(Terminé) Retrouvailles attendues [Aaron]

La Bibliothèque, ce lieu sanctuaire qui m'avait toujours fait rêver depuis ma plus tendre enfance. Ce bâtiment qui recelait la mémoire collective des Asariens de toute nature. Pour moi le terme "asarien", au plus profond de mon cœur, désignait les habitants de cette colonie fondée maintenant depuis plusieurs siècles par un groupe d'Hommes, les uns ayant muté à la suite d'une injection, les autre étant restés ce que la nature les avait fait. Si l'intelligence telle que je la concevais avait pris le dessus à l'issu du périple qui les avaient conduits à leur terre d'accueil, tous ces gens auraient dû oublier les erreurs du passé et vivre en harmonie dans ce nouveau lieu aménagé de façon à permettre la survie de tous, mutants comme humains. Ils auraient dû être conscients de la seconde chance que leur offrait la nature et la mère nourricière la Terre. Il n'en avait pas été ainsi, hélas.

Enfant, lorsqu'on me narrait l'Histoire de la fondation d'Asaria, je ne comprenais pas pourquoi. Puis en accédant au savoir collecté dans cette bibliothèque j'avais, au fil de mes lectures, compris que la nature humaine, même sublimée par les pouvoirs asariens, avait encore un long chemin à parcourir pour arriver à ce qui me paraissait la seule option qui permettrait à l'Humanité de survivre à terme. Cesser de penser comme un individu ou une ethnie pour penser comme une part d'un tout. Alors que mes études m'orienteraient plus tard vers la voie scientifique, je dévorais déjà à 10 ans les grands Penseurs  d'avant l'air de Feu. Il y avait eu cette date fatidique qui avait fait basculer le destin de l'Homme mais bien avant, s'étendait un vaste champ d'Histoire que j'explorai alors en lisant avec avidité les récits historiques et les études économiques que les migrants avaient pu sauver durant l'exode. Souvent je sortais d'une de ces lectures comme en transe, les épaules soulevées de soupirs longs, quand je mesurais l'ampleur de la tâche si nous voulions écrire une Histoire aussi longue après la pluie de feu que celle qui l'avait précédée. Tous les espoirs, alors, étaient encore permis dans mon esprit naïf. L'Homme et son dérivé asarien avaient forcément retenu quelque chose de ce riche passé et forts de cette expérience, ils mettraient bien moins de temps que leurs ancêtres à abolir l'esclavage, à proclamer la ségrégation comme une pratique contraire aux droits de l'Homme. A cette époque j'étais encore convaincu que mes congénères ne pouvaient pas retenir uniquement le mauvais de l'Histoire mais aussi les avancées, les inspirations qui avaient porté leurs ancêtres vers de grandes choses pour la communauté.

A cette époque, j'étais encore un enfant innocent et naïf, croyant que chacun ne peut que vouloir le meilleur pour tous. Cette conviction se heurta dans mon adolescence puis mes années de jeune étudiant, à des constats cruels. Au début, je ne désarmai pas mais mon intelligence modéra tout de même mes propos. Celle de mes parents leur soufflait de faire profil bas et de ne pas s'élever contre ce qu'ils n'approuvaient pourtant pas. La mienne me murmura des choses bien moins consensuelles. Si je voulais vivre et changer les choses, il me fallait le faire sournoisement. Non pas comme eux, en essayant d'adoucir le sort peu enviable des Humains  avec un peu d'humanité à leur égard. Non ! Cela ne suffisait pas à mes yeux, même si c'était déjà louable. Je voulais changer les choses de l'intérieur, en utilisant les propres armes des Asariens et du gouvernement. Cela n'était possible qu'en devenant l'un des meilleurs et des plus performants d'entre eux, dans mon domaine. Ce que je fis. En quelques années, j'achevai les études et devins l'un des généticiens les plus innovants d'Asaria. Ce n'était guère significatif au sein du gotha asarien, mais j'étais le plus jeune. La seule qui me dépassait dans ce domaine était sans doute Amaria mais elle avait mis des années à accumuler le savoir et l'intuition que j'avais acquis en 27 ans. D'autres scientifiques à la solde de Stark Industries ou de Wright corporations avaient un bon niveau mais leur motivation bien plus mercantile semblait freiner leur créativité. Certains avaient étés mes coreligionnaires à l'université mais nous avions suivi des chemins très différents, bien qu'en apparence, je sois à la solde du Gouvernement. Toutefois, je n'avais pas la naïveté de les sous estimer. Si mes employeurs décidaient de se débarrasser de moi, mes anciens camarades d'université seraient assez compétents pour reprendre mes travaux et les appliquer à l'usage que leur boss voudrait en faire.

