Écueils

Il y a des histoires qui forgent des mythes.
Il y a des histoires qui sont le cœur et l’âme d’une Cause.
Il y a des histoires parsemées de magie où deux personnes issues d’un monde et d’une culture différente n’auraient jamais dû se rencontrer.
Il y a des histoires marquées par le destin et par le feu.
Mon histoire fait partie de ces récits, une légende oubliée qui a pourtant bel et bien existée. La naissance d’un combat pour un futur différent. L’union de deux cœurs qui n’ont jamais reculé devant l’adversité et dont la force des sentiments était indestructible et sincère. Nous avons su abattre les barrières qui nous séparaient et prouver que les Asariens et les Humains pouvaient s’entendre et s’allier.

Je ne suis qu’une humaine qui a suivi la voie de son cœur et de ses opinions. Certains vous diront que tout ceci est une chimère que je poursuis depuis  dix ans. Mais je suis tenace. Les épreuves  ne m’ont pas abattue. Elles m’ont rendue plus à l’écoute et plus combattante. Je suis née dans les terres sauvages et j’ai grandi parmi cette nature imposante, fragile et si puissante à la fois, comme moi. Je ne vous raconterai pas mon enfance. C’est mon jardin secret. Je ne vous raconterai pas la perte de mes parents ni ma capture par un Ancien et tout ce que j’ai subi à l’âge de 18 ans. Je ne vous raconterai pas non plus ma rencontre avec LUI. Ce sont des souvenirs qui ne sont qu’à moi, qu’à Nous. Mais pour mieux comprendre comment deux Êtres différents par leur éducation et par le destin lié à leur race se sont trouvés et reconnus, je dois vous conter certains de ces passages personnels. Vous comprendrez alors que même si les années se sont écoulées  aujourd’hui, que des personnes peuvent s’éloigner, changer dans leur comportement, prendre des directions opposées … Rien ne peut s’oublier, pas quand le cœur a aimé bien plus que de raison, pas d’un amour aveugle, mais d’un amour magnifique et immense.

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Le soleil n’est plus une menace pour lui. L’astre rouge s’est transformé en un disque lointain et inoffensif qui va rejoindre doucement sa tendre maitresse pour disparaitre dans ses bras. Au loin, l’horizon est magnifique. J’ai toujours adoré l’océan et son infini. Cette liberté que je ressens en scrutant les flots bleutés et en me demandant s’il n’y a que nous comme survivants de la pluie de feu, s’il n’y a pas d’autres rivages peuplés d’hommes, de femmes et d’enfants. Les rochers, sous nos pieds nus, laissent leur place au sable. Je le tire de toutes mes forces par la main pour qu’il me suive. Cette course dans cette petite brise marine qui nous amène des effluves iodés me donne des ailes. J’ai envie d’oublier pendant quelques heures qu’il est Asarien et que je suis Humaine, que nous sommes seulement un homme et une femme qui profitent de moments à deux pour se retrouver. La guerre des races, des différences sociales, de la suprématie. Je veux oublier tout cela. Pourquoi le monde est devenu aussi haineux, aussi déraisonnable ? Nos ancêtres ont vécu le chaos et voilà que les leçons que l’Histoire nous a données n’ont servi à rien que de replonger dans ce tourbillon pervers. Je veux changer le cours des choses. Je sais qu’on le peut. Je n’ai qu’à poser les yeux sur Gabriel pour être certaine de notre combat.

Ses doigts se referment sur les miens et sa pression me fait tourner la tête. Je suis alors surprise par son regard qu’il pose sur moi et mon rire disparait lentement au profit d’un air plus sérieux. Ses larmes coulent doucement sur ses joues et je devine que c’est du bonheur. C’est un enfant de la cité de Verre qui ne demande qu’à être un homme de la Terre. Ses yeux m’ont toujours déstabilisée. Je pourrai les reconnaitre n’importe où. Ce n’est pas tant sa lueur ni le message qu’ils délivrent, c’est quelque chose de plus profond. L’essence même de Gabriel.

- C'est là... L'entrée est derrière ce promontoire.

Je le guide toujours et je ne compte pas lâcher sa main. Il peut me la serrer autant qu’il le désire. J’aime son contact sur ma peau. C’est une sensation ancrée en moi que je ne pourrai pas oublier là non plus. Mon sourire se redessine à nouveaux sur mes lèvres. Cette nuit, elle est à nous et pour nous. Je la veux étincelante et pleine de vie. Je ris lorsqu’il manque de glisser. J’ai tellement l’habitude de courir pieds nus depuis ma plus tendre enfance que j’ai négligé Gabriel et sa vie passée dans une cage dorée. Il se rétablit sur ses jambes et on continue à courir en direction d’une grotte où nous serons tranquilles. Je remets la hanse de mon sac à dos sur mon épaule et j’accélère ma course. J’entends Gabriel rire derrière moi et mon cœur bat à tout rompre de sentir ce bonheur qui nous lie et que nous partageons.

Avant de nous engouffrer à l’intérieur, j’allume une torche et j’avance la première pour lui éclairer le chemin même si je sais qu’il voit dans la nuit avec son gène asarien. Mais il me laisse faire et il me suit docilement. Je lui fais découvrir une salle caverneuse où j’allume un petit feu de bois. J’ai tout prévu pour cette nuit et j’ai ramassé un peu plutôt en journée, des brindilles pour nous assurer un peu de chaleur.

- Ici tu ne risques rien avec le soleil. Nous pourrons rester aussi longtemps que nous voulons.

