(Terminé) [Intrigue] Opération Catacombes : la Méthode Van Brënner (pv lieutenant Elijah Huyana et son supérieur direct)

"Le temps, c'est de l'argent". L'adage éculé que les Van Brënner avaient toujours respecté au pied de la lettre s'était mué chez Tomas Van Brënner en un leitmotiv bien différent. Le temps, pour le Ministre de la Sécurité, n'était pas uniquement convertible en devise mais aussi un ennemi à combattre en permanence ou à retourner en sa faveur. Parfois il fallait hâter les choses sans les précipiter, parfois savoir attendre que le temps fasse son œuvre, comme disaient les sages. Et dans certains cas, il fallait lui donner un petit coup d'accélérateur pour qu'il fasse cette œuvre naturelle plus vite. L'espèce humaine était vouée à disparaître. Nul ne pouvait mettre en question cette certitude. Le Longue-Vie avait juste décidé qu'il était temps de donner sens à cette prédiction inéluctable en frappant au cœur même de leur nid puant et sordide. Tomas haïssait le Bidonville presque autant qu'il méprisait ces êtres qui le peuplaient. Pour lui, il n'était qu'une verrue hideuse dans le visage harmonieux d'Asaria. Il rêvait depuis toujours de le raser de fond en comble et d'ensevelir les habitants sous les décombres. Mais ces dernières années, sa hargne avait encore monté d'un cran face à l'impudence d'une poignée d'irréductibles qui menait une sorte de guerre des nerfs contre la Milice. Dans le Bidonville, ils étaient appelés les "Insoumis", Tomas, lui les désignait sous les termes de rats, vermine, déchets.

Les opérations de harcèlement, de pillage, de sabotage dont se rendait coupable cette association de malfaiteurs, cette racaille, s'étaient intensifiées, étaient devenues plus audacieuses au fil des années à tel point qu'il n'avait cessé de renforcer la répression à chaque acte de terrorisme contre l’État asarien. En vain. C'était comme si ce fléau mobile et insaisissable connaissait et anticipait chacune de ses contre mesures. Comme si ces criminels connaissaient les procédures de la Milice. Le sort de cet amas d'immondices humain qui formait cette ville dans la ville avait souvent tenu à un fil et failli vaciller dans la destruction. Plusieurs opérations exemplaires avaient frappé en plein cœur du Bidonville. Notamment lorsque Van Brënner avait fait rasé l'orphelinat et enseveli ses occupants sous les gravats. Mais chaque fois il avait manqué la détermination du pouvoir législatif pour promulguer un arrêté de destruction totale de ce secteur.

Mais cette fois, le Ministre de la Sécurité avait décidé de devancer l'ordre et de rallier à sa cause un allié inespéré en la personne d'un de ses officiers de l'escadron d’Élite. Le scandale du Grand Conseil lui donnait le moyen et le prétexte de déclencher plus tôt que prévu l'opération Catacombes. Son image avait été usurpée par une personne qui s'était fait passer pour lui et avait mis à mal la réputation d'Elijah Huyana, Ministre du Développement Sanitaire, lequel se trouvait aussi être un nouvel engagé dans la Milice d'excellence qu'il était en train de former. Tomas n'était pas qu'un homme de terrain redoutable et un décisionnaire à la poigne de fer. Il savait aussi faire preuve d'une réelle sagacité et d'un instinct infaillible pour lire les motivations de ses pairs. Il était certain d'Huyana rêvait autant que lui de se venger de ces plaisantins. Il n'aurait que peu d'effort pour convaincre le lieutenant  de l'utilité publique de la mission radicale sur laquelle il comptait l'affecter. Lui annoncer l'identité de son supérieur hiérarchique direct s'annonçait un peu plus délicat mais Tomas saurait lui imposer l'évidente cohérence de cet organigramme. Même le sang chaud et machiste du sud américain se tempérerait à l'idée de noyer littéralement le repaire de la machination dont il était victime. Van Brënner avait comme objectif de convaincre que les commanditaires de cette campagne de diffamation dont le PDG d'Aquanet était l'objet n'étaient autres que ces groupuscules qui gravitaient dans le Bidonville et dans les boyaux souterrains de la ville. Après tout, qui mieux que ces marginaux qui y vivaient pouvait avoir eu l'idée saugrenue de prétendre que la décharge, le réseau aquatique et l'air du dôme humain étaient contaminés par des substances nocives ? Pour Van Brënner, même s'il était évident que cette engeance bénéficiait de complicités haut placé et d'une logistique terroriste organisée, il ne faisait pas de doute que ces informations erronées ne pouvaient avoir comme origine que des personnes vivant dans le Bidonville et ses abords, des rats connaissant les réseaux d'égouts et de canalisation ainsi que les montagnes de déchets sur lesquels ils pullulaient.

La secrétaire du Département de la Sécurité lui annonça par l'intercom que le lieutenant était arrivé. Elle restait très professionnelle malgré la tension palpable dans la tour gouvernementale ces derniers jours. Un froid digne de l'Antarctique de jadis soufflait entre Alianka et son âme damnée. Depuis l'affaire du Grand Conseil, un bras de fer s'était en engagé entre le Lion et la Panthère, une confrontation aussi implacable qu'ils pouvaient être passionnés. Tomas venait encore avancer ses dossiers mais il se barricadait dans son Département, son fief, son étage, du matin au soir et n'en sortait que pour se rendre dans les locaux de la Milice où il préparait le transfert d'un prisonnier très important jusqu'aux bureaux dédiés aux interrogatoires de  la Cour Martiale. Ce Vickers s'y trouvait déjà reclus, au secret , mais il aurait bientôt un autre invité en la personne d'une vieille connaissance de Van Brënner, le Commandant Logan Hiddes, enfin l'ex-commandant des Renseignements de la Milice lui-même. Des états de service irréprochables, une grande maîtrise dans la conduite des interrogatoires faisaient de l'officier Hiddes un élément promis à une évolution de carrière remarquable que Van Brënner aurait lui même appuyé. Puis, un jour le craquage total se produisit, révélant la traîtrise de cet Asarien. Il avait aidé un dangereux criminel à s'échapper et avait déserté. Le Lion de Feu supportait moins que quiconque que l'on trahisse sa confiance et déçoive ses espoirs. Hiddes s'était fait arrêter lors d'un banal contrôle dans un hangar d'approvisionnement du Dôme Humain, au milieu d'une bande de marginaux pilleurs de convois. Comment un homme ayant fait partie du corps de défense d'Asaria avait-il pu tomber aussi bas ? Cela n'inspirait que dégoût à Tomas. Le traitre ne subirait pas un sort plus enviable que ce Vickers.