Il me fallait peaufiner le protocole de désactivation des bionanites, une sécurité qui permettait d’annihiler leur programmation si elle était en contradiction avec l'intérêt du sujet porteur. J'avais presque mis au point le protocole concernant les Humains mais il échouait toujours dans la dernière étape. J'ignorais pourquoi. Je n'avais pas eu le temps de me pencher sur le cas des asariens "infectés", comme les appelait Amaria, moi je préférais "exposés" , dont j'étais, fort heureusement, le seul exemplaire connu. J'étais troublé, plus que je n'aurai osé le dire même à l'être dont je m'étais le plus rapproché ces derniers temps. Jessica. Même à elle et, surtout pas à elle, je ne pouvais parler de ces travaux chargé d'un double enjeu. C'était comme si le Destin m'avait placé devant un défi: "tu veux sauver ta vie de tes propres expériences, eh bien sauve-les avant tout"  mais moi, dans mon entêtement, ou par une déformation professionnelle et une "fantaisie scientifique", je lisais les choses à l'envers: "sauve-les et tu te sauveras toi-même". Je riais moi-même de mes accès de candeur. Il y avait en moi un côté cynique qui condamnait durement l'idéaliste. Cet altruisme sans doute hérité de l'éducation que j'avais reçue, combiné à ma propension à rêver, était malmené par la part de moi-même qui avait côtoyé les vices des Dômes et particulièrement des entités gravitant autour du Gouvernement. Les Asariens étaient corrompus mais pas seulement, les Humains aussi. Pourquoi auraient-ils changé ? Il y avait des traitres à foison parmi eux et je gardais toujours à l'esprit que je pourrais très bien "tomber" démasqué par l'un d'entre eux que je voulais aider. Un risque à prendre.

Mais ce trouble qui m'agitait et que je ne pouvais confier à personne - j'allais mourir dans moins d'un an et j'étais le seul à pouvoir me sauver - m'avait fait errer au hasard dans les artères du centre ville. Mes pas m'avaient pourtant guidé instinctivement vers le seul lieu que je connaissais comme un refuge dans ce quartier : la Grande Bibliothèque.

L'odeur d'encaustique mêlée à celle des livres avait sur moi un effet apaisant. J'ignorais les trésors de passion et d'ingéniosité déployés par les gens qui y travaillaient pour donner cet aspect et cette ambiance authentique et digne des anciennes bibliothèques d'avant le déluge incandescent. Souvent j'avais imaginé ces milliers de livres brulant sous le feu apocalyptique qui tuait ainsi une seconde fois les milliards de victimes tombées en poussière en détruisant leur mémoire collective. C'était le lot des intellectuels: envisager un Armageddon deux fois; physiquement et psychiquement. J'imaginais la souffrance qu'avaient dû ressentir "les Hommes de bonne volonté" quand ils avaient pris conscience que l'Humanité était en train de s'éradiquer elle-même de la surface de la Terre et d'anéantir également toute trace de son passage. Cette culture, ces trésors, ces mémoires ... Tout cela réduit en cendres. J'osais espérer qu'ils avaient rendu leur dernier souffle en gardant Foi en la capacité de l'Homme à survivre, s'adapter et apprendre encore et encore...

Alors que je déambulais dans les allées où s'alignaient des rayonnages remplis de ce qui avait pu être sauvé, je songeais à tous ces hommes, toutes ces femmes, asariens ou pas, qui avaient risqué leur vie pour sauver qui un livre, qui un microfilm, qui une clé USB. Sauver un témoignage de la vie passée. Puis à ceux qui les avaient soigneusement collectés pour que nous, jeunes de la nouvelle génération, décennie après décennie puissions les consulter et forger notre conviction et notre vie en connaissant nos racines. Je songeai à un homme, un Asarien, comme moi, mais Ancien, un ami, un mentor . Mes pas m'avaient conduit dans son sanctuaire à lui aussi, dans cette cathédrale des livres qui nous rapprochait. Le trait d'union entre nous, ça avait d'abord été ça : les livres et le savoir qu'ils procurent. Je ne sais pas depuis combien de temps il avait repéré le gamin blond qui venait s'enfermer à la bibliothèque au lieu d'aller jouer au stade avec les copains. Qui avait vu l'autre le premier ? Sans doute lui... De Leroy, de son passé je ne savais pas grand chose, si ce n'est son amour des livres, son érudition déjà affirmée avant le grand déluge et... son âge que je supposais canonique par rapport au mien. Il était un Ancien, ministre à présent et ne détenant pas le moindre des portefeuilles à mes yeux : l'éducation ! Tout un programme. Mais de son présent, je savais des choses qui pouvaient le conduire à la mort et je mesurais la confiance qu'il avait mis en moi le jour où il s'était dévoilé.

