C’est toi qui as préparé ça ? »

La brune regarda Evan un peu étonnée.

« Je ne te connaissais pas ce talent de cuisinier. Tu devrais plus le partager quand on est tous réunis »

Elle le taquinait gentiment. C’était rare qu’ils soient tous au QG au même moment et si c’était le cas, c’était pour une réunion ou autre. Peu de place pour des loisirs…

« Tu finis bientôt ? On peut faire le chemin ensemble si tu veux… »

Décrire l’Asarien, c’était beaucoup trop facile. Evan avait eu le temps de faire des recherches au QG depuis la bagarre à la Taverne. Cet homme leur avait laissé son identité au tout début avec cette tournée qu’il avait offerte à tous les clients. Il n’avait pas oublié ce nom : Gabriel Laymann et lorsqu’il fut dans son bureau, à l’abri de toutes pirateries, il avait cherché en savoir un peu plus sur celui qui avait laissé une liasse de billets sur le comptoir avant de disparaître. « Je peux te le décrire et te dire même qui il est véritablement. Je me suis renseigné sur lui. C’est une star. Une vraie. Un chanteur qui va se produire très bientôt au Multiplex. Gabriel Laymann. »

Evan s’installa à la table et divisa sa gamelle dans les deux assiettes.  Natacha lui paraissait aussi perdue que lui avec toute cette histoire. Un mec aussi friqué et adulé était descendu dans le bidonville pour passer une soirée avec des humains. Tout cela était loin de la normalité et le Rebelle n’arrivait toujours pas à penser à autre chose depuis toutes ces semaines. Il avait entendu l’échange personnel que l’Asarien avait glissé à l’oreille de Steve avec cette carte de visite. Il n’avait pas tout saisi, mais il avait discerné le prénom de Mara. Il s’était empressé de vérifier cela auprès de Steve qui n’avait pas démenti.  Peu de personnes connaissaient l’identité de Mara Jade, leader des Pacificateurs. Etait-ce un coup monté ?  Un piège pour approcher la jeune femme et son groupe ? Il l’avait mise en garde avant qu’elle ne parte de la Taverne. « Ce n’est pas tant de la sympathie, c’est quelque chose que je n’arrive pas à expliquer.  Un Asarien de cette catégorie telle que lui, immensément riche qui vient se perdre avec des Humains. L’amie de Duncan est recherchée par le gouvernement. S’il savait qu’elle allait se pointer là-bas et qu’il était là pour l’espionner ? Tu es bien une espionne qui joue les serveuses. Pourquoi ne serait-il pas au service des Anciens ? … »

Il planta rageusement sa fourchette dans le blanc de poulet en sauce. Duncan n’était pas là. Il aurait peut-être eu plus d’influence sur Mara que lui. Il lui avait fait part de ce qu’il avait entendu, mais Evan n’avait pas lu de la peur sur ce beau visage. Il n’aurait pas su ce que c’était, mais il connaissait la peur, le stress, l’inquiétude et l’angoisse. Des émotions que les agents de la rébellion côtoyaient tous les jours. Ce  n’était pas cela qu’il avait vu dans les yeux de la Pacificatrice. « Je l’ai averti de mes doutes. Je ne peux rien faire de plus. »

Il était trop tendu pour apprécier sa voisine de table et Evan lâcha dans leur conversation une réflexion sur ce qui s’était passé quand Natacha était arrivée au Five. Il n’aurait pas dû être aussi cynique vis-à-vis d’elle. Il tourna son regard sur elle et il vit qu’elle ne l’avait pas mal pris. « Une serveuse aussi … J’ai bientôt terminé. »  Il examina sa montre. « Le Five va fermer ses portes dans une vingtaine de minutes. Je dois ranger ma partie du comptoir et les bouteilles. Si cela te dit d’attendre un peu avec moi, on pourra faire le chemin de retour ensemble. Ma bécane est sur le parking. »

Tous les deux terminèrent de diner en échange leurs idées et leurs opinions sur divers sujets, en revenant parfois sur cette histoire à la taverne. Evan débarrassa la table et rangea la vaisselle et les couverts pour ne rien laisser traîner. Il regagna le bar avec Natacha qui s’était vidé. Les derniers clients terminaient leurs verres accoudés au zinc. « Un café ? Je peux t’offrir quelque chose de plus fort. C’est ma tournée ! » Le Recruteur du faucon laissa la belle espionne prendre place au bar qu’il contourna pour lui servir ce qu’elle lui avait demandé. Son patron était sorti de son bureau et il faisait signe à tous ses employés de mettre dehors les derniers poivrots. « C’est une amie. Elle m’accompagne ». L’homme hocha la tête et retourna dans la pièce sans dire un mot. Evan commença à ranger son coin de comptoir : il essuya les verres, plaça consciemment les bouteilles d’alcools sur les étagères, remplit le bac à glaçons et remis des cannettes de bières au frais. Il alla vérifier la réserve pour les commandes du matin et revint auprès de Natacha qui l’attendait. « C’est en ordre de mon côté, on peut y aller ! »

Evan serra la main aux employés de son équipe qui n’avait pas encore terminé. Il enfila son blouson et attrapa son casque qu’il tendit à la rebelle. « Je n’en ai qu’un. Je préfère que tu le mettes pour la balade ».