Deux sources d'informations juteuses que le Général se ferait un plaisir personnel de pressurer avec le plus grand raffinement. Pour l'heure, il devait s'assurer l'adhésion totale d'Huyana, non seulement comme subordonné militaire, mais comme pourvoyeur de moyens logistiques. Car il projetait une action sans précédent, nécessitant un dispositif de grande envergure que seul Aquanet pouvait fournir. Il adressa donc un sourire des plus cordiaux et une franche poignée de mains au Ministre qui fit une entrée spectaculaire, introduit par une secrétaire totalement béate. Huyana arborait une tenue militaire impressionnante et se mit au garde à vous. Tomas ne put s'empêcher de plaisanter.

- Diantre, vous avez pillé le dernier catalogue de Wright ? Je suis tout à fait satisfait de vous voir dans de telles dispositions. Repos Lieutenant, nous ne sommes pas encore entre supérieur et officier ici. Considérez que nous sommes entre associés pour l'heure.

Il lui désigna le fauteuil face à son bureau, où il l'invitait à s'asseoir.

- Je suppose que vous avez du mal à tempérer votre impatience de voir ces chiens infâmes qui vous ont mis en cause rendre leur dernier soupir dans une de nos cellules. Je ne m'explique encore pas comment on a pu user de mon identité et de mon image afin de berner ainsi tous ces piques assiettes du Grand Conseil, mais je vous jure que je bouillonne de mettre la main sur cet individu qui se fait passer pour moi et de l'empaler moi même sur le radar météo qui surplombe le toit de cette tour où nous nous trouvons, et croyez-moi quand je vous dis que ce n'est pas une vue de l'esprit.

Le ministre Huyana avait eu la faible consolation de voir ce prétendu dit major Vickers se faire mettre les menottes par les agents de la sécurité de la tour gouvernementale et par les soldats de la Milice qui s’étaient déployés sur ordre de la Grande Conseillère. Elijah s’était empressé d’émettre son désir d’assister à la conduite de ce major en cellule et donc de faire le voyage avec le fourgon.  Sa Supérieure hiérarchique n’était pas du même avis, qu’il serait convoqué le moment venu à une confrontation avec cet individu, qu’il pourrait assister à un de ces interrogatoires, mais que pour l’instant il croupirait au fond d’un cachot sans aucune présence de quiconque. Elle n’avait pas tort. L’esprit était chez certain un organe dès plus redoutable et il fallait briser cet homme en le soumettant à la solitude et au silence, lui retirer tous ses repères pour mieux lui arracher des informations capitales.  Qui était cet homme ? Travaillait-il pour un homme du gouvernement ? Pour un homme riche qui voulait créer un vent de suspicions entre les Anciens ?

Les jours étaient passés et Huyana n’était pas sorti de son bureau depuis. Il travaillait comme un dingue en épluchant un par un tous les anciens dossiers de sa société.  Il voulait s’assurer que les rapports de ce fou furieux n’étaient que des mensonges. Il savait les compétences de son personnel et personnes n’auraient pu modifier de tels rapports, à moins que l’homme pour qui travaillait Vickers fût aussi à l’origine de fausses données. Ce commanditaire avait pu monter tout ce stratagème pour cacher les informations et retourner tout cela devant les Anciens, mettre Elijah au plus bas devant les Siens. C’était alors un ennemi intime de l’Amérindien qui n’avait pas supporté une vieille offense. Que dire aussi de l’apparition du ministre Van Brënner ? Une projection holographique ? qui avait disparu alors qu’il tentait de protéger ce Vickers. Van Brënner aurait-il retourné sa veste ?

Les rapports de ce Vickers et les échantillons avaient été remis entre les mains des experts du Centre de Recherches. S’il ne pouvait pas outrepasser la procédure qu’avait instaurée Alianka, il pouvait ressortir et travailler sur les anciens rapports et peut-être trouver une faille qui lui indiquerait qu’il avait été trompé par un faussaire appliqué. La soirée était bien commencée. Les bureaux d’Aquanet se désertaient peu à peu. Seules les équipes de nuit qui tournaient à minima étaient présentes. Son assistante, toujours fidèle et d’une discrétion qui arrivait à surprendre le Longue-Vie qu’il était, se présenta à lui toute timide. « Monsieur, n’oubliez pas votre rendez-vous avec le Ministre Van Brënner. Il est dans une heure.» Il la remercia pour cette précision et elle retourna à ses occupations.

L’Amérindien se cala dans son fauteuil et  joua avec son menton. Il relut plusieurs fois ce message fort court que lui avait envoyé Van Brënner. C’était peut-être l’aubaine qui se présentait à lui pour discuter avec le Général de tout ce cirque à la réunion. Il n’avait jamais vu Alianka dans une colère aussi glaciale que le surnom qu’elle portait avec ravissement. Le Lion et la Panthère ne se trouvaient plus dans les bons termes qu’il avait pu observer depuis de longues années. L’Ancienne était une femme de pouvoirs, puissante et bandante. Il n’avait jamais culbuté la brune féline. Il n’aurait pas dit non, mais entre mâles, il savait reconnaitre quand un territoire était farouchement gardé. Cela n’avait pas empêché des ministres comme Brennan, Wright et il se demandait si le beau-frère n’était pas aussi dans la partie, de la séduire. Il préférait rester en retrait et garder ses fantasmes pour lui. La rage du Lion était reconnue comme inégalable.

Il se délesta de son costume et revêtu le treillis qu’il avait porté durant la réunion dans le bâtiment de la Milice et un tee-shirt noir sous une veste ouverte entièrement sur laquelle il ne manquait plus que l’écusson de l’Escadron d’élite. Elijah rejoignit sa voiture et il sortit de l’enceinte privée d’Aquanet.  La nuit était tombée, Asaria vivait aussi bien le jour que dès les premières heures sombres. La cité était redevenue plus calme après ce fameux concert au Multiplex qui avait brassé une foule imposante de fans pour ce groupe nommé Scarecrow.  Après une quinzaines de minutes à rouler, la tour surgissait devant lui. Il se remémorait encore les évènements de cette fin d’après-midi qu’il aurait volontiers oubliés avec ce Vickers. Sa voiture garée sur le parking privé, il se dirigea vers les ascenseurs en direction du département de la Sécurité. Là aussi, les couloirs étaient calmes. Il n’y avait que quelques agents présents. Une  jolie blonde s’avança vers lui et il la reconnut comme la secrétaire de Van Brënner. Elle l’annonça par l’intercom et il la suivit vers le bureau de son patron où la porte était ouverte. Une poignée de mains après et l’antre refermé par les bons besoins de la jolie blonde, Elijah reconnut un Van Brënner décontracté. « Wright possède de bons produits, mais sa curiosité m’a incité à être prudent. »

Il prit place dans le fauteuil qui faisait face au bureau du Général et l’écouta résumer des évènements indésirables. « Votre projection holographique, ou tout autre procédé, a berné tout le monde, moi le premier. Depuis j’épluche les rapports d’Aquanet ! Je n’ai encore rien trouvé qui appuierait la démence de ce Vickers. Si quelqu’un a falsifié les données de mes scientifiques, il est remarquablement dangereux. Il peut s’infiltrer partout ! Je désirai voir cet individu, mais la Grande Conseillère préfère le laisser croupir dans le noir sans aucun repère ni présence de personnes. »

La Grande Conseillère paraissait être le sujet le plus épineux, il lui aurait bien suggéré de se défouler et de la baiser sur le bureau. Une bonne partie de jambe en l’air était le meilleur remède à ce genre de crise, mais Elijah se retint de tout commentaire. « Je veux savoir qui se cache sous cette manipulation à grande échelle. Le projet Catacombes tombe à pic pour débusquer les rats et les bruler.  Quand commençons-nous ? »

Van Brënner hochait la tête tout en écoutant les observations de son futur allié. Il sourit quand celui-ci mentionna sa méfiance à l'égard de Wright et ne put s'empêcher de commenter la chose.