Au détour d'une allée, je vis où mes pas m'avaient guidé et je ne m'en étonnai même pas. Depuis quelques temps mes pouvoirs sub sensoriels se développaient à une vitesse vertigineuse. Je ne savais si je le devais au travail d'optimisation des bionanites ou à la sollicitation que j'imposais à mon troisième don: la télépathie. Le fait était là : j'avais pensé très fort à Leroy et voilà qu'il apparaissait assis dans son bureau, penché sur un livre qui paraissait très ancien. Comme si j'avais "senti" que je le trouverais là ce jour là, à ce moment précis. Je souris et ôtai les mains de mes poches pour ouvrir mes bras.

- Leroy ! Ça fait une éternité, du moins pour moi, que nous ne nous sommes pas vu ! Comment vas-tu ?

Mais nos mots se croisèrent durant les retrouvailles et je ne pus m'empêcher de rougir en entendant l'allusion dont il accompagnait son salut. Leroy n'avait jamais approuvé que je fréquente des lieux mondains et des femmes ... frivoles. Bien que ce ne fût jamais le cas pour moi, il était vrai que certains s'y perdaient dans l'alcool, le jeu et les femmes. Peut-être se donnait-il un rôle de père spirituel qui ne voulait pas voir son protégé souffrir. Peut-être me sentait-il plus vulnérable que les autres aux feux artificiels qui éclairaient les nuits asariennes. Mais j'avais changé. Je n'étais plus le jeune idéaliste dont il avait soutenu l'entrée chez les Pacificateurs, aidé par Amaria. Mon mentor avait quitté un jeune étudiant fraichement diplômé, exalté et plein d'espoir et il retrouvait devant lui un homme, blessé, ayant perdu pas mal d'illusions, mais aussi appris de ses diverses rencontres, un homme déterminé à lutter, un homme qui avait plus d'une raison de se battre et de vouloir vivre... Mais un homme qui n'avait qu'un an à vivre. Et d'ailleurs, cet homme était un Asarien, ce qui rendait la situation encore plus ironique. Je haussai les épaules et lui dédiai un de ces regards faussement navré accompagné d'un sourire angélique qui faisait fondre les femmes.

- Je ne suis qu'un faible pêcheur... Si tu savais à quel point ...

Travaillant tard dans mon bureau comme à mon habitude, j'eu l'agréable surprise de sentir l'approche d'un ami cher et que je connaissait depuis un long moment...Je posais donc mon livre délicatement parce qu'il était ancien sur la surface lisse de mon bureau et reculais mon fauteuil.... Me levant alors, j'aillais jusqu'au seuil de ma porte, l'ouvrant en grand et l'attendant alors, plutôt que de rester assis l'obligeant alors de venir jusqu'à moi... Nos paroles de salutations en ces retrouvailles se croisèrent et je vis Aaron rougir à l'évocation de son amie, Jessica et du Diamonds...

- Leroy ! Ça fait une éternité, du moins pour moi, que nous ne nous sommes pas vu ! Comment vas-tu ?

Souriant, je le serrais dans mes bras, heureux de le revoir après un moment pendant lequel nous nous étions un peu perdus de vue, nos travaux respectifs nous empêchant de nous joindre... Il semblait fatigué, soucieux... Etait-ce l'une des raisons de sa venue?? Peut-être, en tout cas, je l'invitais à venir dans mon bureau, lui reculant le fauteuil destiné aux visiteurs...

Haussant les épaules et me lançant un regard que je connaissais bien, Aaron me répondit:

- Je ne suis qu'un faible pêcheur... Si tu savais à quel point ...

Refermant la porte, j'allais m'installais dans mon fauteuil, plaçant le livre que je consultais sur une pile à mes côtés, une autre pile contenant des notes diverses trônait sur le côté opposé, rangée de manière à ce que je me retrouve facilement dans ce que je cherchais...

-Cela fait effectivement un long moment que nous nous sommes vu, mon ami... Je vais bien, toujours à la recherches d'informations diverses comme tu peux le voir... Et toi?? Quelles nouvelles?? Que deviens-tu??

Mon travail pourrait attendre un peu, c'était devenu une sorte de rituel de rester tard presque tous les soirs pour compulser ces mines de renseignements que sont les livres ... La pile de livres sur le côté de mon bureau traitait de plusieurs sujets que je consultais en parallèle, que ce soit dans livres d'avant ou après le SEER... J'avais réussi à sauvegarder un grand nombre de ces richesses d'informations avant et pendant la Pluie de Feu, me consacrant à leur sauvegarde... Je les avais ensuite rangé dans la Bibliothèque Centrale, dont j'étais le propriétaire... Je pouvais y passer des heures sans voir passer le temps, bien que pouvant le contrôler... J'avais vu nombre de jeunes y passer pour s'instruire ou par simple curiosité envers ce que ces livres pourraient leur apprendre... Mais en cette heure, je comptais bien consacrer de mon temps à ces retrouvailles, et à échanger des nouvelle avec mon invité imprévu mais toujours accueilli avec joie...