Il lui ouvrit la porte pour qu’elle puisse passer et ils se dirigèrent vers le parking du Five. Il ne restait que quelques bagnoles et les motos du personnel. Il grimpa sur sa bécane et fit démarrer le moteur. « Je te dépose où ? » Natacha était si imprévisible qu’il était incapable de connaitre les pensées de la magnifique brune qui prenait place dans son dos. Evan habitait dans le bidonville, dans un quartier plus modeste où les petits immeubles miséreux tenaient encore debout.

La jeune femme écouta Evan lui parler de l’Asarien en question mais le nom de Gabriel Laymann ne lui disait rien mais en même temps, elle ne connaissait pas toutes les personnes qui pénétraient au Louxor. Il suffisait que l’Asarien ne soit pas un habitué des lieux pour qu’elle ne le connaisse pas. Natacha connaissait tous les clients habituels de Lenora Fairchild et pour cause, elle les avait tous servi plus d’une fois. C’est pour quoi, elle aurait aimé en savoir un peu plus sur le physique de ce chanteur apparemment connu. La brune ne s’y connaissait guère en musique. C’était des loisirs qui n’avaient pas beaucoup de place dans sa vie. Elle ne tenait pas assez en place pour avoir des loisirs dits calmes. Non, la jeune femme préférait de loin aller explorer les moindres recoins de la ville, glaner sans en avoir l’air des infos sur tel ou tel sujet. Natacha n’aimait pas rester oisive. Ce n’était tout bonnement pas dans sa nature. Mais si c’était une star, raison de plus pour ne pas traîner dans les bas quartiers. Que foutait-il là ?

« Il voulait ptet écrire une satire sur notre pauvre condition d’humain »

Ironique, sarcastique Natacha ? A peine ! Déjà qu’elle n’aimait pas beaucoup les Asariens – bon okay, elle les détestait – mais rien que d’imaginer que c’était pour cette raison que le chanteur était venu à la Taverne, rendait Natacha folle de rage. Mais si c’était le cas, pourquoi aurait-il donné de l’argent au père de Steve pour les réparations ? Un être tel que lui devait s’en contrefiche royalement de causer du bordel partout où il allait. Plus encore quand c’était dans le fief des Humains. C’était à n’y rien comprendre. Mais le principal pour la jeune femme c’était qu’il y avait eu plus de casse que de réels blessés. Au final, il y avait eu plus de peur que de mal. Et une sacrée tonne de questions !

Elle l’écouta et ne put s’empêcher de sourire un peu taquine.

« Cette pauvre bête ne t’a rien fait tu sais. Pas besoin de la martyriser comme ça. Et puis, ce n’est pas toi qui parlais des Asariens comme nous ? Si ça se trouve, ce Gabriel Laymann n’était là que par simple curiosité… »

Natacha ou l’art de dire tout et son contraire à cinq minutes d’intervalles… Mais c’était elle. Elle aimait jouer l’avocat du diable. Esprit de contradiction à l’état pur. Certains diront que ça fait partie de son charme d’autres diront que c’était un de ses nombreux défauts. Mais Nat’ n’avait jamais fait attention à ce que l’on pensait d’elle, ce n’était pas maintenant qu’elle allait commencer.

« Votre amie doit avoir ses propres réflexions sur ce qui s'est passé... Peut-être ne veut-elle pas les partager tout de suite... »

Elle lui proposa ensuite de l'attendre pour rentrer ensemble. La jeune femme tiqua intérieurement quand Evan lui répondit que sa moto les attendait dans le parking. Natacha était tellement habituée à tout faire à pieds qu'elle oubliait aisément que la grande majorité des gens autour d'elle se déplaçait le plus souvent à moto. L'idée d'une telle proximité avec le jeune homme avait de quoi la faire frémir. Mais elle ne pouvait plus reculer maintenant.