- Wright a la fâcheuse tendance à croire que les bonnes affaires se concluent au lit. Le souci, voyez-vous, c'est que je pense proposer au Grand Conseil une vague de nationalisations des plus grandes entreprises. Et comme vous le savez,  si on peut baiser la Grande Conseillère, il est plus difficile de me baiser moi. Vous connaissez le dicton. Avant de t'occuper du voisin, commence à balayer devant ta porte. Je crois qu'il est grand temps de faire le ménage dans l'hémicycle aussi. Trop de ministres ne font qu'y figurer pour le prestige du titre et ses avantages.

Tomas pianota nerveusement sur la table.

- Nous sommes seulement deux ou trois à mouiller notre chemise pour Asaria et ça ne peut plus durer. J'ai visionné plusieurs fois les enregistrements des caméras du Grand Conseil. Vous avez été le seul à réagir à plusieurs reprises et fermement avec Edouard Ravenwood, l'archiviste. Si je le sais farouchement allergique aux Humains et vermines de ce genre, j'ai du mal à cerner ses motivations. Madame de Nephthys lui fait entièrement confiance mais est-elle objective? Quoiqu'il en soit, j'ai trouvé l'attitude de certains honteuse face à cette cabale. Un silence, une réserve très suspecte. Comment peut-on être aussi timoré que le Ministre Mc Stone ou Brennan? Bien sûr, il parait normal que vous réagissiez vivement, étant le premier mis en cause. Mais les autres auraient pu vous apporter un soutien plus total.


Le Général se retourna pour piocher un dossier dans son classeur situé derrière lui et le fit glisser jusqu'à Huyana.

- Voici la parfaite illustration que les traitres sont parmi nous et peuvent sortir de l'ombre à tout moment.

Sur la pochette était mentionné un nom: Logan Hiddes avec la mention en travers: high treasure.

- Vous avez raison de tout vérifier. Passez au peigne fin les dossiers de vos employés, leur situation familiale. Tout ce qui peut servir de moyen de pression pour les pousser à devenir des traitres. Ne sous estimez jamais l'ennemi, car il peut employer les mêmes méthodes que nous. Si Hiddes a trahi la Milice malgré le poste à responsabilité qu'il occupait, un de vos scientifique ou technicien haut placé a très bien pu falsifier des données. Vickers est un homme mort, mais avant de l'éliminer il faut s'assurer qu'il n'y a pas un début de vérité dans ses assertions et qu'on n'a pas encore besoin de lui pour quelques précisions. Rassurez-vous, je compte bien le faire durer le plus longtemps possible pour en tirer le maximum d'informations. Avec doigté car un homme qui passe une certaine limite dans la souffrance racontera n'importe quoi pour que cela s'arrête. Il dira ce qu'on a envie d'entendre. Et moi ce qui m'intéresse, c'est la vérité. Tout est affaire de dosage. Il faut connaître l'homme qu'on a en face de soi, cela prend un peu de temps. Le renseignement, ma question, c'est comme la haute couture, il faut du sur mesure pour que cela tombe à la perfection. Chaque interrogatoire est pensé en fonction de la psychologie du sujet. Alianka est très fine psychologue et si elle pense qu'une désorientation sensorielle peut aider à disséquer le cerveau de ce Vickers alors je lui fais confiance.

Tomas se servit un scotch et montra la bouteille à Huyana.

- Je vous offre un verre ? Autre chose peut-être, un café ? Un cigare ? J'ai une boite de Havane, vous m'en direz des nouvelles. Proposa-t-il en en prenant un pour lui.

- Avez-vous pensé à une manœuvre d'un de vos concurrents pour vous discréditer à nos yeux. Nous savons tous que l'espionnage industriel est une réalité. Pourquoi pas le sabotage ?

En disant "nous" Tomas clarifiait très nettement son statut, il était encore au Gouvernement. Mieux, il en était probablement le salut, le garant. Huyana ne devait pas ignorer le froid glacial qui s'était instauré entre la Grande Conseillère et son Ministre de la Sécurité. Il pouvait douter de l'avenir de Tomas et donc du bien fondé de lui apporter son soutien. Le Général voulait laisser entendre à son subalterne qu'il avait plus d'un atout dans sa manche pour assurer sa défense le cas échéant et appuya ce fait en reprenant.

- C'était bien plus sophistiqué qu'un hologramme. Une simple image projetée aurait été démasquée rapidement. Il est très difficile de faire coïncider des paroles qui n'ont rien à voir avec les images projetées. Si la projection avait repris mes termes cela aurait été un montage et on aurai noté des à coups dans la diction. Rien de tout ça dans les images, regardez.

Tomas alluma le grand écran qui trônait derrière le ministre et l'invita à se retourner.

- Ce personnage, quel qu'il soit connaissait parfaitement son sujet. Le plus inquiétant est que ce qu'il affirme au sujet des missiles balistiques est vrai. Il y a une faille dans notre sécurité et pas des moindres. Tout était parfaitement crédible et vérifiable à un détail prêt, ma façon de m'exprimer. Surtout à l'égard de la Grande Conseillère. Voyez-vous, je ne mélange jamais devoirs et sentiments personnels. Je n'en fais jamais étalage en public, et je me serais bien gardé de faire un commentaire galant au sujet de son apparence. Le faussaire en sait beaucoup sur mes fonctions et mes activités professionnelles, mais très peu sur ma personnalité et ma façon de me comporter avec elle. Comme s'il ne m'avait jamais côtoyé, ni vu en sa présence. Si ce traitre est des nôtres, il ne travaille pas au Gouvernement. Il ne m'a vu que dans des apparitions publiques et brèves. Peut-être même uniquement dans les médias dont  il s'est inspiré pour projeter ces images. Le costume qu'il montre date un peu. Vous qui avez assisté à la réunion au QG, remarquerez qu'il n'arbore pas l'écusson de l'escadron d’Élite, contrairement à celui que je portais lors de notre conseil d'état major.