Je souris et me détendis à l'accueil que me réserva Leroy. Cet Ancien était à bien des titres une source d'inspiration pour moi, un Mentor. Sa force de travail, sa détermination secrète, son admiration et sa nostalgie pour les temps anciens d'avant la Pluie de Feu. Tout cela avait donné lieu à des discussions tard dans les nuits où nous nous croisions et forgé mon propre engagement. Je répondis à son étreinte avec affection tout en me préparant à ce que je savais inévitable. Leroy avait une aura si puissante que chaque contact avec lui provoquait le déclenchement de mon Armadan. Il n'y avait rien que je puisse faire pour m'en prémunir. Et cela arriva... Je le vis lors d'un repas, visiblement heureux et entouré de deux personnes plus âgées, d'autres de sa propre génération, dont une jeune femme gracieuse qui se penchait à son oreille pour lui parler en rougissant. La façon dont elle posait sa main sur celle de mon ami, alors plus jeune, ne me laissait aucun doute. Ils étaient très proches... Je l'entendis rire et murmurer "Rosalia". Puis les images s'estompèrent et je vis soudain le visage de Leroy se mirant dans un miroir brisé, le visage baigné de larmes. Je pouvais ressentir son chagrin, immense, submergeant toute autre sensation. Je fermais les yeux alors qu'il relâchait son étreinte et m'astreins à retrouver une contenance... Il les avaient tous perdus, je l'avais senti, je le savais... Et ce que j'avais vu, en le touchant, de son passé, se prolongeait alors que je plongeais mon regard dans le sien. Je perçus, de manière fugace, la douleur toujours présente, lancinante et tenace et la solitude qu'elle lui avait imposée. Puis un rideau glacé et froid s'abattit sur ma perception et tout se tut et s'éteignit.

Je vacillai légèrement et pris appui sur une table de travail recouverte de livres.

Cela m'arrivait de plus en plus souvent d'entrer malgré moi dans la tête des gens et le fait que ce don se manifeste et prenne de l'ampleur me terrifiait, inexplicablement encore plus que l'animorphisme ou l'Armadan avait pu le faire en leur temps de révélation. Aucun des dons que je développais n'était offensif, même si on pouvait considérer le loup comme une arme en soi, je ne l'utilisais que rarement pour agresser quelqu'un. La télépathie en revanche, utilisée dans des limites extrêmes, pouvait faire de ses cibles des pantins et j'éprouvais une sorte de répulsion à cette idée. De plus, mal contrôlée, elle pouvait dépasser celui qui la détenait. Comment savoir ensuite si les proches se comportaient naturellement ou répondaient à une manipulation mentale ? L'idée de dominer et contrôler à loisir des personnes de son choix aurait pu séduire des sociopathes ou des mégalomanes du genre de ceux que nous avions au pouvoir, mais certainement pas moi. Je n'accordais de valeur aux actes des personnes que lorsqu'ils étaient dictés par leur seule volonté et leur libre arbitre.

J'avais bien senti la fin de non recevoir que m'avait opposé Leroy lorsque j'avais pénétré ses pensées bien malgré moi, et dans un sens, je l'en remerciais... Savait-il par ailleurs ce que j'avais vu grâce à mon Armadan ? Je souhaitais que non afin que lui fût épargné la douleur de revivre encore ces instants tragiques, mais je ne pouvais savoir à quel point il pouvait entrer dans ma tête ou pas ... Pas encore ... Pas plus que je ne savais m'en prémunir, pour l'heure.

Il s'était rassi à son bureau et m'observa en silence, un moment qui me parut une éternité, ce qui était fort possible puisqu'il savait jouer du temps comme du string d'une jolie femme,  avant de me demander comment j'allais. Je  pus deviner à défaut de la percevoir par télépathie, la question qu'il s'apprêtait à poser. "Quand as-tu mangé pour la dernière fois ? " J'anticipai, malgré moi, embarrassé.

- Désolé, je n'ai rien avalé depuis hier, un léger vertige, ça va passer ... Sinon je vais bien ...  Et pour ne rien te cacher, à quoi bon, hein ... J'espérais te trouver ici. J'ai grandement besoin d'aide et de conseils... J'espère que tu n'as rien de prévu cette nuit ... Ça risque d'être long... très long ... Est-ce qu'on ne devrait pas trouver un endroit tranquille ? Je veux dire ...