« D'accord »

Ils finirent de dîner en parlant de choses et d'autres et retournèrent dans le bar. Cela sentait la fin de soirée car il n’y avait plus grand-monde. Le blond lui proposa alors un café mais avant que Nat ait pu répondre, son patron sorti. Il la présenta alors et à la grande surprise de la Rebelle, l’Asarien ne dit rien. Cela lui rappela les paroles d’Evan quelques instants plus tôt. Qu’il y avait des Asariens qui ne demandaient rien d’autre que de vivre au calme. La brune compara le patron de son compagnon d’armes et la sienne. C’était vraiment le jour et la nuit…

« Non rien je te remercie… Ton patron a l’air plutôt cool. »

La jeune femme observa Evan travailler. Ils faisaient le même métier de bas mais celui d’Evan avait l’air plus… reposant. Dans le sens où, il n’avait pas à être sur ses gardes tout le temps. Il ne devait pas passer sa vie à slalomer entre les mains baladeuses… Mais en contre partie, il ne devait pas pouvoir laisser trainer ses oreilles partout comme elle… Bref, on ne pouvait pas tout avoir et Nat n’échangerait sa place pour rien au monde. Parce que soyons honnête, elle adorait être au cœur de l’action comme ça. Elle lui sourit quand il revint la chercher et acquiesçant de la tête, le suivit dehors.
Nat’ n’avait pas sommeil. On aurait pu croire que oui mais elle était toujours bien trop énervée pour rentrer tranquillement chez elle et dormir. D’autant plus que ces derniers temps, elle ne dormait presque plus. Si ce n’était pas pour des missions, c’était parce qu’elle faisait des cauchemars où elle voyait sa vie d’avant. Son passé était en train de venir hanter son présent et elle ne savait pas du tout ce que cela pouvait bien vouloir dire.

Lorsqu’Evan lui tendit le casque, elle refusa.

« Non c’est le tien. Et puis je préfère être sans casque… Déposes moi où tu veux. Je n’ai aucune préférence. T’as qu’à prendre le chemin vers chez toi et je marcherai après. »

Et sans plus de façon, elle s’installa derrière lui. Si dans la petite salle, elle trouvait leur proximité perturbante, que dire maintenant ? Les bras autour de la taille d’Evan, la jeune femme sentit une douce chaleur l’envahir malgré la fraicheur de la nuit. La sensation était agréable. Trop même. Cette petite balade allait lui mettre les nerfs à rude épreuve…

Les réflexions de Natacha ne lui rendaient pas la tâche plus facile qu’il avait espérait et toute cette histoire ne trouverait pas de dénouement logique dans sa tête. «  Tu y crois toi à un Asarien qui vient faire un petit tour dans le bidonville pour se détendre et passer du bon temps ? Ça ne tient pas la route, pas plus le fait qu’il ait laissé tout cet argent. »

Le repas terminé, Evan avait proposé à son amie de la raccompagner, mais avant de prendre sa moto, il devait terminer son boulot et faire la fermeture du bar. Elle accepta de l’attendre sans prendre une consommation qu’il lui offrait. Il fit tout son possible pour aller très vite dans ses gestes et éviter à la jeune femme de s’ennuyer. Quand tout fut terminé, rangé et remis à sa place, que les frigos et les étagères avaient été soigneusement rangés, il serra les mains des autres employés avec qui il partageait ses soirées et salua son patron. Natacha le suivit à l’extérieur, sur le parking de Five là où il garait quasiment toutes les nuits sa bécane. Son seul moyen de transport en lequel il faisait confiance. Les jeeps du Faucon étaient beaucoup plus caractérielles et moins malléables. Il enfourcha sa moto et tendit le seul casque à sa partenaire qui refusa. Il fronça les sourcils et resta bouche bée devant sa réaction. Natacha prit place dans son dos et se cala contre lui, entourant de ses bras et de ses mains la taille du Recruteur. « Tu penses que je vais te laisser faire ? Mets-moi ce casque immédiatement ! Tu es ma passagère et c’est une obligation, sans cela je ne démarrerai pas Miss Grey. »