Van Brënner lâcha quelques volutes de fumée et se renversa dans son fauteuil en clignant d'un œil à l'attention de son collaborateur.

- Vous voyez comme de simples images peuvent parler ? Nous n'avons pas à faire à un Hologramme mais à une projection mentale. Celui qui a réussi ce tour de force ne fait pas partie du Gouvernement, ou du moins n'en est pas proche, en tout cas à l'heure actuelle. Il a pris son inspiration dans des images d'archives. C'est un bricolage fait à la va vite. Ce stratagème a été mis sur pied au dernier moment. D'ailleurs je crois même pouvoir les dater. J'avais une cicatrice à l'arcade droite, regardez. Un éclat de caillou dans le Bidonville, une balle perdue... lors de la dernière vague d'émeutes. Avais-je cette cicatrice quand vous m'avez quitté au QG de la Milice ? Cette partie de son plan ne colle pas avec le reste. Elle fait bâclée bien que le processus mis en œuvre soit bluffant. Ce traître est méthodique, renseigné sur bien des plans. Mais avec cette apparition, on dirait qu'il a presque improvisé avec ce qu'il avait sous la main.  En revanche, il sait que je mets au point des missiles balistiques que je réserve pour une opération extérieure. Comment le sait-il ? Je n'entrevois qu'une possibilité: il pirate notre système de défense . Il est urgent que nous le découvrions et pour ça nous tenons Vickers, son complice.

Van Brënner ferma le dossier vidéo et ouvrit Catacombes.


- Cette urgence nous donne aussi toute latitude pour frapper fort et frapper vite. Si quelqu'un ou une organisation, pirate notre défense nous devons le débusquer mais aussi le couper de sa base. Tout tourne autour du Bidonville. En le rasant de la carte, nous éradiquons une partie du problème. Le plus difficile sera de déloger ceux qui vivent dans les égouts. Voilà pourquoi j'ai besoin de vos talents. Êtes-vous prêt à vous salir les mains, à agir sans états d'âmes ? Il y aura des gamins là dessous, des femmes ... Des Asariens aussi ... Votre fille, peut-être bien ...  

Tomas fermait à demi les yeux derrière la fumée de son cigare. Il jaugeait la réaction du Séminole.

Wright était un serpent pour Elijah. Il faisait partie de ces hommes du gouvernement qu’il surveillait de très près. McStone et Brennan eux ne jouaient pas dans la cours des Grands. Ils l’avaient prouvé lors de la réunion du Conseil. Il s’était pourtant décidé à aller voir Brennan si celui-ci acceptait l’invitation qui lui avait lancé par courriel. « Wright fait du bon boulot dans son secteur. Il est très proche de la Grande Conseillère, cela lui donne cette pertinence d’être intouchable. La nationalisation des grandes entreprises ne se fera pas sans mal. Vous prenez des risques de voir des mouvements de manifestations se créer.»  

La réunion avait été un cuisant échec. Elle avait montré les failles de la sécurité au sein de la haute sphère du pouvoir. Ce qu’il retenait aussi, c’était la condition lobotomisée des autres ministres. « Les ministres sont devenus des costards serrés du cul. Ils répartissent leur journée entre leur bureau et les cuisses de leurs maitresses. L’union n’existe plus entre les Anciens. Il  fut un temps où tout le monde aurait fait front ensemble. L’archiviste Ravenwood est un homme réservé et observateur. La Grande Conseillère serait bien la seule à vous donner des réponses. »

Les bras et les mains contractés sur les accoudoirs du fauteuil, le ministre du Développement Sanitaire et PDG d'Aquanet Technologies s’était juré qu’il passerait chaque minute, chaque heure à relire tous les rapports qui étaient sortis de sa société pour laver son nom. « Je prendrai le temps de tout vérifier, mais le temps presse aussi. S’il est exact que ce Vickers dit vrai, cela veut dire que les trafics d’informations se passent dans mon dos depuis plusieurs années pour arriver à de tels résultats. On a quelqu’un qui s’amuse avec nos nerfs. On peut donc en conclure que tout ce qui nous entoure soit totalement erroné : vos projets, vos rapports, les miens, ceux de la Grande Conseillère, ceux de la Recherche, de la Santé, etc. …  »

Il se pencha et récupéra le dossier qui glissait jusqu’à lui. Le nom ne lui disait aucun souvenir familier.
« Logan Hiddes, un ancien gradé de la Milice ? Pourquoi ce dossier ? Il a un rapport à Vickers ?»

D’un hochement de tête, il approuva la vue de la bouteille de scotch. L’Amérindien avait besoin d’un petit remontant pour oublier les derniers méfaits.   « Scotch et Havane ! Je suis preneur !  »

Elijah cherchait et suivait toutes les pistes qui pouvaient s’ouvrir à lui. Le plus petit indice lui permettrait d’approcher cet individu qui avait mis ce funeste plan sur pied. « Je cherche aussi de ce côté-là. Aquanet à la main mise sur tout le réseau d’Asaria. Elle dessert toute la population. Un sabotage industriel serait cuisant pour l’économie de la cité. Tout le matériel mis en place depuis ces longues années, la recherche de la nouveauté et de la perfection pour donner à Asaria la meilleure qualité, nous plongerait dans une vaste tempête.  On devrait alors chercher du côté des personnes qui ont été mis en échec par le gouvernement, ceux qui ont été remerciés. »

Van Brënner et la Grande Conseillère étaient en froid, cela n’avait échappé à personne à la tour gouvernementale. Les portes des bureaux se refermaient à leur passage. Les agents administratifs baissaient leurs têtes au bruit des pas des talons d’Alianka ou à la voix de Tomas. Pour Elijah, Van Brënner restait encore le ministre de la Sécurité et il n’entrerait pas dans le bras de fer entre ces deux forces de la nature.  Il se retourna vers le grand écran où la vidéo de la réunion lors de l’entrée de Van Brënner  défilait. « On a un putain de traitre qui connait tous les secrets du gouvernement, qui vous connait assez bien pour imiter votre façon de vous comporter même s’il a raté quelques éléments de votre façon d’agir devant à La Grande Conseillère. On peut s’aventurer dans cette voie et dire qu’il pourrait aussi se faire passer pour moi ou pour Alianka. Il devait se tenir assez près de l’entrée de la salle du conseil pour arriver à faire fonctionner son pouvoir. Il y avait des agents de la sécurité quand votre double est entré. Si c’était l’un d’eux ? Cela pourrait-il qu’il était là depuis le début et qu’il a épié le moment opportun pour vous faire apparaitre ? On ne sait pas focaliser sur l’écusson qui manquait. »

