Entre le crépuscule et l'aube {Leroy}

Leroy ~~ Ana

Il y a plus d’un an aujourd’hui,  j’avais fait la connaissance d’un Ancien. Cet homme avait le titre de conseillé et collaborateur auprès du ministère de l’Education avant qu’il ne devienne ministre lui-même, remplaçant Espéranza Alvarez assassinée par une balle entre les yeux. J’avais du mal à poser des mots sur ce Longue-Vie. Je devrai me méfier de lui. Mon passé reflétait mon expérience avec ces Puissants, et pourtant je n’arrivais pas à le concevoir de la même manière que les autres. Si l’un des miens savait que je côtoyais un Ancien et en plus l’un des membres du gouvernement, on risquerait de m’étiqueter comme une traitresse. Ma famille d’accueil, les Insoumis, était tout ce que je chérissais au monde, jamais je ne pourrai leur tourner le dos mais il était évident que depuis une année ma vie avait été parsemée de rencontres singulières. Moi qui aimais m’envelopper dans la solitude et la froideur, je ne pouvais nier que je cherchais parfois le contact avec les autres. Et encore que… ! Non, ce n’était pas chercher. Je dirai plus précisément que certains évènements m’avaient apportée ces rencontres et que je n’avais pas tenté de fuir. Pourquoi me tourner vers le monde de la surface … celui-là même qui m’avait rejetée ? C’était peut-être et simplement notre nature de se lier aux autres. La plupart des Insoumis se suffisaient à eux-mêmes, moi j’étais ballotée entre deux univers. Le monde était en train de changer et moi par la même occasion. Plus sociable ? Je n’irai pas jusque-là. Nous avions toutes et tous rejoint les Insoumis, ce groupe qui ne demandait rien à personne, qui ne se mêlait de rien, autonome à lui tout seul…mais les relations humaines étaient toute aussi précieuses pour nous sentir encore vivant.

Le visage de l’Ancien m’était réapparue comme étant peut-être la clef à certaines de mes questions que j’avais en tête depuis des mois. Peut-être pourrait-il y répondre ou au moins me guider. Les nuits se succédaient sans que je ne trouve le sommeil, silencieuse dans mes déplacements pour ne pas réveiller Max. J’avais demandé à Raven les plans de la grande bibliothèque qu’elle avait téléchargés directement en s’infiltrant dans les archives du gouvernement. Elle me surprenait toujours à utiliser de la sorte un ordinateur pour pirater les moindres réseaux. Cette humaine me surprenait par son caractère sauvage, déterminé  et indépendante. La définition de l’Insoumise. En les étudiants, je n’avais trouvé que cette entrée à l’arrière de la bâtisse qui pouvait m’aider. J’avais aperçu une galerie qui passait très exactement sous la bibliothèque mais sans aucun moyen d’y pénétrer. Peut-être que le plan ne l’indiquait pas mais je ne pouvais pas gâcher une nuit. J’allais devoir me faufiler sous les dômes et faire appel à ma mémoire passée.

Toute la journée, je fus comme enveloppée d’une torpeur qui ne passait pas. Je n’avais pas quitté mon abri, laissant les uns et les autres venir vers moi pour discuter de tout et de rien. Pourtant, mon esprit était ailleurs, à cette nuit…à cette heure qui s’égrenait lentement, beaucoup trop lentement à mon gout. Oui, maintenant, je savais, que j’irai le rejoindre ce soir pour renouer ce lien que nous avions laissé en suspens la toute première fois. J’avais besoin de son aide. J’espérai du plus profond de mon cœur qu’il m’écoute et que j’arrive enfin à avancer. Je stagnais trop de mon côté depuis ma discussion avec Max.  Alors vint la nuit et ses ombres et comme à mon habitude, je déployai autour de moi ma longue cape noire, remontant ma capuche sur mes longs cheveux. Certains Insoumis m’avaient vue partir, je leur adressai un petit sourire, leur souhaitant bonne nuit avant de prendre la direction de la galerie qui m’amènerait à lui. C’était certainement la pire erreur que je faisais depuis que j’étais une paria mais cette envie, au fond de moi, était pressante et tenace. Je désirai découvrir tout ce que je ne savais pas, plus que tout. Le tigre prit le pas sur la femme, s’élançant dans une course dans ces tunnels que je connaissais par cœur. Environs une heure après, j’arrivai sous la trappe d’égout, reprenant ma forme humaine. Elle donnait dans une impasse non loin de la bibliothèque. Il était 1 heure 30 du matin. Asaria dormait et le bâtiment était plongé dans le noir.

J’avais été tellement prise dans mes réflexions que pas un seul instant j’avais pensé qu’il ne serait pas là. C’était maintenant trop tard pour faire demi-tour. Je longeai les murs, contournant la Bibliothèque pour arriver à cette seconde porte qui donnait sur un petit parking. Son système de fermeture était électrique. Une flèche d’énergie se matérialisa dans ma paume, plantant sa pointe à l’intérieur de la serrure. Un bruit strident se fit entendre et le mécanisme céda. J’enclenchai la poignée me glissant à l’intérieur. Le détail qui m’étonna c’était qu’aucune alarme ne s’était activée. Très étonnant. J’avançai dans un petit couloir sans lumière. Mon ouïe développée d’Asarienne me suffisait amplement. J’ouvris une seconde porte, qui elle n’était pas fermée donnant sur le comptoir de l’accueil. Je compris immédiatement que je n’étais pas seule. Sous la porte du bureau de Leroy McStone, un filet de lumière subsistait. Elle s ‘ouvrit subitement, me plaquant immédiatement dans un recoin. Mais berner un Ancien s’était impossible.

Il avait dû sentir ma présence. De son regard bleu clair, il cherchait autour de lui avant que je ne finisse par avancer et sortir de ma retraite, les mains levées devant moi, signe que je n’étais pas là comme ennemie mais comme amie.

- Bonsoir Leroy...

Tout doucement, avec une lenteur calculée, je baissais ma capuche, lui dévoilant ainsi mon visage.

- C’est Ana…J’ai besoin de vous. Je me doute que c’est assez inhabituel comme approche mais je ne savais pas comment vous joindre. Veuillez m’excuser pour cette apparition quelque peu originale. Mais me présenter à vous d’une façon plus « normale » pourrait m’être fatale …? Avez-vous un moment à m’accorder ?

Leroy ~~ Ana

Me glisser dans cette immense bâtisse au cœur même des dômes et du pouvoir des Asariens pourrait se définir comme un acte suicidaire. Mais je savais ce que je faisais. Un pressentiment au plus profond de mon Etre que c’était Lui la bonne personne que je devais voir cette nuit. Et puis, les dômes, la cité d’Asaria ne m’étaient pas inconnus comme beaucoup pouvaient le croire et le penser. J’avais grandi ici, recevant l’éducation des miens. J’étais devenue une Milicienne puis une gardienne de prison, traquant les traitres, les humains, les torturants et y prenant énormément de plaisir jusqu’à ce que ma vie bascule et que je devienne une Insoumise. Aujourd’hui mon compagnon, l’homme que j’aimais était un humain. Comme le destin peut nous jouer des tours auxquels on ne s’y attend pas vraiment. Ironique, pas vrai ? J’avais créé un court-circuit au niveau du système de la porte de secours. Il n’y avait pas trop de dégâts. Un expert arrangerait ça au plus vite mais si on pouvait sortir par contre le panneau à code digital de l’extérieur ne fonctionnait plus donc impossible d’entrer par là. Je n’avais rencontré aucun garde faisant leurs rondes. Il y avait plusieurs étages à contrôler et cela prenait un certain temps. Arrivée enfin dans la bibliothèque, devant le comptoir de l’accueil, les salles étaient plongées dans la pénombre. Seul un mince filet de lumière dépassait de dessous la porte du bureau de Leroy McStone. Cette dernière s’ouvrit m’incitant à ma plaquer contre le mur et retrouver les ombres. L’Ancien avait entendu du bruit et même si j’étais agile, me déplaçant comme un félin, rien ne pouvait échapper à un Ancien tel que lui. Ses yeux scrutèrent les alentours avant que je finisse par me montrer, abaissant ma capuche pour lui dévoiler mon identité.

Je me laissais entrainer à l’intérieur de son bureau sans pour le moment répondre à sa question. Je préférai être dans un lieu plus intime où nous serions certains de ne pas être dérangés. Je m’installai dans le fauteuil qu’il m’avait présenté, repliant sur mes épaules les pans de ma cape. Les mains posées sur mes cuisses, ma venue n’était pas anodine, ça il l’avait très bien compris. Ce n’était pas non plus une urgence vitale. C’était d’un tête à tête dont j’avais besoin, de ses connaissances comme de son savoir. Je secouai la tête légèrement.

- Ce que vous avez, Leroy : une limonade, un jus de fruits. Quelque chose de frais, s’il vous plait.

Que savait-il sur moi ? Rien. Absolument rien alors que j’en savais davantage plus sur lui. C’était un peu logique quelque part puisque c’était un homme du gouvernement, médiatisé comme tous ces Longues-Vies. Il ne connaissait de moi que mon prénom et ma nature. Mais je ne doutais pas qu’il puisse aussi comprendre que j’étais une paria de la société. Lors de notre première rencontre, il avait pu voir mes pouvoirs. Je m’étais transformée en tigre sous ses yeux. J’étais une Asarienne comme lui mais exclue de notre société… De sa société.

- Cela fait plusieurs mois que nos chemins se sont croisés. Vous m’avez dit que si un jour j’avais besoin de vous, je pourrai toujours venir vous voir.

Je levai ma main, paume face à lui, doucement, signe qu’il ne devait pas s’inquiéter de mes mots et qu’il devait me laisser aller jusqu’au bout de mon petit laïus. Je n’allais pas lui demander de mettre sa vie en danger, ni de le plonger dans des difficultés. Je n’étais pas ainsi.

- Je suis venue voir l’Ancien que vous êtes. J’ai besoin de votre savoir.

Je pesai mes mots. Ils étaient mystérieux, cachaient une certaine faille dont Leroy pourrait peut-être apporter une solution, ou peut-être pas. Par où commencer pour être la plus claire possible.

- Depuis que le SEER existe, depuis que Nous existons, notre éducation, nos mœurs ont toujours été basées sur la suprématie de notre race. On nous martèle l’esprit sans cesse par rapport aux humains : ils ne sont que déchets, objets, insectes, souillures de Notre monde.

J’inspirai douloureusement. Ces mots. Mes mots me vrillaient le cœur parce que je ne les pensais pas, parce que plus de la moitié de ma nouvelle famille étaient des humains, parce que Max l’était aussi. Et c’était comme Le souiller. Les souiller.

- Asariens comme humains, nous ne sommes pas différents …
Seuls nos pouvoirs changent la donne. Mais nous sommes fait de chair et de sang. Nous ressentons les émotions, nous vivons, nous aimons, nous haïssons …
Depuis plusieurs mois, j’ai des questions plein la tête, et je ne trouve aucune réponse. Notre société est inféconde parce que notre talon d’Achille, à NOUS les plus puissants, c’est avoir dû mal à donner naissance à la vie.
Mais que serait une petite vie, un enfant entre un humain et un Asarien ?
Est-ce que c’est possible ?

Que serait une nouvelle vie entre deux individus qui sont censés se haïr depuis presque un siècle ?