Il connaissait le caractère de Natacha et elle savait de son côté qu’Evan pouvait être très persévérant et patient pour arriver au bout de son idée. Elle finit par capituler. Il put enfin démarrer sa bécane et avant de rouler et prendre la route, il posa sa main sur celles de la Rebelle qui avaient retrouvé sa place autour de sa taille.  C’était un geste qui le laissa dubitatif. Il n’était pas aussi démonstratif avec elle ni avec aucune femme. Savoir qu’elle était là, plaquée dans son dos, sentir sa présence et sa chaleur étaient des sensations très agréables pour lui. Beaucoup trop. Il lança sa moto sur le parking et roula lentement jusqu’à prendre la voie rapide en direction du dôme de la Division Humaine. L’hiver s’annonçait froid comme chaque année. Le petit vent lui caressait le visage avec la vitesse. Sous les grosses voûtes en verre, le climat était artificiel. Il pleuvait, il neigeait, il ventait, il faisait chaud. Tout cela était provoqué par les Anciens du gouvernement et par l’un de leur ministre qui jouait au Maître du Temps. Cette nuit le vent était froid et bientôt, dans quelques semaines, la neige apparaitrait. Evan avait toujours remarqué que les températures étaient différentes entre les dômes des Asariens et celui des Humains même si près du bidonville se trouvaient les locaux de la Milice. C’était un moyen de renforcer la détermination des soldats et leurs capacités à survivre dans le froid, se disait-il.  

Le parcours jusqu’à l’entrée du bidonville s’acheva rondement. La circulation était très fluide à cette heure aussi tardive. Il ralentit sa vitesse pour ne pas susciter la méfiance des soldats qui patrouillaient dans les quartiers. Evan arrêta même les phares de sa moto pour mieux se fondre dans l’obscurité. Il se laissait guider par les vieux lampadaires qui subsistaient encore dans les ruelles. Il se dirigea vers  l’habitation en pierres qui comprenait trois étages pour les différents petits logements. Là où habitait Natacha. Il n’avait pas l’intention de la laisser en plein milieu de la rue et de la laisser retourner chez elle toute seule. Il parqua sa moto dans la ruelle proche de l’entrée pour éviter de se faire remarquer par les patrouilles et il fit mourir le moteur pour le rendre silencieux. « Princesse est arrivée à destination. »

Il la laissa descendre de la selle en premier et il fit de même en récupérant le casque qu’elle lui tendait. « Tu ne croyais pas que j’allais te laisser filer toute seule jusqu’à chez toi... » C’était très idiot de sa part en y repensant. Natacha était une femme de terrain et aguerrie  à certaines techniques de combat. Par déduction, elle pouvait se défendre toute seule. « Je sais … tu sais te défendre. Tu as devant toi un gentleman qui ne laisse pas une jeune femme seule en plein milieu de la nuit. »

Une sirène de patrouille tinta dans le quartier et par réflexe, Evan poussa Natacha contre le mur, se fondant tous les deux dans les ténèbres. Sa moto était placée de sorte à ce qu’on ne la remarque pas. Il posa ses mains contre la pierre froide, de part et d’autre du visage de la belle brune, plus petite que lui.  Même dans la noirceur du bidonville, il devinait les yeux de la jeune femme et le contour gourmand de ses lèvres.  Il se reprit avant de perdre la tête dans le parfum de sa coéquipière et de se laisser aller à quelque chose qu’ils pourraient regretter tous les deux. Le souffle rauque, il baissa son visage et murmura au creux de son oreille. « Il faut rentrer et te mettre à l’abri. »

A la réplique d'Evan, la brune haussa les épaules. Elle n'en savait rien. Toute cette histoire n'avait aucun sens. Rien que le fait qu'un richissime Asarien ait mis les pieds à la Taverne était une aberration en soi. A part les Miliciens de Van Brenner, aucun de ces êtres ne faisait un tour dans les bidonvilles sans avoir une relation quelconque avec le général de l'armée asarienne. Elle ne comptait pas les Pacificateurs et autres Insoumis. Eux, Natacha préférait ne même pas y penser. Elle savait que Duncan essayait d'avoir des relations plus ou moins amicales avec les Pacificateurs. Evan, en tant que son bras droit, devait plus ou moins les connaître. Ils n'en avaient jamais parlé mais elle se demandait si ce n'était pas à cause de ça qu'il avait nuancé ses paroles a propos des Asariens un peu plus tôt...

Finalement, ils arrivèrent à sortir du bar. Nat soupçonnait Evan de s'être dépêché pour ne pas la faire attendre. La Rebelle lui en sut gré même si ça ne la dérangeait absolument pas d'attendre. Parfois se poser un peu ne faisait pas de mal. La jeune femme avait un tempérament qui faisait qu’elle ne tenait pas en place. Elle savait aussi qu’elle ne se ménageait pas assez. Même lorsqu’elle était en planque Natacha ne profitait pas vraiment de ce temps pour se poser, elle était toujours aux aguets, guettant le moindre bruit, le moindre comportement qui lui paraissait suspect. Aussi ces temps de pause inattendu lui étaient-ils plutôt agréables. Elle suivit Evan jusqu’à sa moto. Natacha aussi en avait une mais elle ne l’utilisait que très rarement. Elle « perdait » peut-être un peu plus de temps que les autres mais cela ne la dérangeait pas. Elle aimait marcher, découvrir de nouveaux coins – ou recoins – de nouvelles cachettes, de nouvelles planques… En fait, Nat’ avait du mal à penser à autre chose qu’au boulot. Et il fallait bien avouer qu’elle n’avait pas grand-chose en dehors de ça. Triste ? Non. La jeune femme était heureuse de la vie qu’elle menait. Elle n’en changerait pour rien au monde.