Fumer un cigare relevait d’une vieille tradition familiale pour le Séminole. Un rituel qu’il tenait de son père. Il prit le coupe-cigare qui se trouvait avec la boite de Havane et incisa la tête du cigare à mi- cabochon. Il est préférable de couper trop peu que de trop couper lui répétait son père. Satisfait, il l’alluma et se cala contre le dossier. « Il s’infiltre aussi facilement, c’est que nos informaticiens ne sont plus bon à rien ! Ce type a une disposition incroyable pour les pare-feux. Nous ne sommes plus à l’abri. »

Elijah gardait un œil attentif la vidéo qui se projetait devant eux. « Même bâclée, la vidéo est dangereuse. En la décortiquant, on lui trouve des défauts, pas sur le moment où vous êtes apparu dans la salle de réunion. Ce type passe un temps fou à observer les mouvements de nous tous. Il peut être là en train de nous épier. »

Il tourna la tête et dévisagea l’ensemble des murs et des recoins du bureau. Qui pouvait être certain aujourd’hui que ce type n’avait pas détourné  les  caméras de surveillance ou placé des micros pour entendre leur conversation ? La projection s’arrêta et il reconnut la suite qui s’afficha : le projet Catacombes. « Les humains n’ont pas grande valeur à mes yeux. Et ma fille … C’est un sujet que je ne préfère pas aborder. Si en rasant le bidonville, je lui mets la main dessus, elle payera cher sa traitrise. Votre idée de parquer les humains sous les fondations du marché aux esclaves est très bonne. Nous les aurons sous la main et la surveillance ne se fera que mieux. Et nous aurons alors toute l’étendue nécessaire pour laver à grandes eaux les quartiers puants. Qui est  cette main du Diable ? C’est la première fois que je la voyais à la réunion. Que dois-je savoir sur elle ? »

Tomas Van Brënner partageait nombre d'approches et de points de vue avec le Ministre du Développement Sanitaire mais il avait pour lui quelque chose que n'avait pas le Séminole.  Il savait qu'Alianka de Nephthys pouvait accorder ses faveurs mais que rien ne pouvait protéger quelqu'un d'une disgrâce de sa part. Le pouvoir et la gouvernance d'Asaria passaient avant tout chez cette femme.

- N'ayez pas la faiblesse de croire que Wright est à l'abri des foudres de Madame la Grande Conseillère parce qu'il lui a par le passé labouré la chatte. Ce n'est pas parce qu'elle écarte les cuisses qu'elle cède des prérogatives à ses amants. Si elle veut le balancer, rien ne le tiendra à l'abri du bannissement, pas même ses prouesses de cul. J'en suis tout à fait conscient moi-même et je n'ai jamais tablé la dessus pour avoir sa confiance.

Quand le lion était très contrarié, il devenait outrageusement vulgaire- Alianka en avait fait l’expérience un certain soir où elle avait mangé la moquette- et usait d'un langage de troupe. Troupe qu'il côtoyait souvent, à la différence de ses pairs ministres qui se pavanaient dans leurs costards en serrant les fesses- pour cela Elijah Huyana avait parfaitement illustré la vision que Van Brënner en avait- et adoptait parfois quelques usages de casernement. Cela n'avait gêné en rien ses anciennes maîtresses qui aimaient se faire prendre par un homme capable du plus haut raffinement comme de la trivialité la plus basse. Ce qui faisait le charme de Tomas  était qu'il pouvait passer de l'un à l'autre avec une aisance stupéfiante. Et cela  avait un effet tout à fait aphrodisiaque sur ces petites gazelles de luxe qui s'ennuyaient dans le lit de leur riches, vieux et puissants maris. Mais le lion était contrarié. La simple évocation des frasques passées de son amante suffisait à le faire monter en température. Peut-être que cela était purement innocent de la part du Ministre du Développement Sanitaire ou peut-être pas. Les Anciens aimaient se jauger et se balancer des patates chaudes à la figure. Tomas avait bien répliqué en touchant là où cela pouvait faire mal avec la fille d'Huyana. Toujours est-il que sur le principal, l'essentiel, les deux Longues Vies étaient d'accord.

Tomas avait écouté le raisonnement fouillé et presque monologué de son collègue et il en approuvait la majeur partie. Il crut cependant bon de préciser que l'étendue d'action de leur ennemi invisible ne pouvait être aussi grande que l'extrapolait Huyana.

- Depuis, la sécurité a été renforcée, vous devez vous en douter

Mais il n'en dit pas davantage au sujet des caméras infra rouge venues doubler  celles déjà présentes. Après tout, il devait se méfier de tout le monde et même de ses alliés. Il se repassait en boucle une phrase d'Huyana "On a un putain de traitre qui connait tous les secrets du gouvernement, qui vous connait assez bien pour imiter votre façon de vous comporter" Quelque chose lui échappait, quelque chose qu'il avait sous les yeux mais qu'il ne voyait pas. C'était une impression diffuse. La question du Ministre des Affaires Sanitaires se superposait à ses réflexions.

- Je ne pense pas que Hiddes soit mêlé à notre affaire. Je le citais juste comme une illustration du fait que nous ne pouvons nous fier entièrement à personne. Même nos meilleurs éléments sont susceptibles de nous trahir jour...  Il n'a pas les compétences pour un simulacre de cette envergure. C'est plutôt un homme de terrain, même s'il sait user de psychologie pour extirper des renseignements. Les renseignements dont vous parlez ne peuvent pas s'obtenir par la torture de prisonniers. Ils ne sont accessibles qu'en accédant à des bases de données très protégées ...

Tomas se leva et se mit à arpenter la pièce en se caressant le menton.

- Celui qui a orchestré cette pantomime est un proche du pouvoir pour avoir accès à ce genre de chose... Proche du Gouvernement, mais pas DANS le Gouvernement. Il en connait probablement les us et les coutumes. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on goûte au pouvoir et plus la tentation est grande de s'en emparer pour soi seul. Et plus on en a les moyens, bien entendu. Il faut cette combinaison des deux pour tenter le coup. Souvenez-vous de cette organisation: Epsilon. Elle était l’œuvre d'Anciens très puissants qui projetaient de renverser la Grande Conseillère. L'assassinat du Ministre Alvarez n'était que la première étape... Hiddes n'a pas l'étoffe. Il pourrait tout au plus être un homme de terrain du guignol qui nous enfume. Tout comme ce Vickers ... D'ailleurs ... une minute je vous prie...

Il actionna l'intercom.

- Aniston, où en est l'analyse du logiciel de morphing ?

- Le processus de comparaison n'en est qu' à 80 % des dossiers des suspects mon Général. Aucune analogie relevée pour le moment...

Il réfléchit durant quelques secondes.

- Lancez un ordre de mission pour le détachement 22 de la Milice des Frontières.  Qu'il vienne stationner en bas de la Tour et attende mes ordres ! Et qu'on ne nous dérange sous aucun prétexte, sauf pour annoncer l'arrivée de l'agent convoqué dans une heure ou le résultat du logiciel ...