Je pensais mentalement la suite de ma phrase afin d'éviter toute indiscrétion liée à des micros. "Est-ce qu'il n'y a pas un risque que cette pièce soit sur écoute ? "

Travaillant tard dans mon bureau de la Bibliothèque, j’eus l’heureuse surprise de recevoir la visite d’Aaron, ami de longue date que je n’avais vu depuis un long moment… Alors que je l’étreignais, lui souhaitant la bienvenue, je sentis que son pouvoir se déclencher, percevant ainsi une scène de ce que j’avais vécu, en l’occurrence une soirée auprès de mes proches, ma Rosalia étant encore en vie…  Desserrant les bras, il s’éloigna de quelques pas, essayant de contrôler ce qu’il avait vu pendant que je mettais en place un bouclier mental grâce à ma télépathie… Mais la douleur que je ressentais devais se voir dans mon regard, elle ne me quittait jamais vraiment… Lors de la Pluie de Feu, j’avais perdu tous les êtres qui m’étaient chers… Cette blessure restait à vif dans mon cœur, leurs souvenirs intacts dans ma mémoire…

Aaron vacilla légèrement, en se reculant, se tenant au bord d’une des tables de travail pour se stabiliser… Pour ma part, je m’étais rassis à mon bureau, lui laissant ainsi de l’espace et le temps de se remettre de ses émotions… Alors que j’allais lui poser une question en rapport avec son malaise apparent, il me devança, me disant qu’il n’avait pas mangé depuis un moment… Et qu’il avait besoin de mes conseils espérant justement me trouver dans les locaux…. Puis il me demanda si il y avait un endroit tranquille où parler dans les locaux, la nuit risquant d’être longue, et comme je l’entendis grâce à ma télépathie, les paroles dites devront rester éloignées de toutes sources d’écoutes… Fronçant les sourcils en un geste familier, je hochais la tête… Puis rapidement fit une pile des dossiers compulsés qui attendront mon retour et me levant, je fis signe à Aaron de me suivre, direction la bibliothèque…. Les lumières étaient éteintes, et personne ne venait plus à cette heure tardive, à part les gardiens effectuant leurs rondes.. Me dirigeant vers l’une des étagère, adossées aux murs porteurs, je fis basculer l’un des livres, activant ainsi un mécanisme discret, qui fit coulisser une partie de l’étagère, révélant une porte… Portant ma main sur la plaque tactile, je l’ouvriS et enjoignais ensuite mon ami à entrer sans crainte, pour refermer à sa suite les mécanismes… Aucun individu extérieur ne soupçonnerait une telle chose… Le sourire aux lèvres, j’allumais la lumière, dévoilant ma salle secrète, dans laquelle je protégeais toute sorte de documents pouvant attirer un peu trop l’attention du Gouvernement…

« -Ici, nous pouvons parler sans crainte, je suis l’unique dépositaire de cette salle… Il y a un frigo contenant de la nourriture, si le besoin se fait ressentir, tu n’auras qu’à te servir sans soucis… Ici sont entreposés des documents pouvant traiter de sujets assez brûlant, que le Gouvernement pourrait avoir envie de faire disparaître, ou de s’en servir à leur convenance…  Une longue nuit, dis-tu… Alors allons nous asseoir confortablement pour passer les heures… »

Cette pièce était remplie d’étagères, un coin faisant office de salon avait été aménagé, avec canapé, fauteuils et frigo contenant de quoi manger au besoin… Je ne comptais plus les heures passées en ces lieux de richesses…. Je laissais à Aaron le temps de découvrir tout ça, d’explorer s’il le souhaitait… Peut-être était-il temps de révéler l’existence de cette pièce à nos amis, et de faire en sorte de changer les paramètres d’activation au besoin….

« -Malgré les longues heures passées à discuter ensemble, je ne me rappelle plus si je t’avais déjà parler de cette salle… Avec les tensions apparaissant chez les Anciens et un peu partout en Asaria, peut-être est-il temps que j’en parle aux Pacificateurs, et que je leur en ouvre l’accès sans qu’ils soient forcément obligés de passer par moi…. Mais ce sera des réflexions pour plus tard, mieux vaut concentrer les heures de cette nuit à tes questions, je tenterais de t’éclairer au mieux, tu le sais bien… »

Leroy m'avait parlé vaguement par le passé, d'un sanctuaire au sein même de ce que je considérais déjà comme tel: la Grande Bibliothèque. J'avais compris dans sa confidence faite à mi mots, qu'il s'agissait d'un lieu où il mettait en sûreté tous les livres les plus précieux ou les plus sujets à la désapprobation du Pouvoir. Mais je n'aurais jamais pu imaginer y trouver de tels trésors. Il ne me fallut que quelques secondes, une fois entré dans la pièce secrète, pour reconnaitre, sur les étagères où s'alignaient des centaines de vieux volumes, des ouvrages illustres, des originaux, notamment des ouvrages du siècle des Lumières. Voltaire, Kant, Diderot. Tant de penseurs qui avaient ouvert une voie que l'Humanité avait tenté de suivre puis oubliée au fil de son Histoire chaotique. Une édition magnifiquement reliée du traité de Montesquieu "De l'Esprit des Lois" trônait sur un présentoir. Je me précipitai.