Le jeune homme s’installa et lui passa son casque. Nat’ refusa et s’installa sans plus de façon derrière lui. Mais Evan ne l’entendait pas de cette oreille.

« Non. Je t’assure que ça va. Même quand je suis sur la mienne, j’en mets pas… Ça dérange mon brushing. », tenta-t-elle de plaisanter

Si Natacha était têtue, Evan pouvait l’être tout autant. A une différence près, le recruteur était bien plus patient que la belle. Ce fut donc en bougonnant qu’elle capitula. Elle détestait avoir un truc sur la tête qui lui couvrait tout le visage. Nat’ était une enfant des rues. Elle avait toujours été habituée à être dehors, les cheveux au vent. Néanmoins, elle ne voulait pas se confronter à Evan pour une si petite broutille alors elle fit ce qu’il lui demanda. Une fois le casque sur la tête, elle reprit place derrière le jeune homme et noua ses bras autour de sa taille. La main de la jeune femme tressaillit lorsqu’Evan posa sur la sienne avant de démarrer. Le sentit-il ? Ils prirent la route et slalomèrent doucement jusqu’à la voie rapide. Natacha apprécia la ballade. C’était tout autre chose que d’être sur ses pieds et la présence du conducteur devait y être aussi pour beaucoup. La jeune femme essaya de faire abstraction de leurs deux corps collés. Elle essaya de se focaliser sur autre chose, c’était bien trop perturbant où ses pensées pouvaient l’emmener.

Bien – trop ? – vite, ils arrivèrent aux abords des bidonvilles. A cette heure avancée, les patrouilles étaient très fréquentes et Evan ralentit sensiblement et éteignit même les phares de son engin. Sage précaution qu’elle n’aurait jamais pensé avoir. Elle le laissa la mener où il voulait. Comme elle lui avait dit, elle finirait le chemin à pieds. Après cette balade, elle allait avoir besoin d’un peu d’air frais pour lui remettre les idées en place. Mais apparemment, ce n’était pas du tout dans les projets du jeune homme de la laisser s’en aller comme ça car il se gara devant chez elle. Secouant la tête, elle se dit qu’il était bien trop prévenant pour son bien. Elle descendit en premier de la moto et enleva son casque. Attendit qu’il descende à son tour

« Princesse ? »

Elle le regardait avec une petite lueur taquine au fond de ses prunelles vertes.

« Je ressemble bien plus à la servante de service qu’à une princesse. Merci pour la ballade Evan. Mais tu n’aurais pas dû… »

Il rétorqua alors quelque chose et avant même qu’elle n’ait eu le temps de protester, il se reprit en rajoutant qu’il savait qu’elle était une grande fille. Ça eut le don de faire sourire la jeune femme. Is n’allaient pas ravoir la conversation qu’ils avaient eu en début de soirée quand il lui avait reproché de ne pas faire attention et de trop jouer avec le feu. Une sirène se fit alors entendre et avant qu’elle n’ait eu le temps de faire le moindre geste, Evan la poussa contre  le mur pour éviter que quelqu’un ne les voie. Surprise, elle leva la tête vers lui. Mal lui en prit car leurs deux visages se retrouvèrent à quelques centimètres l’un de l’autre. Bien trop proche. Son cœur se mit à battre à la chamade et elle sentit son souffle s’accélérer. Ils jouaient à un jeu trop dangereux pour leur propre bien… Il dut s’en rendre compte car il baissa un peu la tête pour coller ses lèvres à son oreille. Se mettre à l’abri ? Il ne croyait pas si bien dire…

« Me mettre à l’abri… »

La voix de Natacha était aussi rauque que celle de son recruteur.

« Tu parles de quel danger ? », chuchota-t-elle

Elle croisa son regard. Ce qui n’était certainement pas la chose à faire à ce moment là… Un bruit les fit sursauter, rompant le charme de cet instant. Reprenant ses esprits, Natacha se dégagea alors de la prise du jeune homme.

« Tu as raison… Bonne nuit Evan. Merci pour cette soirée et la ballade… »

Elle lui fit un dernier sourire avant de disparaître dans la nuit.