- Bien mon Général .

Tandis qu'Huyana  fumait son havane après l'avoir coupé et sirotait le scotch qu'il lui avait servi, Tomas pianota sur le clavier de son ordinateur et ouvrit un dossier verrouillé par un mot de passe.

- Je connais quelqu'un qui pourra nous aider à démasquer cet imposteur... La Main du Diable est un agent de la Grande Conseillère... Elle est son homme, enfin, sa femme de main ... Nul ne connait son visage. Pas même moi ... Mais j'ai aussi mes agents de l'ombre ... Chacun son style. Madame la Grande Conseillère  fait nettoyer les rues d'Asaria par son assassin royal, moi j'ai mes agents de renseignements pour débusquer les traitres et la Milice pour les exécuter. La Milice est certes moins discrète mais si elle est bien orientée par le renseignement, elle est tout aussi efficace et ce à plus grande échelle qu'une meurtrière en collant noir ...

Van Brënner souriait face à son écran. Airas était le plus doué des Blackhat qu'il ait jamais vu en action. Le ministre ne l'avait pas dégoté dans les promotions de l'Université, ou dans un centre d'informatique appliquée. Non, Airas était venu à lui de son propre chef, pour lui proposer ses services en échange ... d'argent. Bien sûr la première réaction de Tomas avait été d'envoyer paître l’outrecuidant personnage. Monnayer ses services en échange d'argent de la part de Van Brënner ? Ce petit con avait de l'audace. Mais alors qu'il s'apprêtait à monter dans sa Viper et à appeler une escouade de miliciens pour faire engeôler l'insolent, tout s'était coupé. L'électricité, le moteur de sa voiture. Les alarmes du quartier s'étaient mises à sonner et les bouches d'incendie avaient fait péter leur robinet et crachaient des cataractes d'eau dans le parking souterrain. Airas se tenait là au milieu du bordel ambiant, le sourire - aaah ce sourire- aux lèvres et attendait un mot du Ministre.

- Si je peux programmer ça dans les systèmes de la ville, imaginez ce que je pourrais faire pour vous ?

Un claquement de doigts de ce type au physique tellement banal et tout s'était arrêté instantanément.

- Un paiement cash pour chaque violation de la loi asarienne que j'accomplirai pour vous ... C'est ce que je demande pour mettre en place mes petits leurres et mes chevaux de Troie, pour déployer le dispositif Cyclope. Ça et l'accès aux terminaux les plus puissants d'Asaria ... Vous pouvez vous passer de mes services ... Vous mettrez juste trente ans de plus à accéder à ce que vous voulez savoir sur tous vos concitoyens...

Tomas avait bien eu envie de le calciner mais il savait reconnaître un atout quand il en voyait un et cet asarien type représentait un véritable brelan d'as. Et aujourd'hui, il allait réactiver cet agent qui s'était mis en sommeil depuis trop longtemps à son goût. Il actionna une fois de plus l'intercom.

- Aniston ... Vérification de la dernière adresse connue de Gabriel Airas, fonction agent de maintenance informatique au centre de recherches, accréditation black level.

- Dernière adresse connue: Hôtel Sunset, Accacia Avenue, district 21... Un quartier miteux mon Général ...

-Mhhm oui il ne passe pas son salaire en logement, lui ... Est-ce qu'il y réside encore ?

- Négatif mon Général. Il a rendu les clefs depuis quelques mois et selon la logeuse, il n'y venait plus beaucoup les derniers temps ...

- Où en est le logiciel ?

- 95 %; toujours pas de concordance. On entre dans la frange de 3% des collaborateurs hautement qualifiés ... Il y a moins de personnes mais les dossiers sont plus gros, donc le logiciel rame un peu...

Tomas tapa du poing dur la table.


- Aaah bon sang ! Un logiciel qui rame au Centre de la Sécurité Asarienne  ! Je ne veux pas entendre de tels propos. Appelez l'agent Amaterasu pour l'informer que son rendez-vous est avancé de trente minutes .

Puis il se tourna vers Huyana.

- La Main du Diable est le domaine privé de Madame la Grande Conseillère mais elle restera l'agent de liaison entre les différentes opérations qui vont être lancées. Je pense néanmoins suggérer à Alianka de l'affecter sur une mission de Sécurité plus confidentielle ... Vous allez travailler sous les ordres d'un autre agent qui va bientôt arriver. Une recrue tout à fait fascinante, vous allez le constater par vous même. Mais il nous faut aussi Airas pour démasquer le petit rigolo qui pense pouvoir se faire passer pour moi en toute impunité.

Tomas respira un grand coup pour se calmer.

- Aniston, lancez un traçage de la tronche d'Airas  sur toutes les bandes de vidéo surveillance de la ville depuis sa dernière apparition à l'adresse indiquée jusqu'à aujourd'hui. Je veux même savoir combien de feuilles de papier il utilise pour se torcher le cul si on a ça en magasin, c'est clair ? Avec une concentration accrue sur le Centre de Recherches.

- Bien mon Général ! L'agent Amaterasu est portée disparue depuis sa dernière mission... Je viens de recevoir un rapport du Commandant Carlyle à ce sujet. Je vous le fais suivre par mail sécurisé tout de suite.

- Voilà qui est fort ennuyeux ! Sa dernière mission était la protection rapprochée de Madame la Grande Conseillère lors du concert de Gabriel Laymann !

- En effet, Mon Général.

- Hmm dans ce cas, élargissez les recherches de morphing sur Airas aux  bandes vidéos concernant cette soirée. Vous devez me trouver cet agent. Si quelqu'un peut en savoir davantage sur ce coup d'éclat au Grand Conseil et sur la disparition du Commandant Amaterasu, c'est bien lui. Et envoyez un ordre nouvel ordre d'affectation au Commandant Carlyle ! Elle remplacera l'agent Amaterasu auprès du Capitaine Huyana.

Airas était un sacré indic qui savait flairer les filons de renseignements susceptibles d'intéresser le Ministre de la Sécurité et se trouver sur les lieux qui comptaient quand il le fallait. Le blackhat avait échoué jusqu'à présent à s’infiltrer dans le système d'Alianka par les voies informatiques et Tomas lui avait alors ordonné de réunir un maximum de données par d'autres moyens. S'il avait obéi aux ordres il avait dû suivre le moindre déplacement de la Panthère de Glace depuis des mois. Il aurait certainement des renseignements sur la disparition d'Amaterasu et sur cette fameuse soirée à laquelle Alianka s'était rendue sans lu , consécutivement aux dissensions liées à l'affaire Vickers. Un éclair de fureur brilla furtivement dans le regard du Lion et une imperceptible contraction de mâchoire laissait entrevoir la rage qui l'habitait encore au sujet de la disgrâce dont il faisait l'objet. Il ouvrit le mail de sa secrétaire et en prit connaissance d'un air songeur puis tourna à nouveau son regard vers Huyana en prenant la bouteille de scotch.

