"
Cont' le mur ! Cont' le mur j'ai dit ! "
Les municipaux n'étaient pas tendres, et le cordon de sécurité qui menait des contrôles était particulièrement virulent. Sortie de l'armure, évidemment, Marian ne payait pas de mine, et si elle conservait un bonne partie de son attirail en dehors du service, elle ressemblait tout de même plus à une rebelle qu'à une milicienne. C'était son côté barbouze qui ressortait. Un côté que les Asariens ne connaissaient pas, que même les plus vieux avaient oubliés. Ce temps béni où les guerriers parcouraient la Terre avec une allure de cowboy qui en disait long.
Heureusement, ce n'était pas Marian qui était visée. C'était un Asarien tatoué et piercé. Un fils de famille relativement lambda, étudiant un peu branleur sur les bords. Il était en vadrouille ce soir-là, et sortait du Five avec l'esclave familiale : une humaine fort accorte. Pour une humaine, quoi. Donc avec l'allure que se paye Marian au réveil, quand elle a veillé trois journée de suite et qu'elle ne s'est pas coiffée. Et encore.
Bref, très bien pour une humaine, mais qui ne pouvait pas lutter dans un Monde à deux vitesses.
Il s'appelait Dany, ou alors Daniel. L'esclave s'appelait Rachel. Ils était mignons tout les deux, et puis Dany était le seul à la traiter correctement ... Et puis à faire des trucs avec elle en cachette de ses parents. C'était les voisins du dessous, d'ailleurs.
"
Pas cool mec ! Pas cool ! " faisait le piercé, "
J'ai rien sur moi ! J'jure ! "
Le milicien était intransigeant, et il y en avait un deuxième pour le tenir en joue avec un fusil.
"
Silence, citoyen ! "
Plus loin, la petite esclave n'avait pas la même chance. Elle, on lui foutait quelques coups de matraque, pour faire bonne mesure.
Ça, la justice ingrate, pour énerver Marian, il n'y avait rien de tel. Elle qui passait par là, les mains dans les poches en sortant de sa
Nissan GTR toute droite sortie d'un futur antérieur, ne put s'empêcher d'aller voir. Elle portait un blouson de moto blanc et rouge avec un écusson impérial japonais sur l'épaule et un jean d'une simplicité navrante, avec un holster et une arme, forcément.
"
Je peux savoir ce qu'ils ont fait ? " demanda-t-elle par-dessus l'épaule de l'un de ceux gardant la scène, directement à celui qui fouillait Dany.
"
Circulez. " lui fit celui par-dessus l'épaule de qui Marian avait parlé, et en la regardant droit dans les yeux.
Elle l'écarta sans ménagement et passa dans le cordon.
"
Hé ! Robocop ! J'te parle ! "
Il se retourna enfin, et le second pointa son arme sur elle.
"
Qu'est-ce que ... " s'étonna-t-il en esquissant un geste vers son pistolet, "
Qui a laissé entrer un civil armé ? Neutrali.. "
Il ne finit pas sa phrase qu'un poing fulgurant alla trouver son nez et le projeta face contre terre avec une violence sonore. Marian avait déjà sa carte en main.
Les miliciens baissèrent les armes immédiatement. Le chef mit plusieurs secondes à se relever, en se tenant le nez brisé et la mâchoire aux deux dents manquantes. Il comprit directement et péta un garde-à-vous impeccable.
"
Efcuvez-nous, m'dame ! "
"
Oui, je préfère. " rétorqua la Longue-Vie, "
Ces deux-là sont avec moi. Si il y a des traces définitives sur l'esclave, j'enverrais une note au commandant de votre brigade pour retenir le prix d'un neuf de haute qualité sur votre solde. Par tête. Fuck off now. "
Elle les invita d'un claquement de doigt à déguerpir, et ils ne se firent pas prier, laissant à l'esclave son sac à main et les objets trouvés à l'intérieur. Les deux contrôlés n'en menaient pas plus large que les miliciens qui venaient de quitter la scène. On aurait dit deux gamins qui venaient d'être piqués en flagrant délit par leur mère. Ce n'en était pas si éloigné, vu l'air dur et intransigeant de Marian, qui paraissait pourtant plus jeune qu'eux.
"
Rentres chez toi, Dany, et refile-lui de ton sang. "
"
M-m-merci, m-m-madame ... " esquissa l'esclave.
Par pure notion d'étiquette, Marian ne lui accorda pas de regard. Elle avait marre de cela, car elle n'était certainement pas une héroïne pour humaines. Sa vocation n'était pas de sauver ceux qui étaient derrière sur l'échelle de l'évolution. Sa vocation était de faire régner la Justice et non pas la Violence ou la Corruption. Vu les mentalités, le monde était très mal parti à ce sujet. Une véritable parodie cauchemardesque du vingtième-et-unième siècle.
Elle sortit deux gélules d'un flacon dans sa poche et les ingéra nonchalamment en rentrant dans le Five, sous les yeux sidérés des badauds qui l'avaient vu boxer un sergent de la Milice avant que ce dernier ne la salue. Elle semblait parfaitement imperméable à l'incident, et se contenta de se masser les tempes quelques secondes avant d'aller se trouver une place au comptoir.
Oui, elle, la gamine fluette, au comptoir avec les piliers qui faisaient au moins une fois et demie son gabarit, et en poussant au passage les clients sur le chemin avec un mépris total pour la courtoisie. La faute à un léger mal de crâne.
On était la fin de semaine, et il fallait décompresser.
"
White Russian " fit-elle au barman après l'avoir appelé en tapotant du bout des doigts sur le comptoir, "
Et pas avec du lait en poudre, de préférence. "
Dans la foulée, elle sortit une cigarette et la porta à ses lèvres, le bout s'allumant de lui-même. Magie. Il fallait bien se servir de ses pouvoirs.
"
Heu, mademoiselle, " l'interrompit fébrilement un pilier de bar à côté d'elle, "
C'est non-fumeur, normalement, ici ... "
La petite voix et la timidité du gaillard ne manqua pas de la surprendre. Cela lui donnait un terrible ascendant, aussi.
"
Merci. " lui offrit-elle en le jaugeant avec un suprême dédain, "
Je leur rappellerais, si j'en croise. "
On vint lui apporter son verre. Elle plongea dans sa boisson du début du week-end.
Elle détestait ces jeunes qui lui manquait de respect, au lieu de la considérer et de réaliser la chance qu'ils avaient de l'avoir, elle, dans leur fourbi. Même l'ambiance n'était qu'un espèce d'ersatz de son époque.
Et dire qu'au début, elle s'était prise d'un fantasme romantique de raconter ses histoire comme ce vétéran militaire tout ce qu'il pouvait y avoir de plus cliché, dans les films ...