Je n’aurai pas dû formuler ma phrase de cette manière, mais mon inquiétude pointe le bout de son nez. J’ai promis de ne plus reparler de ses brûlures que j’avais vues sur son dos. Je suis jeune, mais loin d’être naïve. Il prend beaucoup de risques pour rester avec moi. J’inspire discrètement pour chasser mon tourment et je me concentre sur le feu. Sa question me fait lever les yeux vers lui. Mon sourire est revenu et le rouge me monte aux joues.

- C’est vrai. J’avoue que cette petite grotte est comme un cocon … Rien que pour nous deux. Loin de tout.

Je détourne le visage parce que je sais qu’il lit en moi comme dans un livre ouvert. Je ne veux pas qu’il découvre ma peur, je veux juste lui offrir mon amour. Ses mains se posent sur mes épaules, ses doigts coulent sur ma nuque jusqu’à mon menton où il m’oblige à me tourner vers lui. Il n’y a jamais eu de non-dits entre nous, mais il y a des sujets qu’on ne préfère pas aborder. Peut-être cette pudeur qui nous définit autant lui que moi. Mes prunelles aux reflets de bronze se mêlent aux siennes. Les flammes de l’âtre forment sur le visage de Gabriel un maquillage étrange. Ma paume caresse doucement sa joue et il me prend dans ses bras. J’enfouis ma bouche dans le creux de son cou et je respire son parfum entêtant. Gabriel m’attire avec lui et on se retrouve allongés l’un contre l’autre.

- Si nous n’avions pas peur, nous ne serions pas Humains, mais bien des machines. Chaque combat à ses obstacles. Notre amour me donne la force de déplacer des montagnes. Toi, tu ne devrais pas faire autant de folie avec ton … corps …

Mes mains tremblent, pourtant  je n’ai pas peur de cet homme qui se confie et me laisse toucher une part de lui, de ce qui l'est, de son univers. Ce n’est pas la crainte que je ressens, c’est autre chose. Un sentiment qui échappe à la raison et qui prend naissance au fond de mon cœur. Lentement, je remonte mes doigts, fébriles, contre ses hanches, son dos, ses épaules et je les laisse courir dans ses longs cheveux jusqu’à effleurer sa joue. Front contre front, les yeux fermés, il est au-dessus de moi, et je devine son souffle, la contraction particulière de son corps contre le mien. La peur qui l’anime n’a rien avoir avec nos combats, les choix que nous allons devoir faire, ces combats incessants pour faire entendre nos voix et notre Cause… C’est sa peur plus personnelle. L’appréhension dans ses mots, cette inquiétude qui le rend vulnérable et beau à la fois, de me blesser, de ne pas être à la hauteur, l’image que je pourrai avoir de lui.

Mes lèvres glissent sur son front puis sur ses joues, très lentement, des gestes pour le calmer et lui faire comprendre que j’ai confiance en lui. Mes baisers sont des caresses, telles des plumes sur sa peau. Je m’en abreuve, je le goûte, je le découvre.  Il se voit comme un monstre. Je ne l’ai jamais vu ainsi même si je devine ce qu’a été sa vie entre les murs dorés d’Asaria. Je ne juge pas son passé. Je ne juge pas ce qu’il a fait. L’homme qui me tient contre lui a touché mon âme dès notre rencontre. Mes mains rassemblent ses cheveux en arrière. Je veux voir son visage sans ces mèches qui me cachent ses yeux. Des ondes chatoyantes, une carte de l’univers renversée se présente à moi et je serai capable de m’y perdre à tout jamais. Je lui souris. C’est ce qu’il m’inspire : la sérénité, la sécurité et l’amour.

Est-ce que tu te souviens de mon histoire Gabriel ? Celle que j’ai eue du mal à te raconter, ma captivité entre les mains de ce monstre, cet Ancien ? J’étais une jeune fille qui a perdu son innocence dans une telle perversité que je suis incapable d’y mettre des mots dessus. Je sais qui tu as deviné ce que j’ai subi. Et tu as aussi compris que je n’avais jamais plus laissé approcher un homme avant toi.

- Sauvons-nous … Tous les deux …Ensemble. Tu n'es pas un monstre. Tu es si précieux pour moi, si ... Regarde moi ... Que vois-tu dans mes yeux ?
Je te donne tout ce que je suis. Fais-moi découvrir ce que l’on m’a pris par la force.

Ma bouche se scelle contre la sienne. Hésitante un instant, le baiser se transforme, s’envole et devient plus fort. Il est la plus pure représentation de mon amour pour lui. Mes mains l’agrippent et le rendent prisonnier de mes bras. Je mets fin à ce baiser, à bout de souffle et un manque s’anime en moi. Une émotion belle et tellement puissante qu’elle me trouble. Je bouge un peu pour aller murmurer à son oreille :

- Je veux...être à toi. Je veux découvrir ta tendresse, ta chaleur, tes mains, la sensation de mon corps qui chavire au creux du tien …Gabriel…aime-moi…comme je vais t’aimer.

Je ne suis pas ce genre de femmes qu’il a tenu dans ses bras, je n’ai pas leur expérience non plus. Je suis juste moi ...
Mes doigts tâtonnent à la recherche des pans de son t-shirt et tout doucement je relève le tissu. Ma peau entre en contact avec la sienne et l’effet sur moi est immédiat. Ma bouche se niche dans le creux de son cou et je me perds dans sa flamme...