- Mon cher Elijah, changement de plan de dernière minute.  Et changement de partenaire pour votre mission future. Je vous en sers un autre ? Je sens que nous n'allons pas finir notre soirée dans un fauteuil alors autant profiter des dernières minutes de calme avant la tempête ... Mais avant tout, il faut que je vous révèle certaines choses au sujet du Commandant Amaterasu et de mon agent dormant Airas.

Le Général était contrarié et les mots qu’il prononçait ne lui étaient pas directement adressés. Le duo du pouvoir asarien s’était craquelé après l’intervention de l’hologramme de Van Brënner et La Grande Conseillère avait accusé l’Ancien de vouloir renverser l’autorité. L’homme était blessé dans son orgueil et sa fierté. Elijah le fixait derrière l’épais rideau de fumée créait par son cigare. Alianka De Nephthys était d’une beauté inaccessible et dangereuse. Van Brënner avait goûté à ce poison et l’addiction était mortelle, offrant la folie à celui qui s’était laissé piéger. L’Amérindien considérait avec goût cette Ancienne, la Dirigeante de leur cité. Il avait freiné ses ardeurs envers elle, la seule femme qu’il n’avait pas transformée en amante par respect. La vie privée ne devait pas se mélanger aux frasques politiques et le Général, touché par l’image de son amante se donnant à d’autres hommes, répliqua à atteindre Huyana avec la disparition inexpliquée de sa fille depuis des années. Le jeu pouvait durer longtemps, jusqu’à mesurer la taille de leur queue ou celui qui avait donné le plus d’orgasmes à une femme en une seule nuit. Mais ce n’était pas le thème de leur rencontre.

Le PDG d’Aquanet avait étalé ses opinions sur la présence d’un ennemi qui échappait à leur vigilance et aux sécurités informatiques. Van Brënner  s’appliqua à lui répondre immédiatement. Tout le système avait été renforcé. Ce simulacre, ce fantôme jouait avec les nerfs des Anciens et plus avec les deux piliers du gouvernement.  « Il a visé une cible avec justesse : vous et La Grande Conseillère. L’organigramme du gouvernement vous place en seconde position. En faisant éclater le noyau dur que vous composez tous les deux, il touche à la base essentielle du pouvoir et de la stabilité. Le résultat est là ! »

Pour Huyana ce type n’était pas à cataloguer dans une liste d’homme de terrain. C’était plus que cela, il était capable de beaucoup de choses et il avait cette facilité de berner des Anciens. Le Général s‘était levé et il arpentait comme un fauve la pièce en faisant les cent pas.  « Notre erreur serait de le classer dans un registre. Il est tout à la fois : un expert en informatique, un métamorphe, un manipulateur, un espion. Cela doit faire un moment qu’il analyse les membres du gouvernement pour être parvenu à ce jeu au conseil. »

Le jugement du ministre allait dans le même sens que son homologue. Ce type était proche d’eux, proche du pouvoir. Il y travaillait ou il en avait l’accès par n’importe quel moyen.  « Je suis d’accord avec vous Mon Général. Cet homme est là quelque part, près de nous depuis plusieurs mois, plusieurs années. Il a inventorié nos données, nos accès, les mécanismes du gouvernement, de la Tour, des bureaux, des plannings de chacun de nous pour en arriver à une telle maîtrise. »

Il caressa sa barbe naissante en réfléchissant à l’organisation nommée Epsilon.  « Vous pensez que cette organisation est revenue pour terminer ce qu’elle avait commencé ? Si c’est ça, La Grande Conseillère est en danger et nous aussi. »

Elijah se tut et écouta la jolie voix de l’assistante qui répondait au Général via l’intercom. Une analyse avec un logiciel de morphing avait été lancée pour définir l’homme qui avait leurré tous les Anciens d’après les images vidéo qui avaient été enregistrées.  Il laissait le cigare tourner entre ses doigts et partager ce gout avec le scotch en écoutant  le reste des explications. La Main du Diable était cette femme masquée qu’il avait rencontrée lors de la réunion précédente. C’était elle. Un Assassin. Les plus belles femmes étaient les plus vénéneuses. Les plus vénéneuses étaient les plus captivantes comme Alianka de Nephthys. Van Brënner pourchassait une idée et Huyana ne comprenait pas où il voulait en venir. Le Général  continua son échange avec le lieutenant Aniston par l’intercom. Le nom de Gabriel Arias ne lui invoquait rien. L’analyse du logiciel prenait du temps et la patience ne faisait pas partie d’un des traits de caractère de l’Ancien. Huyana tira sur son cigare une grande bouffée. La Main du Diable revenait dans leur discussion.  « C’était elle à la réunion ? La femme masquée ? Travailler sous les ordres d’un agent ? Si celui-ci fait correctement son boulot, je ne m’y opposerai pas. Si c’est pour faire du zèle et vous impressionnez, mon Général, attendez-vous à ce que ça gueule dans les bureaux. J’ai passé l’âge de me faire mener à la baguette par les petits morveux qui pètent plus haut que leur cul ! Cet Arias, il a les qualifications d’un homme qui se connait en informatique et qui a toutes les possibilités de s’infiltrer partout, même à la tour gouvernementale. Vous êtes certain de sa loyauté envers vous ?»

Un agent venait de disparaitre et sa mission était liée à la protection de la Grande Conseillère :  «Le passé sort comme le scorpion de dessous la roche.  Epsilon serait-elle de retour ? Alianka est la prochaine cible si cette organisation élimine sa garde rapprochée. Elle s’est déplacée au dernier concert organisé au Multiplex. La Dirigeante ne devrait plus sortir en public, pas avec autant de foule. C’est un moyen de l’approcher et de la tuer. »

Si Asaria perdait sa Dirigeante, le gouvernement en pâtirait, s’effilocherait et il perdrait cette puissance. Alianka était celle qui maintenait une cohésion entre tous les égos des Anciens. Il se pencha vers le Général et lui tendit son verre vide.  « Je vous écoute au sujet du commandant Amaterasu et de votre taupe, Arias. »

Le Séminole avait un esprit très affûté, de celui qui fait les grands hommes d'affaires, mais aussi les stratèges. Tomas avait tout le loisir de le découvrir au fil de leur conversation. L'analyse d'Elijah était pertinente, bien que parfois à la limite de l'impertinence. Ils savaient tous deux que les conclusions du Ministres des Affaires Sanitaires étaient souvent justes. Le Général en chef de la Sécurité, mais aussi futur Général des Armées de la République Asarienne, qu'il voulait fonder, se félicitait d'avoir recruté cet allié dans le fleuron de l'industrie Asarienne et d'en avoir fait un Capitaine de l'Escadron d’Élite.

