Le couple à la mallette [PV Sélène Warren]

Le bruit familier de la fermeture éclair de ma combinaison noire résonne dans ma chambre tandis que je la remonte lentement le long de mon corps, de mes seins jusqu’au niveau de ma gorge.  J’enfile habilement  mes bottines pour le terrain ainsi que mes gants et un blouson.  Il était expliqué dans le mail privé, codé et hautement sécurisé envoyé par le bureau du général Van Brënner que c’était une mission pour éliminer un couple d’humains, récupérer une mallette et mettre la main sur ceux qui désiraient cet objet et les faire parler. Que je devais me fondre dans la masse avec des vêtements civils ! MOI ? Porter des vêtements civils ? Et puis quoi encore !! Comment avais-je pu accepter un tel ordre de mission ? Je n’étais pas censée faire le boulot des toutous de Van Brënner ! Ce n’était pas pour cela que j’avais rejoint l’Escadron. La seule chose intéressante dans tout cela, c’était que j’allais sortir de la cité malgré le froid qui annonçait un hiver rigoureux. Certes, les températures froides n’étaient pas vraiment idéales pour une telle balade, mais cela m’importait peu.  Ma combinaison avait été fabriquée par le ministre en technologies, Kylian E. Wright et faite sur mesure pour ma petite personne. Elle se modulait à mon corps et aux températures extérieures pour me donner tout le confort donc j’avais besoin. Elle se moulait à mes courbes féminines, ce qui avait fait tourner la tête au ministre, un soir dans son bureau.

Je jette un œil à ma montre. Il est presque 20 heures et je dois rejoindre le Capitaine au Sud de la cité, devant un bar nommé : « La Licorne à deux têtes ». J’ai horreur d’être en avance comme je déteste être en retard. J’aime le bon tempo. La bonne synchronisation.  J’ai été entraînée pour cela pendant des années. J’attrape mon casque et je referme  la porte de mon appartement grâce au code de sécurité. Je m’engouffre dans l’ascenseur et je file en direction du parking souterrain privé de la tour résidentielle où je vis. Cette moto est une merveille, construite aussi sur les idées les plus diaboliques du ministre Wight. Je prends place sur ma monture.  Le moteur commence à ronronner à mon oreille et je lance enfin l’engin métallique sur la route, en direction du point de rendez-vous avec le Capitaine Dallas Marden.

Une fois sur les artères de circulation, je peux admirer le décor. Asaria commence à déployer ses ailes de lumières. Tous les restaurants, les grandes enseignes, les établissements chics s’allument et reprennent vie, la nuit. La nuit, moments de tous les vices et tous les plaisirs, sans aucune limite. Ma moto lancée à vive allure sur les boulevards, je zigzague entre les voitures et autres véhicules sans pour autant enfreindre les lois. Je n’ai pas l’intention de me faire arrêter par la Milice pour infraction au code de la route et pour dépassement de vitesse. La devanture du bar « La Licorne a deux têtes » se dessine au loin, son gros panneau ne cesse de clignoter par intermittence. J’emprunte la voie du parking et je vois déjà une silhouette familière qui attend tranquillement en grillant une cigarette, à l’autre bout. J’ai déjà rencontré le Capitaine Marden tout comme j’ai éveillé certainement sa curiosité à mon égard.  Une femme portant un petit masque et se déplaçant avec aisance au cœur du bâtiment de la Milice, l’avait intrigué et je m’en étais amusée.

Je gare ma moto dans un recoin sombre, loin des lampadaires pour ne pas qu’on la remarque de trop lorsque la nuit se refermera complètement au dessus des dômes. Je retire mon casque qui libère mes longs cheveux bruns et je le range sous la selle. Mais avant de me montrer, je dois ajouter un détail à ma tenue. Je glisse ma main dans la poche de mon blouson à la recherche du petit accessoire indispensable. Un masque, un loup noir que je place sur mes yeux.  Peu de personnes connaissent mon vrai visage. Elles se comptent au nombre de 3 … enfin de 4 : La Grande Conseillère, Alianka de Nephthys, le ministre Wright, le Capitaine William Ströss avec qui je m’entraînais quelque fois dans les locaux de la Milice et l’Epouvantail.  Même le Général Van Brënner ne m’avait jamais vu sans. Seul Gabriel Laymann  avait pu me l’arracher … Il avait été le seul et l’unique à avoir pu retirer ce masque. Il s’en régalait toujours, même aujourd’hui.

A pas de félins, légère et dangereuse comme une vipère, redoutable comme la Mort dont je suis la Main, je m’avance dans son dos alors qu’il ne bouge toujours pas. Il regarde de nouveau sa montre, quand j’apparais devant lui. Je suis beaucoup plus petite que lui en taille, même avec des bottines. Je croise mes bras contre ma poitrine pour admirer la carrure de ce type. Le regard ténébreux, la corpulence d’un Dieu. Je me demande pourquoi il a choisi ce métier : Un soldat prêt à donner sa vie pour la cité et les Anciens ? Il aurait pu faire acteur de cinéma, mannequin ou je ne sais quoi d’autre.

- Capitaine Marden … Vous m’excuserez si je n’ai pas de vêtements civils pour ce genre de mission! La chemise à carreaux rouges vous va à ravir !

Non ce n’est pas un compliment. C’est très ironique et cela fait partie de mon caractère.

- Dites-moi … Vous n’avez trouvé personne? Pas de petits soldats bien obéissants pour faire la mission avec vous ? Je vous rappelle pour information que nous sommes au début de l’hiver. Les températures à l’extérieurs des dômes doivent être glaciales … Et vous … vous portez un tee-shirt et une chemise par-dessus … Si c’est pour m’impressionner, il ne fallait pas vous donner autant de peine ! Je suis très difficile … sauf si vous êtes un maître de l’Illusion … vous aussi ?

Mon sourire se fait moqueur et je penche ma tête sur le côté pour observer ses réactions. J’ai la fâcheuse manie de piquer, de mordre et après j’étudie le comportement de ceux que j’ai en face de moi.

- Vous m’expliquez cette mission et cette mallette  EXTRÊMEMENT IMPORTANTE pour qu’on me fasse déplacer pour ça ?

Je n’ai rien reçu de bien important à me mettre sous la dent comme ordre et j’ai horreur de partir à l’aveuglette quand je ne sais rien ou peu. C’est quoi cette nouvelle manie de me faire dérager pour mettre la main sur un couple d’humains, leurs interlocuteurs et cette fichue mallette ? Je tourne mon visage vers la jeep qu’il m’indique. Au moins, le véhicule qui nous est adjoint pour cette mission est flambant neuf,  certainement l’un des petits jouets derniers cri du Général Van Brënner pour ses troupes. La jeep est impressionnante, tout est prévu pour partir dans les terres sauvages même avant la disparition complète du soleil. Elle n’a  rien avoir avec celles de ces pauvres insectes humains qui doivent bricoler à longueur de journées sur les moteurs pour les faire avancer.

- Je vois que vous avez sorti votre gros joujou ! Il est impressionnant ! Je parle bien évidemment de la jeep Capitaine ! Ne vous faites pas des idées !

Distiller le chaud et le froid. Jouer sur les mots et leurs sens, j’adore faire perdre pieds aux gens que j’ai en face de moi. Les joutes verbales sont intéressantes quand l’autre y répond avec le même jeu. Je reporte mon attention sur lui pour l’Asarien une seconde fois.

- Le budget du Général Van Brënner commence à se tarir à ce point qu’on ne vous fournisse pas les vêtements nécessaires au terrain et à la température de l’hiver ? Pauvre soldat ! Sincèrement, je vous plains.

J’ai toujours été une vipère, une garce et encore bien plus que cela. Chacun me nomme comme il lui plait. Je n’ai jamais fait en sorte qu’on m’apprécie ou pas. J’ai été formée que pour une seule chose : tuer. Je retire mon masque que je plie et que je fourre dans la poche de mon blouson pour ne pas le perdre. Je me dévoile à lui, même si cela me coûte de lui montrer mon vrai visage. J’espère qu’il sait garder sa langue et que s‘il me croise en dehors d’une mission, il restera discret sur nos relations professionnelles. Ou alors, je devrai le tuer. Dommage pour Van Brënner qui perdrait un de ses soldats compétents. On grimpa tous les deux dans la jeep et on fonça hors du dôme. Le barrage fut facile à passe grâce à ce cher Capitaine.

Les vitres teintées nous protègent des rayons du soleil qui nous sont mortels. L’astre lumineux n’est plus qu’une ligne lointaine qui s’efface lentement sur l’horizon. Je préfère la nuit. C’est mon antre. Mon terrain de jeu. Mes pouvoirs sont liés à ces Ténèbres. Je ne suis pas une romantique. Je n’ai pas le temps de l’être. Le voyage est long. On aurait dû prévoir un soldat avec des pouvoirs de téléportation. Je jette un œil discret au conducteur et j’ai envie de m’amuser un peu, de m’immiscer dans son esprit. Mais je reste sage. Ce qui est très rare venant de moi. Il n’est pas très bavard, moi non plus. Cela ne me dérange pas et j’aime aussi le calme. Presque deux heures et demie de route. Il arrêta le moteur sur une butte et en descendit pour aller vérifier le terrain avec les jumelles. Je le suis en m’apercevant de la température froide qui caresse mes joues.

Ma vision nocturne comme tous les Asariens me sert à me déplacer sans problème dans la nuit. Les phares de notre jeep sont éteints et je me place près du Capitaine. Au loin, un nuage de poussière suspect d’élève et c’est peut-être ce fameux couple ou leurs intermédiaires qui arrivent droit vers l’auberge. Sans un mot, on remonte dans la jeep et on file à l’Auberge.

- Ils vont nous voir arriver  … Je dis ça … Je ne dis rien.
Vous croyez quoi ? Une jeep de ce gabarit-là ne passe pas inaperçue. Je parle de la nôtre.  Eteignez les phares, on n’a pas besoin de ça et le moteur est silencieux, c’est une bonne chose. On doit intercepter un couple et un individu … accompagné ou pas. Donc on doit attendre un minimum de trois personnes, maximum quatre. Pour le moment, on n’a que deux personnes dans cette voiture. Si on se montre maintenant, on ne mettre jamais la main sur ceux qui veulent récupérer la mallette et nous ne pourrons pas les interroger.

Face à nous et au loin, des phares d’une voiture roulent vers nous.

- Faites-leur le coup de la panne !  C’est un bon moyen de savoir s’ils possèdent une mallette avec eux ! Moi je  descends !

Le moteur ronronne encore. Cela ne m’arrête pas. J’ouvre la portière et je saute à l’extérieur. La végétation est assez dense pour me dissimuler derrière des arbres et des buissons, prête à surveiller cette bagnole. Mon pouvoir sur les ténèbres se déploie autour de moi et je deviens invisible même pour un Asarien.