- Formidable, magnifique ! Et tu as aussi une magnifique édition de l'Encyclopédie. Puis m'avançant vers deux cadres qui étaient accrochés au mur. Ce sont les déclarations ... des Droits de l'Homme et du Citoyen ? Et d'Indépendance des États-Unis d'Amérique ?

- Des copies très fidèles ... Les originaux sont rangés dans un lieu encore plus sûr... pour des raisons évidentes. Ce sont des écrits qui ne doivent jamais être perdus ... ou détruits. Des personnes les ont sauvés et préservés au péril de leur vie.

J'étais en admiration devant ces témoignages de pages d'Histoire qui avaient forgées notre civilisation. Asaria aurait pu se construire sur ces modèles mais la soif de pouvoir avait été la plus forte. Je hochai la tête, l'air pensif.

- Oui je comprends... Je me demande si ces hommes qui en sont à l'origine, ont pu avoir à l'esprit que des siècles plus tard, tout ou presque serait à refaire... Ce combat pour la liberté, l'égalité, la fraternité ... Tant de morts, de sacrifiés  ... Cela ne s'arrêtera donc jamais ? Il faut que cela prenne fin...

Je revins m'asseoir devant le bureau de Leroy et le fixai droit dans les yeux.

- Leroy, je t'ai un peu menti... Je n'ai certes pas mangé depuis plusieurs jours, mais tu sais bien que notre métabolisme est capable de supporter la privation de nourriture bien au delà de celui des Humains. Mon malaise a une toute autre origine; peut-être même plusieurs...


Je m'interrompis, essayant de trouver les mots justes pour annoncer des choses qui ne l'étaient pas.

- Mais je prendrais bien un café avec quelques biscuits, si tu m'accompagnes ...

Tandis qu'il s'était levé et préparait un café avec la simplicité qui le caractérisait malgré le fait qu'il fût cet Ancien au nom prestigieux, il me tournait le dos ce qui me donna le courage pour sortir d'une traite cet aveu difficile que je devais faire.

- Leroy, j'ai besoin de toi... J'ai apporté des documents extrêmement précieux que je voudrais que tu conserves ici. Je sais que les divulguer te condamnerait à détruire ta couverture, aussi s'il devait m'arriver quelque chose avant que je parvienne à la fin de la mission que je me suis fixé, je te demanderai de les faire parvenir à Mara. Elle saura comment les rendre publics sans compromettre les agents infiltrés du mouvement.

Leroy était en train de compter les cuillères dose de la poudre altarica qui était cultivé sous les Dômes dans des serres très coûteuses. Une poudre aussi précieuse que l'or fin en son temps. Son café était toujours un délicieux nectar qu'il réservait aux conversations de qualité entre amis. A son bureau de la Bibliothèque, ce café coulait rarement, mais sans doute plus encore ici. J'eus conscience, soudain, de partager un moment privilégié et peut-être historique avec mon vieil ami.

- Il me reste moins d'un an, Leroy ... Et pour une des affaires qui m'amènent, beaucoup moins. Pourtant je dois choisir entre deux fléaux. Soit je tente de sauver des vies qui sont menacées à très court terme mais je ne pourrais pas achever mes travaux afin de sauver plus encore de vies d'un autre péril qui les menace à moyen terme. Soit je ferme les yeux sur ce que je sais concernant la décharge et les bidonvilles et je consacre les onze mois qu'il me reste à achever mon travail sur le verrou de sécurité des bionannites afin que le Gouvernement ne puisse pas utiliser mes recherches pour exterminer l'Humanité. J'ai presque trouvé le moyen de faire que ma découverte soit exclusivement dédiée au mieux être des hommes, mais pour me laisser du temps afin de finir mes travaux, je devrais ne rien dire et risquer de sacrifier toute la population du Dôme humain... Que dois-je faire , Leroy ?  Je suis perdu, je ne sais quoi faire ... J'ai besoin de ton aide ... De tes lumières et aussi que tu caches ces documents pour moi... Ajoutai-je en lui tendant une serviette en cuir noir. Ils contiennent tous mes rapports concernant le Dôme Populaire mais également mes recherches personnelles en parallèle du projet H.A.D.E.S. Je pense que le contenu de ces deux dossiers t'est inconnu mais tu comprendras sans doute plus tard.

HRP:

Allumant les lumières de la salle secrète, ma caverne d’Ali Baba comme l’avait appelée Héléna lorsqu’elle était venue quelques jours plus tôt, je laissais à Aaron tout le loisir de visiter cette salle contenant milles et un trésors, autant du temps passé, lorsque la Terre n’était pas aussi meurtrie, que des temps actuels, certains sujets étant brûlants en ce moment, j’avais pris la décisions de cacher certains documents pour qu’ils ne soient ni utilisés à mauvais escient, ni détruits.

Mon jeune ami était présentement en train de regarder une édition de livres ayant survécus bien des siècles, datant du Siècle des Lumières. Ainsi que des Copies de certains traités bien connus qui le surprirent d’être ne ma possession.

« -C’est un cercle vicieux, tu le sais bien, Aaron. Une fois la paix établie, il se trouvera toujours des perturbateurs qui détruiront tous ces efforts, les combats recommençant alors inlassablement. Ce qui est bien dommage, cela étant dit. »

Aaron vint alors s’asseoir dans l’un des fauteuils du coin de détente aménagé, me révélant m’avoir jusqu’alors caché la véritable raison de son malaise. J’avais deviné que cela n’était pas seulement dû à un manque de nutrition, mais je ne dis mot, le laissant parler tranquillement, à son rythme. J’avais l’intuition qu’il avait des choses importantes à me dire, et je ne souhaitais aucunement le brusquer.

« -Je prépare cela, un en-cas sera le bienvenue en effet » Prenant café et biscuits, je les disposais au centre d’une table ronde, entre nos deux fauteuils. Nous pourrions ainsi y piocher les gâteaux, et poser les tasses sans soucis.

« -Tes documents seront en parfaite sécurité ici, Aaron j’en suis le seul dépositaire, même si je prévois d’en ouvrir les pleins accès à Héléna, Oliver et Grant. A toi aussi, si tu le souhaites, si tu en as le besoin. Une simple reconnaissance digitale suffit, l’empreinte de la paume enregistrée dans le système de sécurité.  Je préviendrais Mara, je dois l’informer de certaines choses que l’on a remarqué avec Héléna, également. »

Mon intuition me disais que les paroles d’Aaron avaient une grande importance, que ce qu’il me disait était grave… Ce n’est qu’en écoutant le reste de son discours que je sus à quel point…Moins d’un an d’espérance de vie… Qu’est-ce que ???

« -Les bidonvilles ont une fissures dûes à la négligence épique des Asariens, les Plans originels de la construction sont formels, aucune malversation n’est intervenues durant cette étape. Ce n’est que le mauvais entretien au cours des décennies qui a conduit à cette terrible découverte. Héléna est venue visualiser les Plans cachés dans cette pièce. »

Aaron me tendis ensuite une serviette de cuir noir, contenant des documents de la plus haute importance, d’après ce qu’il me disait… Les résultats de ses propres enquêtes sur les défaillances des Bidonvilles, et le projet HADES des bionanites…. Sujets terriblement épineux au sein du gouvernement, en effet.

« -Ils me sont tous deux inconnus, bien qu’ayant moi-même des bribes d’informations en ce qui concerne les bidonvilles. Ils seront en sécurité ici. Pour ce qui est de ton dilemme de temps te manquant…. Ne peux-tu pas déléguer certaines tâches, pour pouvoir mener les deux de front ? Comment se fait-il qu’il ne te reste que moins d’une année à vivre ? Quelqu’un d’autre est-il au courant parmi les nôtres ?? Je ferais autant que je le pourrais, tu le sais bien, mon ami. Mais je doute de pouvoir grand-chose et cela m’agace. On est pieds et poings liés à la merci du Gouvernement. A moins de se découvrir, ce qui équivaudrait à du suicide pur et simple… Que puis-je faire pour t’aider, Aaron ? A part cacher ces précieux documents ? Mon aide t’est acquise, tu le sais. »

Je secouai négativement la tête tandis que l'odeur du café en train de passer commençait à se répandre délicieusement dans toute la pièce. Je souris tristement appréciant ce moment qui ne se reproduirait peut-être jamais.

- Je ne peux pas déléguer plus que je l'ai fait. Amaria travaille de son côté en partant des capacités spéciales d'Héméra pour essayer de trouver une façon de contrer un mauvais usage de ma découverte sur les Humains et les Asariens qui ne se plieraient pas aux projets funestes du Gouvernement. Pour le Dôme humain, j'ai aussi une aide efficace en la personne de deux nouveaux amis qui y travaillent.

Je restai vague à dessein, bien que j'eusse confiance en Leroy. On ne pouvait totalement exclure qu'il soit démasqué et torturé. Moins chaque personne impliquée dans ce vaste plan en savait sur les autres mieux ce serait pour la sécurité de tous. J'étais le seul à avoir une vision de toutes les connections entre les événements qui se déroulaient déjà ou menaçaient de survenir. Sans doute ignorais-je des choses et ce qui pourrait bien ressortir notamment de ce que j'avais envoyé à Grant et Héléna. Leroy m'éclaira un peu en me disant qu'elle lui avait rendu visite pour consulter les plans des Dômes. C'était donc que mon courrier anonyme destiné à Grant Stevenson ne les avaient pas laissé sans réaction. Je savais Héléna réputée pour sa ténacité dans ses enquêtes pour l'information du public. Elle ne lâchait jamais lorsqu'elle avait trouvé un os à ronger. Cela me réconforta un peu de penser que si jamais j'étais réduis au silence, d'autres prendraient le relais.

- Tu peux m'aider plus que tu le crois, déjà en avertissant les nôtres si jamais il devait m'arriver quelque chose mais aussi une jeune femme... Oh je me doute déjà de ton regard désapprobateur mais tu sais, les gens se font une idée fausse d'elle ...

Pour Leroy, ma fréquentation assidue du Diamond avait toujours été considérée comme une perte de temps et un risque de glissade vers des paradis plus ou moins artificiels et futiles. Non qu'il me refusât le droit de me détendre et de m'amuser. Mais pour lui, une saine détente ou un bon amusement consistaient me concernant, à lire un bon livre, ou à faire une belle randonnée, à écrire un bon théorème, éventuellement à courtiser une de mes collègues. Il avait du mal avec mon côté un peu sulfureux, licencieux qui s'était réveillé tardivement. Il avait du mal à m'imaginer appréciant une belle femme et concevait certainement ma vie sexuelle comme une vue de l'esprit dont il préférait tout ignorer. Un peu comme un père qui a du mal à voir grandir son enfant et ne peut l'imaginer entre les bras d'une femme, surtout si celle-ci n'est pas bardée de livres , de diplômes, et mariée à ses éprouvettes ou à son logiciel de calcul. Il faut dire que j'avais durant des années entretenu cette image aux yeux de mes proches.

- Je voudrais que tu tiennes Jessica Warner informé mais de façon discrète afin d'éviter qu'elle puisse être inquiétée par le Gouvernement. Je voudrais que tu la protèges et que tu l'empêches de commettre tout acte inconsidéré, et même que tu plaides sa cause auprès des Pacificateurs pour qu'ils la mettent en sécurité.

Je saisis la tasse de café qu'il me tendait et un gâteau dans l'assiette qu'il avait posé sur la table. Tandis qu'il s'asseyait à nouveau, face à moi, je poursuivis d'une voix lasse:

- Je sais que tu es un Ancien qui maîtrise ses réactions et que tu as été formé à bonne école mais je dois te demander de te préparer à ne montrer aucune émotion dans les jours qui vont venir. Tu dois te préparer à toute éventualité. Il se peut que tu soit amené à me croire fou, ou traitre, ou les deux. Il se peut que ta couverture soit mise à l'épreuve non par le Gouvernement mais par tes propres réactions. Quelques soient les circonstances dans lesquelles nous devons nous revoir, tiens toujours ton rang et ne t'émeus pas plus que devrait l'être un Mentor déçu par son disciple... Pas d'intervention pour tenter d'adoucir ce qui risque de m'arriver, pas de tentative de négociation, pas de compassion... Tu devras réagir comme un membre de ce Gouvernement rien de plus, rien de moins. Quand tout sera enclenché, il n'y aura rien que tu puisses tenter seul. D'accord Leroy ?

Je reposai ma tasse vide et m'étirai dans le fauteuil.

- Tu vois que j'ai beaucoup à te demander et que tu peux grandement m'aider. Mais parlons d'autre chose cher Professeur ! Auriez-vous une autre occupation que les livres actuellement ? Une jolie femme par exemple ?

J'avais envie de conclure nos retrouvailles sur une note plus joyeuse. Leroy, plus qu'un professeur, avait été mon Mentor, mon fidèle allié pour les moments de doute. Mon ami. Il me coûtait de ne pouvoir tout partager avec lui afin de ne pas le mettre en danger plus qu'il n'était. Mais qui d'autre mieux que lui pouvait le comprendre. Il jouait double jeu depuis bien plus longtemps que moi.