- Vous avez raison, en bien des points. Celui que nous allons combattre a ciblé ses objectifs et il savait parfaitement comment créer une faille dans notre Gouvernement. Soyez assuré que je vais retourner cette offensive et en faire une force. Vous et moi, Elijah, sommes de la même trempe. Nous ne reculons, ni ne fuyons devant l'adversité et si nous savons être loyaux à la Grande Conseillère, nous ne tolérerons pas qu'on mette en doute avec son assentiment, notre dévouement et notre clairvoyance.

Tomas examinait plusieurs dossiers tout en parlant avec Huyana et il les referma pour se concentrer exclusivement à son allié.

- Le pouvoir, Alianka l'incarne mieux que nous saurions le faire. Elle a une aura fédératrice et le charme que nous n'aurions pas sur la population asarienne. Cependant, pour asseoir cette puissance, elle a besoin d'hommes tels que nous, à même de lui montrer les dangers et les failles de la situation, de s'opposer à elle lorsqu'elle fait fausse route. Des hommes clairvoyants et indépendants. Pas de petits chiens dévoués prêts à lui lécher la plante des pieds pour avoir ses faveurs. Nous sommes de ces hommes, Elijah. Nous le devons peut-être à ce que certains appelleraient notre arrogance,. Moi je préfère y voir une fierté et une soif de liberté. Plutôt mourir que de devoir assujettir ma vision d'Asaria à une volonté que je ne cautionne pas.

Tomas ferma son ordinateur et se leva pour se rapprocher d'Elijah.

- Venez, je dois vous montrer quelque chose.

Il entraina l'homme d'affaires dans le couloir et, s'étant assuré que le Ministre le suivait, l'invita à pénétrer dans l'ascenseur. Il appuya sur le dernier niveau et les deux hommes franchirent le seuil peu foulé de la terrasse. Tomas se dirigea vers le bord du toit.

- Voilà ce qui repose sur nos épaules. Le seul sanctuaire connu à nos jours, de la vie, de la civilisation asarienne. Nous ne pouvons nous limiter à protéger ce fragile berceau. Il faut explorer le reste du monde pour savoir s'il nous est hostile ou hospitalier.

Le Général s'accroupit et cueillit une petite fleur qui poussait entre la dalle de béton et le bord du toit.

- Nous aurions tort de croire que la vie nous a attendu pour créer d'autres alternatives. Nous devons savoir si elles sont hostiles ou amicales.

Il se releva et scruta l'horizon artificiel d'Asaria. Un sourire triste se dessina sur ses lèvres.

- N'avez-vous jamais rêvé d'un ciel sans limite, de la caresse du soleil sur votre visage ? C'est un songe qui me visite souvent durant mon sommeil. Mais la fin est toujours dramatique. Vous avez raison Elijah ... Celui qui nous affronte est tout ce que vous dites. Mais ce qui nous est vital pour l'exterminer, c'est ce qui le motive. Enlevez à un être, quel qu'il soit, sa motivation, et vous êtes assuré de le vaincre. Qu'est ce qui peut bien motiver notre mystificateur ?

Le Ministre réfléchit à la question de son homologue au sujet d'Epsilon. Cette organisation avait fait des ravages dans les rangs asariens et marqué les esprits. Se pouvait-elle qu'elle soit en train de se réactiver ? Il ne fallait rien exclure pour ne pas risquer de passer à côté de quelque chose.

- Je ne tolèrerais pas qu'elle soit en danger ... Elle EST Asaria.  Elle, et nulle autre. Si Epsilon est derrière tout ça, je réduirai ces merdes à néant.

Le Ministre de la Sécurité recula et se tourna vers Huyana, serrant son poing rageur.

- Pour répondre à votre question, cette femme masquée au conseil d'état major, c'était bien la Main du Diable. Soyez tranquille je pense arriver à convaincre la Grande Conseillère de l'assigner à l'enquête sur la disparition d'Amaterasu et  sur une enquête de proximité autour du Multiplex. Ne la voyez pas comme une ennemie mais plutôt comme l'un des acteurs de notre retour en grâce.

Tomas prit Huyana par l'épaule puis les dirigea vers l'ascenseur pour regagner son bureau.

- C'est la dernière fois avant longtemps que je reçois quelqu'un dans ces bureaux. Je vais me retirer de la politique le temps de laisser toutes ces réflexions reposer. Mais je ne vais pas pour autant cesser de travailler à la protection d'Asaria. Je le ferai de mon QG de la Milice, ou de chez moi.

Alors qu'ils regagnaient les locaux de la Sécurité, Tomas ajouta :

- Je suis d'accord avec vous. Alianka n'aurait jamais dû se rendre à ce concert. Ce n'est d'ailleurs pas son genre. Je découvrirais ce qui l'a poussé à déroger ainsi à ses habitudes. Amaterasu y était sur mon ordre pour la protéger. Le Commandant Carlyle était présente dans le cadre de ses fonctions également, pour coordonner le travail de l'Escadron au cas où, et la Main du Diable y était, selon mes renseignements, de son propre chef. Je crois qu'il serait bon d'entendre ces deux femmes sur leur perception de cette soirée, qu'en dites-vous ? L'Agent Amaterasu, qui était un cyber soldat absolument unique, ne pourra me faire son rapport puis qu’ayant disparu. Il est fort regrettable de songer qu'elle a pu tomber aux mains de cet ennemi qui semble abattre nos défenses une par une. Il convient donc d'entendre les deux autres officiers au plus vite.

Tomas poussa la porte de son bureau et retourna s'asseoir dans son fauteuil. Il actionna l'intercomm.

- Aniston, veuillez noter. Nous déménagerons les dossiers sensibles au QG. L'intrus a pu se faufiler dans la Tour mais il n'a pas pris le château. Vous avez des nouvelles pour moi ?

- Mon Général, le Commandant Carlyle est annoncé dans le hall du rez-de chaussée. Pour le reste ... Je crains que vous ayez du mal à croire ce que j'ai à vous annoncer... Le logiciel de Monsieur Wright a finalement trouvé un match. Je vous envoie le rapport de scan.

Tomas ne prit pas la peine de s'asseoir et leva la main pour faire comprendre à Huyana qu'il était également inutile de se poser. Il ouvrit le message sécurisé de sa secrétaire et le lut.

- Putain de bordel de Dieu !

Il tourna l'écran en direction d'Elijah et échangea un regard sidéré avec lui.

- Rejoignons le Commandant Carlyle dans le Hall. Aniston, dites-lui de nous attendre en bas!  Vous transférerez tous les dossiers dans mon bureau du QG.  Je crois qu'on se fout de notre gueule dans cette Tour et je n'y remettrais les pieds que lorsque j'aurais démasqué celui qui se fout de nous.

HRP: